Fyctia

Mardi 25 octobre 2022, 9h47, dans le bureau d’Olivia Myers.

Je masse mon crâne légèrement endolori et étourdi après la soirée qu’il a passé avec Sylvia hier. Je crois que les cocktails, bien que très bons, ont eu raison de moi. Heureusement, je me souviens d’absolument tout ce que j’ai pu faire ou dire, mais ça n’empêche que l’alcool a fait des ravages. Je me souviens sans problème du comportement que je pouvais avoir avec Sylvia, à rire comme une autruche alors que tout le bar nous regardait.

Alors que je me bats avec moi-même pour aller mieux, Sylvia entre et referme la porte derrière elle en un éclair. Elle pose sur le bureau, juste devant mon nez, un verre d’eau plein et un cachet antidouleurs. Je ne me fais pas prier, je place la pilule sur ma langue et bois mon verre d’eau.

— Bon dieu… merci… J’ai une de ces migraines ! Comment tu te sens, toi ? Tu vas mieux ?

— Oui, un peu mieux déjà. Bertrand m’a fait l’un de ses breuvages magiques contre la gueule de bois et ça a l’air d’avoir fait son effet.

— Il faudra que tu lui demandes la recette, car sinon, plus jamais je ne remettrai les lèvres sur un verre d’alcool. Je te jure que même mon ventre a dansé la salsa cette nuit. Je n’ai pas vomi, mais ça n’en était pas loin.

— Sans faute, je te ramènerai ça prochainement. Mais tu n’as plus envie de vomir, là, si ?

— Non non, c’est passé ! Tout va bien, je vais pouvoir me remettre à travailler lorsque ce mal de tête se sera décidé à me lâcher pour de bon, voire même rien qu’un peu.

— Si tu as besoin d’autre chose, tu n’hésites pas, je serai dans mon bureau toute la matinée. On se voit à la pause déjeuner ? On mange ensemble puis on bosse toute l’après-midi sur les annonces ?

— Parfait, ça me va amplement ! À midi alors !

Je lui fais un clin d’œil qu’elle me rend automatiquement. Elle se retourne pour sortir, mais avant qu’elle ouvre la porte, je la rappelle.

— Attends Sylvia ! Juste… Je sais que l’on est amie, je suis ta témoin, je t’adore, mais si au travail, du moins devant tout le monde, tu pouvais me revouvoyer, ça m’arrangerait. Je ne voudrais que tu aies des ennuis avec certains collègues parce que tu serais privilégiée.

— Olivia… Tu ne penses pas qu’il serait temps pour que tout le monde se tutoie ici ? Tout le monde te vouvoie ici parce que tu n’as jamais autorisé le contraire. Pourtant tu tutoies toute l’équipe sans exception. Même si c’est la hiérarchie du travail, toi qui prône la proximité entre l’employeur et l’employé, je trouve ça dommage. En plus, nous sommes tous, plus ou moins, à l’aise avec toi. La plupart ne te voie pas juste comme une PDG snobe, parce que tu es toujours auprès de nous, tu t’impliques toi-même dans chaque pôle, tu ne dénigres aucun des emplois, pour toi, tout le monde a la même importance et tu le répètes sans cesse. Je pense sincèrement, que si l’on rapprochait davantage la relation entre toi et toute l’équipe, que l’entreprise serait encore plus soudée qu’elle ne l’est déjà.

— Tu le penses vraiment ?

— J’en suis convaincue.

— Je vais y réfléchir…

— D’accord. Prends ton temps. Et ne t’en fais pas, je vais te revouvoyer au travail, personne ne remarquera que nous sommes amies à ce point.

Sylvia quitte mon bureau en refermant la porte derrière elle. Je ne suis pas sûre de moi, mais j’ai l’impression de l’avoir vexée. Ça va faire des années que ce vouvoiement à sens unique a été installé et elle n’avait jamais rien dit là-dessus. Est-ce que d’autres employés pensent aussi qu’il serait mieux de tout uniformiser ? En fait, lorsque je me compare à un tyran, je n’ai peut-être pas tort...

Mardi 25 octobre 2022, 12h03.

Sylvia entre dans mon bureau après avoir toqué, ce qu’elle fait rarement d’habitude parce qu’elle sait tout de mon emploi du temps et sait donc quand elle peut ou non entrer dans mon bureau. De plus, elle a un relay téléphone au secrétariat et sait quand est-ce que je suis en communication. Elle n’a normalement, aucune possibilité de me déranger. Alors, la plupart du temps, lorsque j’entends frapper, c’est parce que je suis en communication ou que je ne souhaite pas être dérangée mais que c’est urgent, ou alors que ce n’est pas Sylvia.

Elle dépose sur mon bureau deux bols en carton et s’installe sur le siège en face de moi. Elle ouvre le couvercle en plastique et commence à manger sans dire un mot. Je prends alors à mon tour ma salade et mange dans le silence. Je ne sais pas ce qui se passe, mais Sylvia n’est pas comme d’habitude. Je n’aime pas la voir comme ça, elle me paraît tellement moins enjouée et heureuse et ça me fait mal. Je n’ose pas vraiment entamer la conversation. Je me demande si ce n’est pas à cause de ce que je lui ai dit ce matin. Si c’est le cas, j’ai vraiment été trop loin. Sylvia n’est jamais abattue, même après un appel avec un client compliqué ou lorsque les pièces commandées ne sont pas les bonnes. Sylvia est un modèle de patience, de bienveillance et de bonne humeur ambulante. Pour briser cette attitude, c’est qu’elle est vraiment remontée contre moi ou qu’il lui est arrivé quelque chose ces deux dernières heures. Je tiens à elle et ce silence pesant dans la pièce me donne des frissons. Je ne peux la laisser comme ça, nous devons crever l’abcès, s’il y a.

— Sylvia ? Quelque chose ne va pas ?

— Parce que vous vous en préoccupez maintenant ?

Je ressens une étrange douleur dans la poitrine suite à ses mots tranchants et secs. Je suis alors persuadée que c’est bien à moi qu’elle en veut. J’ai visiblement dû la blesser bien plus que je n’aurai pu l’imaginer. Je ne sais pas comment je peux rattraper mon erreur.

— Olivia, de toute façon, ce n’est pas compliqué avec vous. Tout se passe toujours autour de vous. Je suis secrétaire en cheffe de cette entreprise, mais s’il y a bien une chose que je ne suis pas censée gérer seule, car c’est votre travail, votre rôle ici : c’est de vous préoccupez de tous vos employés et de comment ils se sentent dans l’entreprise. Vous n’avez aucune idée de la pression que vous faites jouer entre ces murs. Le travail que vous leur demandez d’effectuer en si peu de temps, ce n’est pas sain.

— Je n’ai jamais eu aucune plainte de qui que ce soit concernant les missions que j’attribue à mes salariés, Sylvia. Je n’ai eu aucun retour. Tu es sûre que tu n’en fais pas trop ?

— Que j’en fais trop ? s’emporte-t-elle, alors que ce n’est pas à son habitude. Vous ne vous rendez donc compte de rien, en fait. C’est fou. S’il n’y a aucune plainte, c’est bien parce qu’ils ont peur de vous. Jamais qui que ce soit n’aura le courage de vous défier du regard alors que dès qu’une personne ose demander un délai supplémentaire, bien que minime, vous le dégagez du projet. Tout le monde souhaite contribuer à la réussite de BL, mais vous ne voyez que la performance. Vous avez bien changé, Olivia et vous voulez savoir ? Je préfère l’ancienne Olivia, la vraie Via que j’ai connue n’était pas aussi égoïste et égocentrique. Vous me décevez, tout simplement.