Fyctia
12 - MAINTENANT
- Comment ça tu es rentré il y a un mois ? Tu ne m'as rien dit ! commencé-je à m’emporter.
- J'avais du travail, Inès. J'ai voulu le terminer avant d'aller à droite à gauche. Je suis désolé, continue-t-il de bafouiller face à la colère que je ressens.
Aller à droite à gauche ? J'ai toujours été sa fille chérie, à ce qu’il disait mais il ne voulait pas perdre de temps à me voir ? Ça ne lui ressemble pas.
Je me connais.
Je vais me renfermer comme une huître et ne plus vouloir lui donner l'heure pendant quelques jours.
Il m'a toujours appris à me faire respecter et à savoir ce que je mérite.
Et, selon moi, je ne mérite pas ça.
Après avoir passé autant de temps sans le voir, j'aurais aimé qu'il me contacte et que je ne le découvre pas par surprise dans la cuisine du chalet. Surtout pour me dire que me voir était synonyme d'aller à droite à gauche. Voir sa fille n'était donc pas aussi important que ce que je le pensais ?
- Et Hugo ?
Je le vois baisser la tête.
Je comprends aussitôt et il me déçoit davantage.
Décidément, mes parents ont, respectivement, des comportements étranges ces temps-ci.
- D'accord, tu l'as vu.
Il ne prononce aucun mot.
Je me retourne et regarde ma mère, tête baissée elle aussi. Elle évite mon regard.
- Non ! Ne me dis pas que tu savais toi aussi qu'il était rentré, lui dis-je en la regardant, déçue.
- Oui je le savais. Mais je ne souhaitais pas le voir et je ne l'ai pas vu avant aujourd'hui.
Je suis loin d'imaginer qu'elle me ment.
Elle me rassure sur le moment.
Si elle ne l'a pas vu, elle ne m'a pas trahi.
J'aurais tout de même préféré savoir qu'il était joignable, et surtout en France.
- Mais il a vu Hugo.
- Inès, commence mon père, je suis vraiment désolé mais tu sais que ton frère est dans une période compliquée. Il avait besoin de me voir.
Il dit vrai.
Mon frère et son compagnon viennent de se séparer après trois ans de vie commune. Ils s'étaient fiancés il y a quelques mois mais Hugo a découvert qu'il avait une double vie. Il avait une deuxième relation à côté et naviguait entre les deux domiciles. Chaque relation pensait être l'unique.
Depuis, il est dévasté. Leur appartement était à lui donc il y est resté, avec tous les souvenirs qui sont à l'intérieur. Il vit au quotidien avec sa détresse et doit se reconstruire en tant qu'homme célibataire.
J'imagine son désarroi et désespoir. Il m'appelle tous les deux-trois jours pour se confier et pleurer au téléphone.
Cependant, moi aussi je suis en période compliquée. Je suis dans l'histoire Ethan, j'essaie de me remettre de la tromperie. Personne, et encore moins mes parents, ne devrait comparer deux ruptures, celles de leurs enfants. Peut-être que c'est de ma faute, peut-être que j'aurais dû appeler mon père en pleurant.
Je fatigue tout mon entourage avec mes états d'âme mais moi, mon père ne m'a pas proposé de se voir pour en parler.
Ma carapace reprend le dessus. Je me renferme automatiquement.
- D'accord, j'ai compris. Maman tu ne m'en voudras pas mais j'abandonne l'inventaire pour ce week-end.
- Inès non, reste…, me supplie ma mère.
- Non. Je rentre à la maison. Bon courage avec Papa, réponds-je fermement pour ne pas laisser de suite à la conversation.
Sans chercher à discuter, je me dirige vers ma chambre pour récupérer mes affaires. Aucun des deux ne tente de me suivre pour me faire changer d'avis.
Au revoir le week-end chaleureux que j'imaginais avec ma mère, ses sablés de Noël, ses chocolats chauds, mon plaid favori du chalet. Au revoir les chutes de neige qui ont déjà commencé.
Mon père m'empêche de vivre mon week-end préféré de l'année.
Il est vrai que j'aurais pu rester, essayer de tirer du profit à l'idée de passer du temps avec eux deux.
Mais qui accepterait de passer un week-end complet avec ses parents qui ne s'apprécient plus ? Qui aimerait entendre des disputes en guise de musique ?
Ils ne se supportent plus et ce matin, c'est à mon tour. Ils ont toujours fait passer la famille avant tout, les liens du sang qu'ils disaient et pourtant, ils ont choisi Hugo ce coup-ci.
Jamais je ne m'opposerai à ce qu'on prenne soin de mon frère. Il en a besoin et pour lui sa famille est plus chère que ses amis. Sauf que moi aussi j'en ai besoin. J'aurais aimé avoir un message de mon père pour m'inviter à dîner au restaurant, pour avoir le droit moi aussi au câlin qui signifie "je suis là, n'aie plus peur".
Depuis ma séparation avec Ethan, j'ai senti une différence dans leur comportement.
Hugo s'est laissé emporter par sa séparation, ayant eu lieu peu de temps après la mienne.
Maman me rappelle tout le temps que nous n'avons pas besoin d'homme pour vivre. Ça doit la rassurer que Hugo soit homosexuel, elle n'aurait jamais pu dire ça d'une femme. Pour elle, un foyer ne peut exister sans présence féminine. Elle garde en tête le cliché familial, la femme cuisine, garde les enfants. Alors, depuis, elle ne me rassure qu'en disant que la rupture est une bonne chose pour la santé de mon foyer. Mais pas pour mon cœur ou ma raison évidemment.
Et Papa… aux abonnés absents ! Je ne lui ai jamais reproché son métier et ses déplacements mais parce que jusqu'à aujourd'hui, il ne m'a jamais fait sentir aussi peu importante.
Je m'empresse de récupérer mes deux sacs de voyage et sans repasser par la cuisine, je me dirige devant le chalet récupérer ma voiture.
Je monte côté conducteur lorsqu'une voix m'interpelle dans mon dos, à la porte de la maison. Enfin, quelqu'un tique sur mon envie de partir, bien que ça n'y changera rien.
- Inès !
Il s'agit de mon père.
Je sors la tête de ma voiture et me tourne vers lui, peu sûre de souhaiter véritablement entendre d'autres excuses.
Je me sens trahie et j'ai besoin de temps seule.
- Je me rattraperai la semaine prochaine, me promet-il.
En réalité, il ne me retient pas.
Il promet de me contacter à son retour à Cannes. Alors qu'il aurait pu agir maintenant. M'empêcher de partir.
Je ne lui réponds pas et tourne la clé. La voiture se met à vrombir et je prends la route pour rentrer à mon appartement.
Je leur souhaite bon courage à tous les deux.
Faire l'inventaire du chalet sans se supporter risque de complexifier la tâche mais ça ne me concerne plus.
Je ne me sens plus désirée face à tous ces secrets.
2 commentaires
Chloé Hazel
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Il y a 8 jours
Emmy Jolly
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Il y a 10 jours