Fyctia

Maman vient de partir aux toilettes sans son téléphone. Ce serait mentir que de dire que je ne souhaite pas savoir qui a tenté de l'appeler. Ma curiosité, mal placée, est beaucoup trop présente.

Certes, fouiller dans les affaires de ses parents est immoral mais elle ne me ment jamais. S'il y a bien une qualité qu'elle possède c'est la franchise. Elle me dit toujours tout tant que ça ne concerne pas mon père. Justement, elle a affirmé que ce n'était pas lui qui l'avait appelé. Alors pourquoi avait-elle coupé court à mes questions ? Que veut-elle me cacher ? Je suis dans l'incompréhension.

Je pose délicatement le plat que je viens de sortir du four à sa demande et m'approche timidement du plan de travail. Je n’ai pas envie que quelqu’un me voie faire ce que je n’aurais jamais cru faire un jour. Ca ne me ressemble pas et pourtant, lorsqu’elle a décidé de snober mes questions, c’est la première chose qui m’est venue en tête, à regarder par moi-même.

Je soulève son téléphone, l’écran est contre le plan de travail, et je le retourne.

Son mot de passe ? Je le connais par cœur. 0405. Je suis née en avril et mon frère en mai. Hugo a deux ans de moins que moi. Rien de plus évident qu’un parent qui utilise les anniversaires pour tous ses mots de passe, il ne pourrait jamais l'oublier. J’arrive sur l’écran d’accueil et lance l’application messages.

- Inès, pose ça tout de suite, ordonne une voix dans mon dos.

Aussitôt, je remets le téléphone à sa place, dans le bon sens, comme si je ne venais pas d’être prise la main dans le sac.

Ma mère. Elle m’a vu fouiller dans son téléphone. Elle s’approche de moi, me lance un regard noir et le récupère pour aller le poser plus proche du four, comme pour le garder à l’oeil. Je comprends que mon geste ne lui plaise pas. Ce n'est pas aux enfants de surveiller leurs parents.

- Tu cherchais quelque chose peut-être ? me lance-t-elle, connaissant la réponse que je ne lui donnerais pas.

- Je voulais juste regarder l’heure, excuse-moi.

- Utilise ton téléphone au lieu du mien. Tout ça parce que tu m’envies, ironise ma mère.

Comme si j’avais de quoi être jalouse. Oui, elle a le modèle dernier cri grâce à l’argent de mon père. Cependant, je préfère pouvoir me payer le mien avec mes moyens et qu’il me plaise, que je sois à la page ou non. Je m’abstiens de lui dire, elle risquerait de se vexer et la situation est déjà tendue. Elle est nerveuse, au vu de ses pics.

Pour rendre mon mensonge le plus plausible possible, je me rends dans le couloir et vais regarder l’heure sur mon appareil avant de retourner dans la cuisine. Elle ne peut plus remettre ma parole en question.

Lorsque j’arrive à l'entrebâillement de la porte, je la vois reposer en vitesse son téléphone en pensant que je ne l’avais pas remarqué.

Elle me cache réellement ses conversations. Sauf que nous n’avons jamais trop eu de secrets l’une pour l’autre. Je suis sceptique de la voir agir et réagir de la sorte. Elle sait que quoiqu’il arrive, je ne la jugerai jamais et tenterai de la comprendre. Je me demande vraiment ce qui se passe.

- Désolée Inès si j’ai mal réagi, ça m’a surprise que tu l’utilises comme ça. Nous n’avons jamais pris les affaires l’une de l’autre, s'inquiète ma mère, la tête dans son carnet de recettes, peinée.

- Ce n’est pas grave, maman, je voulais juste regarder l’heure.

- Je comprends, je suis navrée. Tiens, tu m’aides à enfourner les derniers biscuits s’il te plaît.

Ma technique d'aller vraiment voir l'heure qu'il était a l'air de fonctionner au vu de ses excuses. Je ne me pensais pas aussi douée à lui faire des coups comme ça.

Je retourne près d’elle et prends les différentes préparations de ma mère pour les déposer sur la feuille de cuisson. Étoiles, sapins, bonhomme de neige, boule de Noël, toutes les formes y passent. Elle doit bien avoir préparé une centaine de biscuits et il est certain que j’aurais une boîte bien remplie pour rentrer chez moi. Elle nous laisse rarement repartir de chez elle les mains vides. Elle passe sa vie aux fourneaux, pour préparer d'innombrables repas.

Peut-être que ça guérit les chagrins d’amour les sablés, tout comme les pots de glace ou de pâtes à tartiner. Qui sait !

Nous en avons disposé une vingtaine sur les quarante possibles sur la grille lorsque sa sonnerie classique retentit une nouvelle fois.

Je la remarque éviter mon regard et directement aller voir son correspondant, l'air fuyante. Elle s’empresse de quitter la pièce en décrochant.

Je la suis et vais me coller au pas de la porte de la cuisine pour entendre certaines bribes de la conversation. Ma curiosité ne s'arrête pas.

- Je t’avais dit de ne pas appeler aujourd’hui ! Je passe la journée avec elle. Laisse-moi tranquille s'il te plaît !

Voilà le réel problème. Moi.

Je suis avec elle aujourd’hui et ça l’empêche de discuter avec cette personne parce qu’elle ne veut pas que je le sache ni que j’entende ou voie quoi que ce soit.

Je n'ai pas réussi à déterminer si elle était énervée ou pas, contente ou pas, de cet appel.

Ce qu’elle ne sait pas, c’est que je connais son correspondant à l’autre bout du fil. J’ai eu le temps d’apercevoir son nom.

Ethan.

Ma mère discute avec Ethan.

Et je ne suis pas censée le savoir.