Fyctia
Chapitre 10 : Le casting (1)
Je sais, Jared m’a dit « pas un mot », mais l’ambiance est trop pesante pour que je ne tente rien avant le casting. Il a gardé ses lunettes de soleil, même dans le métro…
— Encore une fois, je suis désolée, je ne savais pas que tu avais cette allergie.
Seul le silence, entrecoupé par quelques grincements des wagons qui brinquebalent, me répond, pourtant, j’insiste :
— Moi, je n’ai pas d’allergies, je n’aime pas certaines épices comme la coriandre mais ça ne m’a pas effleuré l’esprit un seul instant que ça pouvait…
— Me tuer ? Maintenant, tu le sauras, ça et les chats.
Je me retiens de sourire, soulagée qu’il me réponde enfin.
— Tu ne veux pas enlever tes lunettes que je regarde comment sont tes yeux.
— Non.
— Comment tu vas faire au casting ?
— Je vais les garder.
— Tu n’es pas sérieux ?
— Tu m’as défiguré.
— N’exagère pas, je suis sûre que c’est déjà en train de disparaître.
Jared recule d’un pas et heurte la personne derrière lui. De corpulence imposante, l’homme roule des mécaniques et s’énerve rapidement. Pourtant, quand mon colocataire se retourne avec ses lunettes noires, l’autre se tait et s’excuse. C’est certain, Jared ne les quittera plus. Le reste du trajet, pourtant court, me paraît interminable et quand la voix annonce notre arrêt, je le vis comme une libération. Même si nous avons échangé quelques paroles, il faisait lourd dans la rame.
Dehors, l’Opéra se dessine rapidement sur un ciel couleur de pluie. Je regarde ses vitres arrondies refléter les nuages et les danseurs urbains qui s’échauffent sur le parvis. A quelques mètres, sur les escaliers en cascade, des skateurs effectuent leurs propres chorégraphies et puis je remarque une file d’attente. Elle n’est pas impressionnante, moins que ce que j’avais imaginé. Jared et moi prenons place derrière le cordon de sécurité et nous attendons que les portes automatiques nous avalent. Aujourd’hui, nous ne venons pas voir de spectacle, nous venons jouer et je suis rapidement intimidée. Un coup d’œil à ma montre m’indique que nous sommes dans les temps. Il était stipulé, sur la convocation, qu’il fallait se présenter 30 minutes avant l’heure du casting. Il est 9h30, pile. Je remarque aussi plusieurs notifications. Un message d’encouragement de Tania « N’oubliez pas, vous êtes les bests », d’Amélie « Merde à vous. » et un autre de… Jérémy « De tout cœur avec toi ». Je regarde l’émoticône en forme de cœur, glissé négligemment dans sa phrase. Fainéantise de saisir le mot ou message caché ? Je vais pour répondre, hésite, envoie finalement un « pouce levé à Tania » et un « merci » à Amélie. Puis, je montre les messages d’encouragement à Jared, pour tenter de lui redonner du baume au cœur. Contre toute attente, son visage se crispe dans une expression d’horreur tandis qu’il s’écrie :
— Mais qu’est-ce que t’as fait ?
— Comment ça ?
— Ton message !
Je relis rapidement, craignant subitement d’avoir envoyé quelque chose à Jérémy mais relis simplement le « merci » à destination d’Amélie.
— C’est la cata, on ne répond JAMAIS « merci », comme on ne dit JAMAIS « bonne chance » avant une représentation. Ça porte la poisse. Dans le monde du spectacle, tout le monde sait ça…
Il est évident que je ne fais pas partie de ce monde.
— Désolée, je ne savais pas.
— Eh bien, tu sauras, pour une prochaine fois, mais, vu les circonstances, il n’y en aura sans doute pas.
— Reste positif.
Jared baisse ses lunettes, sans doute pour me rappeler qu’il a les yeux enflés et en profite pour me fusiller du regard. J’aime mieux quand il les garde, finalement. Soudain, la file devant nous se met en marche et nous passons les premières portes puis les secondes. Un homme de la sécurité surveille Jared, sans rien dire. Il doit le trouver suspect, avec ses lunettes. Finalement, une dame vient à notre rencontre, une tablette à la main :
— Bonjour, vous venez pour quel casting ?
— « Un cœur à caster », le rôle du couple.
— Très bien, le nom de la réservation ?
Je réponds tandis que Jared garde le silence. La dame nous trouve dans sa liste et nous invite à la suivre. Elle nous mène, d’abord, à des casiers et nous demande de déposer tous nos effets personnels, téléphones portables compris. Elle insiste bien sur ce point. Nous obéissons puis marchons dans ses pas pour regagner la salle du casting. Loin de mon téléphone, je suis alors pleinement dans l’instant. Je sens l’air climatisé sur ma peau et j’entends nettement ses talonnettes résonner sur le sol. Soudain, je réalise qu’elles n’appartiennent pas à l’hôtesse mais à Jared. Surprise, car il est assez grand, je lui murmure spontanément :
— Tu sais, tu n’avais pas besoin de mettre des talons.
— Si, je fais 1m73, ce n’est pas très grand, pour un homme. Si tu mets, toi, des échasses, tu vas me dépasser.
Je me retiens de pouffer surtout que la taille a, pour moi, bien peu d’importance
— Les talons, je n’aime pas trop ça, tu le sais… Si tu veux, je n’en mettrai pas des plus de 5cm. Comme ça, je serai, au « pire », à ton niveau.
Il ne répond pas, le silence se réinstalle tandis que nous entrons dans la grande salle de spectacle. Ça y est, nous allons passer le casting !
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