Fyctia
Chapitre 4 : Le plan (1)
La fin de l’après-midi se déroule normalement. Enfin presque, car M. Pero ne cesse de chantonner. Je ne l’ai jamais vu aussi jovial. L’ambiance est agréable pourtant je me sens aigre-douce. J’ai soudain très envie de nems, je réalise alors que j’ai faim. Manger ne pourra que me faire du bien. La perspective de la soirée avec Tania et son plan ne parvient même plus à m’affoler. La fatigue, les émotions… en un mot, je suis vidée. Malheureusement, mon estomac devra attendre, comme je suis arrivée en retard, ce matin, c’est moi qui suis chargée de fermer la boutique. La nuit est déjà tombée. J’éteins la lumière et prends le temps d’observer les piles de livres dans la pénombre. C’est apaisant. Certaines couvertures glacées captent et reflètent la faible lumière qui provient de l’extérieur. Elles brillent comme des trésors aux multiples facettes. Les autres ouvrages, autour, opaques, semblent mornes. Cette vision m’inspire : il faut oser entrer dans la pénombre pour briller. Cette phrase me plaît, je ne sais pas dans quel roman je l’ai lue. Peut-être qu’elle vient tout simplement de moi ?
Suffis de rêvasser ! Je tire les grilles qui protègent la vitrine. Elles sont dures à manier et font un bruit assourdissant. M. Pero dit toujours qu’il va les remplacer par un système automatique. La question perdure : quand ? Je tourne la clef dans la serrure, abaisse la poignée. La porte est fermée. Je fais quelques pas puis doute, reviens en arrière, force à nouveau sur la porte qui ne s’ouvre pas. C’est bon, je peux y aller.
Les rues ne sont jamais désertes, les citadins se promènent, se donnent rendez-vous pour boire un coup ou dîner dans un bouchon lyonnais. Mon ventre gargouille, mais la réalité me rattrape, je n’ai plus rien dans le frigo. Il est tard et la perspective de faire les courses m’épuise d’avance. Oui, je vais procrastiner et reporter la tâche à demain. Ce soir, je vais commander asiatique pour Tania et moi et Amélie, aussi, si l’idée lui plaît, car je ne l’ai toujours pas remboursée. Dans le métro, les affiches du casting semblent me narguer. Je pense à Louisa Augustin, une vraie diva. Je me suis toujours demandée si les stars l’étaient par essence ou si elles le devenaient ? C’est un peu comme la poule et l’œuf. L’image de Jared traverse furtivement mon esprit. C’est une diva et pourtant ce n’est pas une star, pas encore. Cette idée me fait sourire. La conversation des deux adolescentes à côté de moi, moins.
— Louisa Augustin est ici ! A Lyon !
— Déjà ? Le casting ne commence que dans une semaine.
— Peut-être que le tournage a débuté !
— Comment tu sais ça ?
— T’as pas « Instantané » ou quoi ? Elle est en photo dans une librairie.
Je sors rapidement mon téléphone et ouvre l’application qui met en avant de belles images. Je rentre le mot #LouisaAugustin et je vois des photos de la réalisatrice prises à travers la vitrine de notre boutique. Et, en arrière-plan, il y a moi. Je suis partout et j’ai cette tête horrible ! Je prends une inspiration ce qui me permet de réaliser que personne ne m’a vue : tout le monde regarde Louisa Augustin. La couverture brillante versus la couverture opaque.
— Mate la tête de la meuf, derrière ! Ahah, s’écrie brusquement l’une des jeunes filles.
— Oh, mon dieu ! On dirait que ses yeux vont lui sortir de la tête tellement elle est surprise.
Catastrophe. Bien que je sente une bouffée de chaleur me faire virer au rouge, je remonte un peu plus mon écharpe sur mon visage. Il me faudrait un masque, là, tout de suite, oui, un gros FFP2 pour rester incognito. Je fouille dans ma poche, sans succès. Note pour moi-même : toujours avoir un masque sur soi, question de survie. Heureusement, les deux pré-pubères descendent à l’arrêt suivant emportant leurs éclats de rires et leurs moqueries. Je me ratatine sur mon siège. Légèrement parano, je scrute chaque passager craignant d’être reconnue mais, soyons honnêtes, personne ne fait attention à moi. Mon arrêt est enfin annoncé, je me précipite dehors puis ralentis la cadence. Je ne tiens pas à réitérer la cascade de la veille.
Ça y est, je pousse la porte, grimpe les escaliers et rentre chez moi. L’entrée est éteinte, ce qui me surprend. Il est vrai que nous faisons des économies d’énergie, comme tout le monde, parce que « Ce n’est pas Versailles, ici ! ». D’habitude, notre Diva préférée, Jared, laisse toujours allumée sa lampe de sel. C’est plus accueillant, plus chaleureux et ça chasse les mauvais esprits qui voudraient entrer, selon lui. Je m’assois sur le banc et constate que tout est silencieux ce qui ne me dit rien qui vaille. Je tends l’oreille et perçois finalement des bribes de paroles en provenance du salon. Il se trame quelque chose, j’en suis sûre ! Toujours parano et aussi discrètement que possible, je m’approche de la salle où se tient manifestement un conciliabule. Par l’interstice de la porte, je repère immédiatement ma sœur Tania, ma coloc Amélie, et il semble y avoir une troisième personne. Jared ? Non, je ne vois que les chaussures et il ne porterait jamais ça. Alors que je pousse la porte délicatement celle-ci grince aussi bruyamment que les rideaux de fer de la boutique ! Je suis démasquée, autant entrer vaillamment tel un gladiateur dans l’arène. Je ne crois pas si bien dire car je découvre que la troisième personne qui complote contre moi n’est autre que Jérémy, mon ex. Mais qu’est-ce qu’il fait là ?
6 commentaires
Margo H
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Il y a 2 ans
May Darmochod
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Il y a 2 ans
Nathalie Rachel
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Il y a 2 ans
May Darmochod
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Il y a 2 ans
Jessie Moon auteure
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Il y a 2 ans
May Darmochod
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Il y a 2 ans