Fyctia
La Révélation
Depuis le balcon de ma chambre d’hôtel, j’apercevais la mer. Le voyage fut tranquille. Il n’y avait eu aucun incident fâcheux à déclarer. Habituée au gaélique écossais depuis mon enfance, il me sembla qu’ici la langue virevoltait différemment. Quelques temps d’adaptation me furent utiles avant d’acquérir le rythme. L’air était doux. Le ciel couvert de petits nuages me fit songer à une huile de Turner. Je respirais profondément. L’iode, les coquillages, l’embrun… Comme il devait être doux de vivre ici. Les maisons se déroulaient comme un ruban de couleur le long de la côte. Au cœur des Hébrides, Tobermory, ou plutôt Tobar Mhoire pour le prononcer à l’écossaise, était une élégie à la mer et au ciel. Mon téléphone sonna. C’était MacDowell.
– Vous êtes à l’hôtel ? s’étonna-t-il Mais pourquoi êtes-vous à l’hôtel Madame Fleury ?
– Et bien, j’aime le confort. Le camping sauvage n’est pas mon hobby préféré.
– Bien sûr, bien sûr… dit-il, un peu embarrassé. Mais votre demeure s’avère bien assez grande pour vous recevoir.
Ça le reprenait ! pensais-je.
– Monsieur MacDowell, vous vous trompez. Je ne suis pas celle que vous pensez que je suis.
Bien que le notaire maitrisait à merveille la langue française, la phrase que je venais de prononcer lui demanda quelques instants de réflexion.
– Pourtant, vous êtes venue.
– Oui, je suis venue pour vous expliquer, de vive voix, votre méprise.
– Très bien. Je vous attends à mon étude dans une demi-heure.
Il ne semblait pas du tout convaincu de son erreur. Cet homme était têtu. Terriblement têtu. Je me demandais bien l’âge qu’il pouvait avoir. Aucune photo de lui sur le net. Le timbre de sa voix indiquait un âge plutôt ferme. Tout en remontant les rues du petit port de pêche, j’achetais une délicieuse tranche de cake au crabe et un cornet de frites sauce peppercorn qui m’arracha le palais. Les façades des maisons étaient une véritable explosion de couleurs. Jaune, bleue, rouge, verte, rose… L’on aurait dit des petites maisons de poupées accrochées à l’île de Mull. La nature d’un vert profond révélait encore plus l’âme de chaque demeure. Il se mit à pleuvoir de manière discontinue. À chaque averse un peu rude, je me glissais sous un porche en attendant l’accalmie. Ce fut ainsi que, de saut de puce en saut de puce, j’arrivai devant l’étude notariale de maître MacDowell. À mon grand étonnement, il devait être de ma génération. Pourtant, j’aurai juré que nous avions au moins quinze ans de différence. La sauce au poivre vrillait encore mes papilles. Elles agonisaient. J’attendis qu’il tourne les talons pour vider d’un trait ma petite bouteille d’eau. Cela raviva les flammes.
– Un whisky ?
– Je vous demande pardon ?
– Désirez-vous un whisky ?
– Et bien…
« Non, non, non, non, non » suppliait mon palais qui était en train de connaître un embrasement total.
– Vous ne pouvez pas venir à Tobermory sans goûter à la spécialité du coin.
MacDowell était un bel homme. J’étais frappée par le charme de ses traits et la vivacité de son regard. Mais je me méfiais des apparences. La vie m’avait enseigné que la confiance se dispensait avec parcimonie.
– C’est très aimable à vous mais j’attendrai un moment plus adapté pour ce genre de dégustation. Si nous pouvions attaquer le vif du sujet.
– Je vois, dit-il en reposant le bouchon en cristal qu’il tenait entre ses doigts.
Il attrapa un papier et me le tendit avec un air de chien battu. Lorsque j’eu fini de le lire, je levai le regard vers lui. Ce devait être à mon tour de ressembler à un chien battu.
– Je suis désolé Madame Fleury. Je suis désolé de… de vous apprendre une pareille chose.
– C’est une blague ?
– Cela serait de mauvais goût… mais j’aurais préféré.
Il y eut un silence. Un lourd silence. Certainement, le plus lourd silence que MacDowell eut à porter dans sa vie de notaire.
– Finalement, je vais vous prendre un whisky. Peut-être même la bouteille…
Il m’offrit un verre. Les reflets de l’alcool ressemblaient à de l’ambre. Il posa la somptueuse carafe en cristal devant moi. J’avais envie de m’y noyer.
– Elle est à vous, murmura-t-il. Si je puis me permettre, Madame Fleury, le point positif dans cette affaire c’est que vous héritez d’une splendide demeure et de plusieurs milliers d’hectares loués en fermage.
– Êtes-vous certain de l’authenticité de ce papier ?
MacDowell ne s’offusqua pas. Sûrement me pardonnait-il mon indélicatesse au vu des circonstances ?
– 100% authentique… si vous le désirez, nous pouvons attendre demain pour signer les papiers… le temps de vous remettre de vos émotions.
J’acquiesçais avec reconnaissance. Nous nous quittâmes sur cette idée. Alors que je redescendais vers le port, la voix de MacDowell me héla.
– Pardonnez-moi, Madame Fleury, ce n’est pas dans mes habitudes mais… le contexte un peu… particulier de cette affaire… et vous sachant seule dans ces circonstances…
MacDowell cherchait ses mots. Pour ma part, j’étais dans un état second… comme dans un mauvais rêve. Ce n’était pas le whisky le responsable. Je n’avais pas beaucoup bu. C’était ce fichu papier !
– Vous désirez m’inviter à dîner ? répliquais-je à brûle-pourpoint.
Le notaire fut quelque peu désarçonné.
– Oui. Voilà.
– D’accord.
Ma réponse était à la limite de l’impolitesse. Mais, je n’avais plus la force d’enrubanner les choses.
– Ambre… soufflais-je en lui tendant ma main
– James… me répondit-il en la serrant chaleureusement.
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