Fyctia
Prologue
En cette douce soirée d'été, le soleil disparaissait derrière la ligne de l'horizon, entraînant dans son sillage un magnifique voile de couleurs rouge-orangé, tandis qu'une brise chaleureuse se faufilait par les fenêtres ouvertes du château, venant caresser les visages de ses occupants. Ce délicat contact ne suffisait toutefois pas à calmer l'agitation de la jeune fille assise sur le tabouret, dans la plus haute chambre de la tour nord. Les mains crispées sur sa longue jupe de tartan, elle ne cessait de taper du pied depuis dix minutes et perturbait le vent qui se glissait dans la pièce. Celui-ci faisait claquer les rideaux, menaçait d'éteindre les bougies, soulevait les cheveux de l'adolescente alors qu'Aileen, sa mère, essayait de les démêler.
— Allons, mo nighean (1), détends-toi, soupira cette dernière. Je ne vais jamais réussir à te coiffer si tu es si agitée.
Ces mots se voulant apaisant ne firent qu’accentuer la nervosité de sa fille. Sensible à son état, la brise gagna en force et se mua en brusque bourrasque qui souffla toutes les flammes et fit tomber un vase par terre.
— Par Cerwiden, Blodwyn ! s'exclama la mère.
La jeune fille se mordit la lèvre et rentra la tête dans ses épaules, confuse.
— Je suis navrée, màthair (2).
Cette dernière poussa un profond soupir, puis lâcha la lourde chevelure bouclée qu'elle s'évertuait à brosser, avant d'aller fermer la croisée et de rallumer les bougies. Hélas, même ainsi, l'air de la pièce continuait à se mouvoir de façon anormale. Blodwyn avait beau essayer de se calmer pour que cela cessât, elle n'y arrivait pas. Ce soir, elle allait rencontrer son futur époux, allait se marier, allait devoir...
Une main se posa sur la sienne, la figeant sur place. Aussitôt, le vent surnaturel se suspendit, comme si le temps lui-même s'arrêtait. Du regard, elle suivit le bras dans la continuité de la main et remonta ainsi jusqu'au visage de sa mère. Un sourire lumineux éclairait ses traits.
— Je comprends que tu sois nerveuse, ma chérie. Je l'étais aussi lors de ma cérémonie d'union et la tienne a en plus été avancée de plusieurs mois. Cependant, tu n'as pas à t'inquiéter : tu es aussi belle qu'un rayon de soleil et tu es également une Tùsail, à présent. Tous les prétendants de ce soir ne vont avoir d'yeux que pour toi et chacun d’entre eux espère que vous soyez compatibles afin de t’épouser.
— Je le sais, murmura Blodwyn.
Et c'était bien le problème. Elle avait fait comme si tout allait bien lorsque l’Air avait reconnu le sang dans ses veines, un mois plus tôt. Puis quand tout s’était enchaîné, quand elle avait été conviée au palais pour rencontrer la reine quelques jours après cet événement, quand on lui avait annoncé que son mariage aurait lieu dans deux semaines alors qu’il n’avait pas été prévu avant un an, quand elle était revenue au château en ce jour, même quand Aileen avait commencé à la préparer, une heure auparavant, elle avait continué à faire comme si tout allait bien. Mais elle n'allait pas bien du tout ! Elle avait réussi à garder le sourire pour ne pas inquiéter sa mère, mais par Cerwiden, elle avait fêté ses quatorze ans cet hiver ! Elle n'aurait pas dû devenir une sorcière des éléments, pas à un âge aussi jeune ; et elle ne devrait pas être sur le point de devenir une femme. Elle n'était pas prête. C'était trop tôt.
Aileen lui tapota la cuisse, puis retourna s'occuper de ses longs cheveux.
— Cela fait-il... vraiment mal ? demanda Blodwyn.
— La première fois, oui. Mais par la suite, t'unir à ton mari devrait au contraire te combler de plaisir.
La jeune femme déglutit avec difficulté.
Le cœur de Blodwyn battait à tout rompre dans sa poitrine, si fort qu'elle avait l'impression qu'il allait en jaillir à tout instant. Une double porte... C'était tout ce qui la séparait encore de la salle de réception, de ses prétendants. Le couloir lui semblait soudain trop étroit, trop sombre, trop froid, comme s'il se refermait autour d'elle. À l'inverse, les battants avaient l'air de grandir sous ses yeux, de l'engloutir de plus en plus sous leur taille.
— Prête ?
Son regard glissa vers Aileen, qui lui offrait un sourire bienveillant. Blodwyn sentit son estomac se nouer. Si elle fuyait, le déshonneur s'abattrait sur sa famille ; elles seraient excommuniées, n'auraient plus personne vers qui se tourner, seraient livrées à elles-mêmes. Elle y survivrait peut-être, mais pas sa mère ; elle n'était pas aussi puissante qu'elle.
Je ne peux lui infliger cela...
Prenant une profonde inspiration, la jeune fille rassembla son courage, releva la tête et se força à sourire.
— Je suis prête, assura-t-elle avec plus de conviction qu'elle ne s'en croyait capable.
Elle allait le faire, pour sa mère.
Les lèvres de cette dernière fendirent davantage son visage, tandis que sa fille reportait son attention sur les battants magnifiquement sculptés. Lorsqu'ils s'ouvrirent, elle s'engagea dans la salle de réception d'une démarche franche, affrontant la tête haute le regard de toutes les personnes présentes : les autres filles à marier, les prétendants, le reste des invités... la reine. Elle n'était pas encore pleinement rentrée dans la pièce qu'une vague de murmure se répandit entre eux.
— C'est elle.
— La Tùsail. C'est la jeune Tùsail...
Une lézarde fissura sa détermination.
Blodwyn passa la soirée dans un état second. Elle mangea quand elle devait le faire, essaya d’oublier la souveraine qui la surveillait depuis le trône, dansa avec ses prétendants lorsqu'ils le lui demandaient, ignora les remarques méprisantes des autres filles, jalouses de l'attention qu'ils lui portaient... Dès qu'elle changeait de partenaire, celle qu'ils appelaient la Marieuse venait la voir pour tester sa complémentarité avec le nouvel arrivant. Lorsqu’elle fut passée entre les mains de tous les sorciers à marier, Blodwyn et celui avec qui elle avait le plus d'affinité – un certain Jamie âgé de vingt-neuf ans dont elle était incapable de se rappeler le nom de famille ou la couleur du kilt – furent conduits hors de la salle. La Marieuse les guida dans un salon où elle leur fit signer des contrats et prononcer un serment devant témoins. Avant même que Blodwyn ne se rendît compte que la cérémonie était terminée, le tatouage d'union apparut sur sa peau, à l'intérieur du poignet.
— Par ici, lassie (3), lui souffla son époux en lui prenant le coude.
Toute chaleur déserta la jeune fille, comme si son sang s'était changé en glace. Cependant, elle n'opposa aucune résistance quand il l’entraîna à travers les couloirs sombres du palais, vers la chambre qu'il occupait.
Et où ils allaient accomplir leur devoir.
(1) Ma fille, en gaélique écossais
(2) Mère, en gaélique écossais
(3) Jeune fille, en gaélique écossais
9 commentaires
MarinaM
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Il y a 5 ans
AsaNo
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Il y a 5 ans
Cinnae
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AsaNo
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maioral
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AsaNo
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AsaNo
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maioral
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Il y a 5 ans