{Nolan - Trois jours plus tard}

Après les Hamptons, je reste sur mon petit nuage.

Gloria est extraordinaire.

Je me sens bêtement honoré qu’elle m’ait fait assez confiance pour l’aider à renouer avec le sexe après son agression. Mon cœur saigne pour elle, et je suis déterminé à l’épauler pour aller de l’avant.

Nous avons passé presque tout notre temps ensemble depuis notre retour à New York. Nous nous taquinons sur nos modes de vie si différents, nous faisons tester à l’autre nos restos préférés. Puis nos corps se retrouvent, encore et encore.

Ce matin, elle est restée chez elle pour finir un article urgent, j’en profite pour effectuer un run sur mon tapis. À la perspective de la revoir bientôt, l’heure de cette séance de sport qui me pesait il n’y a pas si longtemps s’écoule en un clin d’œil.

Je checke mon téléphone après ma douche et il me tombe presque des mains. Mes notifications s’affolent, je ne comprends pas ce que je lis.

« Gloria James est un fake ». « La grande prêtresse du dressing minimaliste est une ancienne influenceuse luxe de Los Angeles ». « Gloria James et Livia Couture ne font qu’une ».

Ce nom me dit vaguement quelque chose. Je clique sur l’un des liens et découvre des photos d’une jeune femme aux longs cheveux blonds, très maquillée et habillée en Vuitton de la tête aux pieds. Rien à voir avec Gloria… Toutefois, en scrutant l’image avec plus d’attention, je reconnais son joli visage sous les couches de fond de teint. Voilà pourquoi elle connaissait si bien le luxe européen !

Un autre article : « Conscious et Pure Living rompent leur contrat avec Gloria James ».

Je peste contre l’époque actuelle et effraie mon chat au passage : ne peut-on pas permettre aux gens de s’expliquer avant de prendre ce type de décision ?

Je me doute de pourquoi elle a agi ainsi et a fait disparaître cette partie de sa vie.

Sans hésiter, je lui envoie un message pour la prévenir que je débarque chez elle.

***

{Gloria}

Livia Couture.

Je ne comprends pas pourquoi tout le monde parle d’elle aujourd’hui. Elle est morte cette nuit-là, dans une ruelle sombre de Los Angeles, quand un inconnu n’a pas su entendre ses « non ».

Je n’ai plus rien à voir avec elle.

Pourtant, elle se retrouve au beau milieu d’un scandale, et moi avec. Je perds déjà des followers et des contrats. Je vais devoir changer de vie de nouveau, car je ne les récupérerai pas. C’est en effet gênant pour l’une des expertes du dressing minimaliste d’apparaître sur des photos avec des fringues griffées et d’en faire l’apologie, vieux posts à l’appui. On s’éloigne beaucoup de la girl next door qui prônait le bien-être, la simplicité et la connexion authentique avec soi-même et les autres.

Prostrée sur mon canapé, j’ignore les appels de Mila et je ressasse. Qui a exhumé mon ancien compte ? Je pensais avoir été prudente, je me trompais.

On toque à la porte. Nolan. Il doit me détester. Je me suis moquée de son style de vie de manière ostensible. Plus d’une fois. Vais-je le perdre lui aussi ?

Je me traîne pour lui ouvrir. Le bleu de ses yeux semble terni par l’inquiétude.

— Oh, Gloria.

Il m’attire à lui par la nuque et me serre fort. Je pleure un peu et me délecte de son étreinte réconfortante.

Nous nous installons ensuite sur mon canapé.

— Je suis désolée, Nolan, déclaré-je entre deux reniflements.

Il secoue la tête et essuie mes joues de ses pouces.

— Aucune raison d’être désolée. Pourquoi tu ne m’as pas parlé de ça quand tu m’as raconté l’agression ?

— Tu avais l’air de m’apprécier justement pour mon mode de vie et mes engagements.

— Ils n’ont pas disparu, non ? Tu n’es plus Livia Couture.

— En effet. Gloria est mon vrai prénom. J’ai associé mon agression à mon style clinquant de l’époque et aux soirées alcoolisées. Du jour au lendemain, j’ai tout revendu, j’ai rompu mes contrats, fermé mon compte en prétextant un burn out, et je suis partie pour New York.

Il opine puis fronce les sourcils.

— Mais comment ça a pu fonctionner ? Avec tes amis IRL ?

— À cette époque, je n’avais pas de vrais amis, juste des connaissances, je réponds avec un rire amer. Donc quand Livia a disparu, ils ont disparu aussi. Seuls mon père et mon amie d’enfance sont au courant. Bien sûr, ils ne connaissent pas la véritable raison.

Je frémis et prends une goulée d’air avant de poursuivre.

— Au début, j’ai essayé de trouver une autre activité, de me tenir éloignée des réseaux. Je ne sais rien faire d’autre, alors j’ai ouvert un nouveau compte et suis devenue l’exact opposé de Livia. Je pensais que me couper les cheveux et revenir à ma couleur naturelle suffirait. J’avais tort. Et maintenant, j’ai tout perdu.

— C’est faux. Déjà, d’après moi, tu pourrais faire autre chose, notamment travailler comme personal shopper, ou comme styliste, même. Tu as l’œil pour ça. Mais c’est pas ce qui importe aujourd’hui. Car tu n’as pas tout perdu : je suis encore là, moi.

Des papillons volètent dans ma poitrine face à sa gentillesse. Nous sortons ensemble — pour de vrai — depuis quelques jours seulement, et je me sens bien avec lui. Cependant, je sais que le bonheur ne dure jamais.

— Tu dois me plaquer, je rétorque malgré tout. Je vais t’entrainer avec moi dans ma chute.

— Absolument pas ! Tu ne te débarrasseras pas de moi ainsi. Et tu ne vas pas chuter, de toute façon, car tu vas expliquer tes raisons. Dans un reel, dès que tu te sentiras capable.

Mon cœur s’affole, mes mains deviennent moites.

— Je... j’aimerais bien, mais je n’en ai pas la force.

— Je suis navré, Gloria, la vérité doit sortir, affirme-t-il d’un ton doux. Je sais que c’est difficile ; or personne ne te jugera pour ce qu’il t’est arrivé. Au contraire. Et pense à tes followers victimes d’agressions sexuelles. Elles se sentiront inspirées par ton courage. Qui sait, pour certaines, leur agresseur peut encore être traduit en justice.

Un filet de sueur glacée coule dans mon dos. Je ne parviens pas à lui répondre. Il caresse ma joue.

— Eh, je vais te préparer cette tisane que tu aimes tant, OK ?

J’opine ; il se dirige vers ma kitchenette, de l’autre côté de la pièce.

Il a raison, bien sûr. Pourquoi n’ai-je jamais mentionné mon agression ? Parce qu’en parler l’aurait rendue réelle ? Sûrement… Et parce que j’avais peur de la réaction de mes followers ? Aussi…

Il revient avec la tasse et me presse le genou avec tendresse. Je sens mes dernières barrières qui cèdent.

— Tu seras là pendant que j’enregistre ? je demande d’une toute petite voix.

— Bien sûr, bébé. Je serai toujours là.

Je pouffe comme une idiote, effleure ses lèvres des miennes et prends une gorgée de thé rouge. Je m’installe ensuite devant mon ordinateur. Caméra réglée, doigts passés machinalement dans mes cheveux pour les discipliner, luminosité vérifiée. Nolan me rejoint et se saisit de ma main, hors champ. Je le regarde et admire le doux sourire qui se perd dans sa barbe.

Puis je me racle la gorge et lance l’enregistrement.

Je n’ai plus peur. Nolan Bass se tient à mes côtés.