Fyctia
1. First date
{Gloria}
Qu’est-ce que je fiche là ?
Cette question tourne en boucle dans ma tête, plus assourdissante encore que la musique du bar de Greenwich Village où je me trouve.
Mon date, assis en face de moi sur la banquette en simili cuir, prend un énième selfie avec l’une de ses fans. Je sirote mon mocktail à vingt dollars — un verre de jus de fruits à vingt dollars, donc — et contemple avec fascination ce David Beckham au rabais. Bon, près d’un million de followers, ça fait tout de même un sacré nombre.
Cheveux noirs plaqués en arrière, plus courts sur la nuque et les côtés, barbe taillée au cordeau, t-shirt déchiré d’une marque inconnue qui percera demain grâce à lui — et qui vendra ses articles destroy à prix d’or —, avant-bras musclés et ornés de tatouages sans queue ni tête. Enfin, façon de parler, car je distingue justement dans l’enchevêtrement de lignes noires une tête de phœnix et une queue de scorpion.
Il rigole à une remarque sans doute peu drôle de son admiratrice et ses yeux bleu marine pétillent.
Nolan Bass.
Oui, Bass, comme Chuck Bass dans Gossip Girl. C’est le nom de famille qu’il s’est choisi. Ça en dit long sur le personnage, n’est-ce pas ?
Alors qu’est-ce que je fiche là ?
— Tu veux une photo de ma girlfriend et moi ? demande Nolan à sa fan. Je ne sais pas si tu l’as reconnue, c’est une influenceuse aussi.
Ah, oui. Voilà pourquoi je suis là.
— Désolée, je ne crois pas te connaître, avoue la fille peroxydée et somme toute fort jolie.
— Ce n’est pas étonnant, la rassure-t-il, elle officie dans un domaine un peu différent du mien : c’est Gloria James, la prêtresse du dressing minimaliste et du mode de vie ascétique.
— Oh, enchantée. Je m’appelle Ava.
— Ravie de te rencontrer, déclaré-je avec le plus de sincérité possible.
J’ai presque de la peine pour Ava, qui s’efforce de ne pas me vexer. Nolan se lève alors, contourne la table, s’accroupit à côté de moi et passe son bras sur mes épaules. D’instinct, je me raidis.
— Vas-y, prends une photo de nous. Tu pourras épater tes amies et dire que tu as été la première à savoir que Nolan Bass et Gloria James sortent ensemble. N’est-ce pas, bébé ?
Je grimace intérieurement mais garde un sourire plaqué sur mes lèvres.
— Tout à fait, mamour.
Il m’envoie une œillade meurtrière, qu’il fait vite disparaître pour la photo. La fille se serre ensuite dans ses bras avec un air extatique sur son visage trop maquillé et nous laisse enfin seuls. Il se rassoit et prend une gorgée de son Sex on the Beach.
— Mamour ? me demande-t-il alors, un sourcil levé — et épilé à la perfection.
Je hausse les épaules et joue avec le bracelet de ma montre en cuir, l’un des rares bijoux que je m’autorise.
— Désolée, c’est le premier petit nom qui m’est venu à l’esprit.
— Je plains tes ex.
— Je n’ai jamais eu de relation sérieuse, en tout cas aucune qui est arrivée au stade des « bébé » ou autres. Et « bébé », d’ailleurs, c’est affreux.
— OK, je vais trouver autre chose, promet-il avec un clin d’œil.
— Abstiens-toi, par pitié.
— Tu plaisantes, j’espère, s’écrie-t-il. C’est le plus important, les petits noms, à notre époque. Comment vais-je te désigner sur Instagram, sinon ?
— Gloria, c’est bien.
— T’es vraiment hilarante.
Je secoue la tête et finis ma boisson — à la fois amère et trop sucrée. Ma langue picote déjà, probablement à cause de la mangue. Jackpot : une soirée à mourir d’ennui et ma vague allergie qui se réveille.
— Alors, sur quoi tu travailles en ce moment ? tente-t-il pour relancer la conversation. Un article ou un projet ?
— Un combo des deux : je vais porter pendant un mois la même robe de chez Conscious en l’accessoirisant de différentes manières et écrire un article pour Pure Living.
— La même robe tous les jours ? Ewww, du coup, tant qu’à faire, tu te laves plus, non ?
Il me fascine. Comment peut-on être populaire et aussi con ?
— T’es vraiment un connard, Nolan.
— Ouais. Un joli connard.
— N’importe quoi, commenté-je dans un soupir. Je dois rentrer, demain je me lève aux aurores pour un cours de yoga en live sur les cinq continents.
— Ta vie me donne le tournis.
— La tienne me donne envie de vomir.
Une furtive grimace déforme ses traits harmonieux. J’y suis allée un peu fort. L’étincelle amusée est revenue dans ses yeux lorsqu’il rétorque.
— Garde cette opinion pour toi si tu veux que ça fonctionne.
Ça ressemble à une menace, je sais pourtant qu’il a raison.
— Bien sûr, mamour, répliqué-je en lui envoyant un bisou volant.
Je me lève, enfile ma veste en denim recyclé et rejoins l’extérieur sans vérifier s’il me suit ou non. Je cherche déjà le jaune d’un taxi dans la rue lorsqu’il arrive à ma hauteur.
— Tu postes le selfie pris au début ? me demande-t-il, la voix forte pour surpasser le bruit ambiant.
— Oui. Et toi la photo de nos mains enlacées sur la table avec le nom du bar ?
— Ouais.
— OK, à bientôt, alors.
Je commence à me retourner, il attrape le pan de mon blouson.
— Attends, bébé, il manque le clou du spectacle.
— Quoi ?
— Un baiser d’adieu, au cas où quelqu’un filmerait.
Ma gorge se noue. Je ne pensais pas qu’on arriverait si vite à ce stade.
— Ce n’est pas nécessaire.
— C’est essentiel ! On va rien faire d’autre, non ?
Il a raison. Si l’on veut que ce soit crédible, il faut jouer le jeu à fond.
— OK, je murmure, déjà tremblante.
Ce n’est qu’un baiser. Un faux baiser. Je peux y arriver.
Il se rapproche de moi et je me raidis en imaginant sa main sur ma taille. C’est sur l’une de mes joues qu’il la pose, à peine. Tout doux, il effleure d’abord mes lèvres des siennes, touche mon nez avec le sien, puis m’embrasse pour de bon, sans forcer. Je reste tellement surprise par sa délicatesse que ma bouche s’entrouvre et nos langues se rencontrent.
Au fond de moi, une sensation que je pensais perdue à jamais se réveille.
— Enfin un aspect pas trop désagréable, au moins, déclare-t-il lorsque l’on se sépare pour reprendre notre souffle.
Nolan Bass, dans toute sa splendeur, qui gâche un beau moment.
— Abruti, prononcé-je, les dents serrées.
Je n’attends pas sa répartie et bondis dans un taxi. Mes fesses touchent à peine le siège au tissu élimé que mon téléphone vibre. Mila, mon agent.
Je grimace face à son vocabulaire, ne réponds rien et reporte mon attention sur les rues animées de New York.
C’est Mila qui a eu l’idée du fake dating avec Nolan, influenceur luxe et mannequin, pour faire le buzz, alors que je me plaignais de mon nombre de followers qui stagnait, à l’instar de mes revenus. Je crains plutôt d’avoir commis une erreur : et si certaines marques et magazines ne veulent plus travailler avec moi ? D’après Mila, il n’y a pas de mauvaise pub, si le nombre de followers augmente, tout le reste suit.
Espérons que cela se vérifie avec mes prochaines stories.
86 commentaires
Livia Thomson
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Il y a 9 mois
Marie Andree
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Il y a 9 mois
Narélia L
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Il y a 10 mois
Marie Andree
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Il y a 9 mois
WildFlower
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Jérôme VAUQUELIN
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Fanfan Dekdes
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Marie Andree
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Il y a 10 mois