Fyctia
Le plan
Letitia Martin
Le Soleil se couchait tandis que je tournai une énième page de mon livre, mes écouteurs à fond dans les oreilles.
Étendue sur ma serviette de bain, au bord de la piscine, je tentais, à l'instar de chaque été depuis mes douze ans, de bronzer.
En vain.
Finalement, je fermais mon livre, plongée dans mes pensées.
Cela faisait déjà deux jours que j'étais en vacances en Espagne avec ma famille et je n'étais toujours pas sortie de ma résidence qui n'avait pas tardé à devenir une véritable prison.
Je n'avais toujours pas vu un seul paysage autre que cette maison en pierre que mes parents avaient louée.
Je n'avais toujours pas entendu quiconque parler une langue plus latine que le Français.
Deux jours que je passais mes journées, allongée contre le carrelage froid de ma terrasse, à refaire le monde et ma vie.
À me demander encore et encore et encore ce qu'il se passerait de si terrible si j'osais enfin parler, sortir, sourire.
Si j'osais profiter de la vie comme s'efforçaient de me le rappeler constamment tous les adultes.
"Tu as tout juste quinze ans. Ce sont les meilleures années de ta vie."
Quelles années incroyables !
J'avais tout juste quinze ans et étais incapable de m'exprimer sans bégayer, avoir honte de moi ou angoisser si l'on me regardait d'une façon un peu trop fixe, d'après moi.
"C'est dans ta tête, tout ça."
Si seulement cela avait été aussi simple.
La vérité était que, dans ma tête, justement, dans mon esprit, mon imagination, dans mes rêves les plus fou, j'étais chanteuse.
Un comble étant donné que j'osais à peine respirer.
Cependant, dans ma tête, j'étais Letitia Martin, à peine quinze ans mais déjà connue telle une légende dans tout l'hexagone.
À peine quinze ans mais déjà capable de coucher sur le papier ses pensées sans dormir de la nuit.
À peine quinze ans mais déjà des tournées dans toute l'Europe.
Dans mes rêves, j'étais Letitia Martin et le monde entier hurlait ses douleurs communes aux miennes sur mes chansons.
Et pourtant, dans la réalité, j'étais juste Letitia Martin.
J'avais juste quinze ans, toujours lycéenne, toujours anxieuse, toujours apeurée par tout ce qui respirait un peu trop près d'elle.
Dans la réalité, mon angoisse gagnait.
Dans mes fantasmes, elle n'avait tout simplement jamais eu le courage de s'attaquer à moi.
Soudain, je sentis une main se poser sur mon épaule.
Je sursautai, penchant dangereusement vers la piscine, avant de me retourner.
Je découvris alors mon père, accroupi face à moi. Il enleva sa main, riant de la frayeur qu'il m'avait faite puis commença à parler. Néanmoins, la musique dans mes oreilles m'empêchait de l'entendre.
Ainsi, je ne vis que ses lèvres se mouvoir sans que le son de sa voix ne parvienne à mes oreilles.
Finalement, lorsqu'il eut terminé, je fis mine d'avoir compris, en aquiescant de la tête.
Mon père se dirigeant vers l'intérieur, j'entrepris de faire de même.
Après avoir grimpé les escaliers en marbre, j'arrivai jusqu'à ma chambre et plongeai directement sur mon lit.
J'attendais tellement mieux de ces vacances en Espagne.
Ça, c'était l'un de mes pires défauts.
Toujours m'imaginer monts et merveilles comme si les gens de mon âge n'étaient pas à l'opposé de ceux qui se trouvaient dans les livres.
Comme si les groupes d'amis qui duraient depuis la maternelle existaient réellement.
Comme si les coups de foudre avaient vraisemblablement le pouvoir de changer toute l'existence et l'univers d'une personne.
Et surtout comme si les filles comme moi n'existaient pas.
Les filles invisibles, celles qui pleuraient le soir, celles qui rêvaient dans le ciel et qui se réveillaient contre le sol.
Les filles qui ne s'aimaient pas beaucoup.
Et j'avais toujours fait partie de ces filles.
J'avais un besoin constant de m'évader du monde.
De m'évader des gens, du trop plein, de la foule, des bruits, de ma vie.
Vous savez.
L'impression perpétuelle de ne pas être née dans le bon Univers.
De s'être ratée de dimension, de mentalité.
De s'être ratée.
Tout court et tout simplement.
Allongée sur mon lit, je commençais à m'endormir quand je sentis mon téléphone vibrer sous mon corps.
Me relevant, j'allumai l'appareil et découvris un message de ma meilleure amie.
Riant toute seule dans ma chambre, je pianotai rapidement une réponse.
Je balançai mon téléphone sur la banquette de mon lit tandis que je commençais à enlever mon maillot de bain pour enfiler mon pyjamas.
Car, même si le Soleil tapait encore énormément dehors, il était déjà dix-neuf heures.
Nouvelle vibration.
Nouveau message.
Nouveau fou rire.
Renvoyant mon téléphone valser sur mon lit, j'entrepris de m'habiller pour ce soir.
J'essayais différentes tenues puis finalement, optais pour un débardeur noir et un jean troué.
Maintenant devant ma coiffeuse, je m'efforcai de joindre mes boucles en une queue de cheval.
Mes tennis aux pieds, j'attrapai mon téléphone, mes écouteurs et descendai lentement l'escalier en marbre.
Je sortais réellement juste pour lui faire plaisir.
Pour lui envoyer une photo prise devant les vagues.
Pour ensuite vivre en quarantaine le reste de mes vacances sans trop culpabiliser.
Juste une photo de moi sur la plage, devant la mer, sous les étoiles.
Néanmoins c'était sans compter sur elle, le sable, les vagues et la voie lactée.
C'était le plan.
Veuillez bien souligner la pénultième phrase.
10 commentaires
lovelover
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Il y a 17 jours
PAIND4ORGE
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Il y a 17 jours
IvyC
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Il y a 17 jours
Sofia77
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Il y a 18 jours
scriptosunny
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Il y a 18 jours
Ella R Hart
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Il y a 18 jours
Sharleen V.
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Il y a 18 jours
Zatiak
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Il y a 18 jours
PAIND4ORGE
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Il y a 18 jours
René Vignal
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Il y a 19 jours