Fyctia
Chapitre 4 - Alex
Nous sommes en train de rentrer au commissariat et je liste dans ma tête les prochaines tâches que je vais devoir attribuer à mon lieutenant, ainsi qu'aux différents officiers. Recherches d'informations, d'historiques, de témoignages. Mise à l'écrit des différents témoignages des personnes qu'on a interrogées - famille, voisins. L'image de la dernière voisine me revient en tête mais j'essaie de la chasser de mon esprit d'un coup de tête. Ce n'est vraiment pas le moment.
« Est-ce qu'on va en parler, chef ?
- Parler de quoi ?
- Bah.. vous savez…
- J'ai vraiment pas le temps de jouer aux devinettes lieutenant Fairet, je sais pas si vous avez remarqué mais là on vient de récupérer une affaire un peu sensible. Donc si vous avez un truc à dire, dites-le, sinon fermez-la et laissez-moi me concentrer. »
J'ai les yeux rivés sur la route, mais je le sens me fixer du regard et esquisser un sourire moqueur. Je garde le silence pour ne pas l'encourager, je sais que ça l'énerve encore plus quand il ne peut pas profiter de ma réaction. Il attend une petite dizaine de secondes puis se tourne vers moi.
« Il s'est passé quoi avec la petite voisine ?
- Quelle petite voisine ?
- S'il vous plaît, chef. Je ne vous ai jamais vu aussi tendu de ma vie. Vous la connaissiez déjà ou quoi ?
- Je n'étais pas tendu.
- Vous rigolez, vous l'avez traitée comme si c'était la terroriste la plus recherchée du pays.
- Pas du tout, je l'ai traitée comme n'importe quel témoin qui met 3 minutes à ouvrir la porte alors qu'on l'entend distinctement de l'autre côté.
- C'est marrant, mais j'ai l'impression que même vous n'y croyez pas. »
Et il n'a pas tort. Même moi je n'y crois pas. Hors de question de l'admettre cependant, en tout cas à voix haute et encore moins à mon lieutenant. J'hausse les épaules, d'un air détaché. Mais la vérité, c'est que je ne le suis pas. Je sais que j'ai merdé. Je sais que ma réaction n'était pas appropriée. Mais je sais aussi qu'en tant que capitaine chargé de l'enquête, je n'ai pas le temps de m'y appesantir. Ça attendra la fin de mon service, quand je pourrai débrancher mon cerveau de l'enquête. En attendant je ne dois pas y penser. Je ne dois pas penser à ses yeux qui me lançaient des éclairs pendant que je fouillais son appartement, que je violais son intimité. À ses petits soupirs de colère…
« Elle m'a écrit. » J'essaie de rester neutre et détaché face à l'information, de ne pas répondre trop vite. Je ne peux m'empêcher cependant de serrer le volant plu fort dans mes mains.
« Madame Favi ?
- Oui, c'est marrant que vous sachiez de qui je parle, et que vous ayez retenu son nom. D'aucuns diraient presque qu'elle vous trottait dans la tête.
- Qu'est-ce qu'elle dit ? je le coupe, avant qu'il parte dans un laïus qui ne réussira qu'à m'énerver.
- Elle me demande si vous êtes célibataire. » Je me tourne plus vite que s'il m'avait électrocuté. Et je vois dans ses yeux la lueur de malice qui brûle. J'ai envie de lui faire manger son uniforme.
« Vous avez envie de rester plus tard ce soir pour finir l'administratif j'ai l'impression.
- Ça valait largement le coup, l'expression sur votre visage…
- Qu'est-ce qu'elle dit ?
- Elle nous a donné les coordonnées de son amie. Et oui, j'irai vérifier ses propos avant la fin de la journée, c'est déjà noté.
- Bien, maintenant fermez-la. J'ai besoin de penser. Et quand on arrive, vous réunirez les agents affectés à l'enquête pour un briefing. »
Le reste du trajet se passe dans le silence - ce qui me convient très bien. J'organise les tâches à faire, les informations à distribuer. Même si les circonstances sont dures - quelqu'un est mort, je sais que je suis dans ma zone de confort. Que c'est là où je performe. J'absorbe les informations et je n'oublie rien. Et c'est pour ça que je suis bon dans ce que je fais. Lorsqu'on arrive au commissariat, je laisse Fairet réunir les personnes concernées, je fonce dans mon bureau. J'attends d'avoir mes subalternes en face de moi pour les briefer. Je suis le plus exhaustif possible, mais je laisse de côté la particularité de mon interaction avec madame Favi. J'ai, l'espace d'un instant, peur que mon lieutenant ne relate les événements différemment, mais il ne réagit pas et semble avoir repris son rôle de lieutenant. Tant mieux. Je n'ai pas envie de gérer ça. Lorsque tout le monde sait ce qu'il a à faire, mon bureau se vide à nouveau et je me plonge dans mon dossier et mes recherches. Mon cerveau est en pilote automatique et je ne vois pas le temps passer. Je ne m'arrête que lorsque mon estomac se tord. Je ne sais pas quelle heure il est, mais je sais qu'il va falloir que je mange si je veux pouvoir continuer avec la même efficacité - je connais mon corps. Comme par magie, la tête de Fairet apparaît à ma porte.
« On a commandé pour vous capitaine. Vous mangez dans votre bureau ?
- Oui, merci. Des nouvelles ?
- On vous propose un brief dans 40 minutes, on a encore quelques appels à passer.
- Bien, merci.
- Je vous amène votre plat quand il est là.
- Merci. »
Je n'entends pas ma porte se fermer, alors je relève les yeux et lui lance un regard interrogateur. « Vous voulez quelque chose ? » Il me regarde d'un air étrange et referme la porte. Tiens, c'est surprenant ça. D'habitude, Fairet n'a pas la langue dans sa poche, preuve en est ce matin. L'image de Rose Favi, la jeune femme de ce matin me revient en mémoire. Son regard courroucé est imprimé dans mon esprit. « Pas encore », je chuchote pour moi-même. « On verra ça plus tard. »
1 commentaire