Fyctia
CHAPITRE 12.2 [FIN]
Il fronce les sourcils, mais ne bouge pas pour autant de sa posture soumise. À la place, il se concentre, fait le tri dans son esprit brumeux, dans ses émotions, puis tente de comprendre d’où provient cette sensation anonyme qui le touche d'une façon inattendue. Et quelle est la raison qui a valu cet arrêt soudain ? Attention ! Il ne s’en plaint pas. Seulement, le voilà intrigué par ces évènements fortuits et anormaux.
Son front se plisse en distinguant le son d’un impact ressemblant à une chute et des gémissements.
Mais que se passe-t-il ?
Soudain, il la sent enfin.
L’air autour de lui a changé de sorte qu’elle ne soit plus totalement empreinte de l’odeur du métal, du bois brûlé due à la forge, du sang versé par les sévices, de l’aconit et de la terre humide.
Il y a des effluves jamais senties dans cet endroit. De la camomille principalement, mélangée à d'autres senteurs qu'il peine à décrypter, mais toutes aussi douces et apaisantes. Il se permet de prendre une grande respiration, avant que les quelques poils de son épiderme ne se hérissent et que son souffle ne se bloque à nouveau. Mais cette fois-ci, il en connaît l'origine. Elle est rattachée à cette voix basse, sombre, menaçante et…féminine qui s’élève.
— Détachez- le !
— Mais…Votre Grandeur, entend-il.
Il reconnaît l’affreuse voix braillarde du gestionnaire de la prison. Cet homme dégoûtant, un brin pervers, l’a souvent corrigé. Une fois, alors qu’il lui arrachait ses ongles, il a réussi à l'empoigner et à le griffer jusqu’au sang. Cela lui a valu un nouveau séjour en isolement dans les tréfonds de la prison.
— Il a commis un affront terrible envers l'un des nôtres, continue-t-il.
Et Kieran en est fier.
— Il…
— DÉTACHEZ-LE !
Ses paupières s’ouvrent en grand après tant de temps à être restés clos. Le regard accroché sur le bois du pilori, il réalise peu à peu la portée de cet ordre déterminé et explicite, et il ne comprend pas.
Ses mains sont enfin libres, pourtant il ne bouge toujours pas. À vrai dire, aussi étrange que cela puisse paraître, après le bain de sang auquel il s’est adonné avec un plaisir non feint, il ne sait pas comment réagir. Et c’est à cause de cette femme survenue sans signe annonciateur dans son malheur. Elle émet des ondes contradictoires qui l’empêchent de raisonner. De plus, il est certain qu’elle est la détentrice de cette odeur particulière de camomille.
— Maintenant…Donnez-moi les clés.
Encore un ordre claquant qui l’étonne, car il sait de quelles clés il est question. Mais pourquoi faire ?
Que se passe-t-il au juste ? se répète-t-il, avant de sentir l'approche d'une tierce personne.
Après un moment inexprimé, des mains froides se posent sur ses épaules nues et l’invite à se lever du bois humide et tacheté de son sang. Sans contrainte, il se laisse faire, déconcerté. Une fois debout, il ne retient pas une grimace en sentant ses membres lourds et ankylosés crier à l’outrance d’être restés dans l’inertie.
La tête basse, ses yeux se fixent sur le bas d’une cape en velours d’un noir impénétrable. Ils remontent, assez pour apercevoir les mains qui l’ont relevé. Elles sont fines, aux ongles colorés du même rouge que le sang.
Une autre femme, constate-t-il.
En se focalisant sur elle, et les sens bien moins embrouillés, il arrive à ressentir son aura. Il la trouve moins captivante que celle perçue plus tôt. Et elle dégage des effluves s'apparentant à de la réglisse. Bien que cette odeur n'est pas désagréable en soi. Étrangement, il préfère celle qui le tourmente de bien des façons. La camomille.
La certitude n’est plus de mise, lorsqu’il s’en retrouve totalement imprégné à l’instant où une cape du même coloris de l’autre femme le recouvre.
Qui sont-elles ? Notamment la première, celle qui l’oppresse et intime la peur chez ses persécuteurs.
Kieran est dépassé par la situation. Et au moment où des doigts d’une infinie douceur se posent sous son menton, puis lui relèvent la tête gardée basse, son cœur fait une embardée brutale.
Il se retrouve projeté dans un endroit longtemps imaginé et rêvé. Une forêt verdoyante au climat apaisant, doux, et empli de sérénité. Un lieu dans lequel il se voit, un grand sourire sur les lèvres, parcourir de ses pieds nus l’herbe fraîche. La sentir glisser entre ses orteils. La respirer d’une grande goulée et s’en gorger sans jamais s’en rassasier.
Bien malgré lui, son corps le sort de sa torpeur dans un soubresaut à peine contrôlé dû à l’irritation du tissu de la cape contre ses chairs à vifs. Il grimace sous la douleur, tout comme à la sensation de son sang qui continue de s’échapper en abondance de ses plaies béantes.
— On s’en va !
La jeune femme aux yeux verts se détourne de lui et la deuxième l’incite à prendre un point d’appui sur ses épaules. D’abord réticent, il finit par concéder sous son regard insistant. De toute façon, il n’a pas la force de rétorquer ou de se battre une nouvelle fois.
Tout de même ! Qu’est-ce qu’il me prend d’accepter l’aide d’un membre du clan ennemi ? Et comptent-t-elles vraiment m’emporter avec elles, hors de ses murs ? Où ? Pourquoi ?
Ces interrogations le poursuivent jusqu’à ce qu’il soit mis au-devant des deux grandes portes ouvertes de la pénitence.
Là, à quelques mètres devant lui, se trouve la liberté longtemps désirée. Et maintenant qu’il y fait face, des vives émotions le prennent aux tripes. Il a envie de hurler, de rire, et même de pleurer. Pourtant, il ne sait pas ce qu’il attend une fois ces portes franchies. Surtout lorsqu’ils interceptent les iris incandescentes et oniriques que la jeune femme pose sur lui.
Une main sur son dos blessé l'en détourne et l’intime d’avancer.
Le cœur battant, il amorce un pas, puis un autre, et encore un autre sous le regard ébaubi des Officiers et des surveillants présents dans la petite cour.
En dehors de sa funeste prison, Kieran s’arrête soudain, lève la tête vers le ciel. Il n'est pas si différent de celui vers lequel il s’est de nombreuses fois retourné afin d’y trouver du réconfort. Pourtant, à cet instant précis, malgré la grisâtre, le manque de luminosité, l’annonce d’une pluie glaçante, il le trouve magnifique.
Il ferme les yeux et relâche la pression accumulée durant toutes ses années endurantes. Et pour la première fois, et sans se soucier de l’après, il laisse son corps et son esprit plus clair répondre à cet appel.
Sous les yeux inquiets des deux femmes, il chancelle d’un côté et de l’autre, puis bascule en avant. Mais avant même qu’il ne touche la surface de terre fraîche et mouillée, deux bras l’entourent.
Le visage enfoui dans la chevelure sombre de cette femme providentielle et à la douce senteur de camomille, il ne cherche pas à s’en départir. Ni à se battre contre l’inconscience qui le gagne et l’emporte. Et la seule pensée qui l’accompagne, est que finalement, il y a peut-être autre chose que la Mort et un simple espoir fou pour lui.
Mais doit-il pour autant se reposer sur cette incertitude ?
À suivre...
7 commentaires
mariecolley
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Il y a un an
Shaddie.M Lynss
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Il y a un an
Bonnie
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Il y a un an
Shaddie.M Lynss
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Il y a un an