Fyctia
Chapitre 18
Je l'observe, je noie mon regard dans ses iris. J'espère entrevoir un moment de faiblesse, mais rien, elle est déterminée. Elle pourrait presque me faire peur. Ses sourcils sont froncés, ses yeux me fixent, sa bouche est pincée. Elle est en position de force et je déteste ça. Je dois inverser les rôles. Le serveur arrive et coupe notre combat de regard pour prendre notre commande avant de repartir. Je me relance dans l'océan qui fait face à moi. Une lueur brille, celle de l'espoir. Qu'espère-t-elle ? Je vais anéantir ses espoirs, je veux anéantir ses espoirs. Il n'y a pas de place pour l'optimisme dans ce monde, ni pour les humains fragiles comme elle. C'est pourtant un sentiment contradictoire qui prend possession non seulement de mon corps, mais aussi de mes pensées. J'aimerai pouvoir attiser cette flamme autant que j'aimerai pouvoir la détruire. Je dois me reprendre, je le sais. Elle a un pouvoir que je ne saurai nommer et c'est ce qui me fait peur. Elle m'affaiblit. À force de trop jouer avec le feu, je vais finir par me brûler. En attendant, je vais utiliser ce feu pour mes fins personnels : incendier ses ailes.
— Vous devriez pourtant savoir que je suis celui qui déplace les pions sur l'échiquier, insisté-je.
— Vous n'êtes pas sans savoir qu'il faut deux joueurs pour jouer aux échecs. Quelle est votre couleur ?
Elle n'a pas tort, même s'il est possible de jouer en solo, c'est bien ce que je fais, mais cette question me surprend. J'utilise les deux, mais je m'identifie souvent aux pions noirs, car tout en moi est sombre, mes cheveux, mes yeux, mes habits, mes pensées et même mon sang. Rien n'est lumière et plus je m'approcherai d'elle, plus j'aurai cette possibilité de l'engloutir dans mes ténèbres. Cette finalité, c'est celle-ci que je veux et c'est celle que j'aurai quoi qu'il en coûte. Je ne sais pas pourquoi elle m'obsède autant, pourquoi je veux la faire couler, mais j'en ressens le besoin. Égoïstement, elle sera ma prisonnière, elle sera mienne et elle deviendra aussi perdue que je le suis. C'est donc bien le noir qui me correspond.
— Les pions noirs.
— Je comprends. Pourtant, ce n'est qu'une couleur sur un pion en bois. Si je prends ces pions noirs et que j'ai les peint en blanc, ils ne seront plus de la même couleur. Changeriez-vous donc vos pions contre ceux originellement blancs afin de les recourir d'une couche de peinture noire ?
Que me sort-elle ? Où veut-elle en venir ? Essaie-t-elle de jouer la carte de la psychologie contre moi ? Je ne peux pas la laisser me prendre dans mes filets, je dois me sortir de cette illusion qui me semble être une impasse en tout point. Quoique je réponde, elle aura sûrement quelque chose à redire, pourtant, je ne peux pas non plus ne rien répondre.
— Je ne changerai pas de pions. Je garderai ceux qui avaient le cœur sombre.
— Hum... Alors pourquoi avoir choisi les pions noirs au début ?
Je dois mentir.
— Parce que j'ai la galanterie de vous laisser jouer en première.
Elle marque une pause, comme si elle réfléchissait. Elle finit par esquisser un faible sourire.
— Vous me promettez que vous honorerez votre promesse ? Vous me laisserez tranquille ?
— Si c'est ce que vous souhaitez.
Je ne la laisserai pas s'éclipser de ma vie tant que je n'aurai pas obtenu ce que je veux. C'est un demi-mensonge, donc une demi-vérité. Elle ne m'en voudra qu'à moitié. Si mon plan fonctionne, j'aurai peut-être plus de chance de l'obtenir rapidement.
— Bien.
Nous dégustons nos plats enfin arrivés, je serre le vin à plusieurs reprises et en recommande une autre que nous viderons avant la fin du dîner. Avant de quitter le restaurant, elle récupère ses affaires, je pars payer et nous sortons pour retrouver la fraîcheur du soir et de la nuit qui s'abat sur nous. Il fait sombre, je me sens moi-même, plus fort. Elle n'a pas l'air d'avoir tenu l'alcool. Elle boîte et ses chaussures avec de faibles talons arrivent à la faire trébucher. Elle s'affale sans aucune grâce sur l'asphalte. Je soupire et me décide à l'aider à se relever. Elle rigole, elle se marre toute seule. Sérieusement ? Elle est torchée avec du vin ? Même si c'était l'idée du dîner, je ne pensais pas qu'elle aurait été aussi défoncée. Elle avait pourtant l'air de plutôt bien tenir l'alcool. Elle s'agrippe à mes épaules, sur ma veste en cuir noir, un bout de sa poitrine appuyé contre la mienne, mon bras droit la soutenant. Nos visages sont proches, elle arrête de rire et entre son regard dans le mien. Même dans cet état, elle semble sonder mon âme. Cette façon de m'observer me fait perdre mon contrôle. Pour qui se prend-elle ? Je suis celui qui mène la danse. Mon cœur décide de cogner contre ma cage thoracique, mes pulsions s'accentuent et mes lèvres viennent se poser sur les siennes sans que je puisse m'arrêter. Je suis indéniablement attiré par cette couleur rosée qui me fait de l’œil depuis le début du dîner. Je tente une approche pour faire entrer ma langue dans sa bouche. Elle n'opère aucune résistance. Je caresse la sienne dans des mouvements rythmés. Nous mélangeons nos salives qui s'accordent avec délice.
Malgré l'effort quasiment surhumain que je dois faire, je m'écarte d'elle. Ses yeux sont humides. Je la guide jusqu'à ma moto, je sors un second casque de mon sac et lui enfile avant de faire de même avec le mien. Je m'installe sur ma bécane, entre la clef et fait vrombir le moteur. Je n'ai même pas besoin de l'inviter à se mettre derrière moi, elle semble avoir compris seule. Elle place ses bras fins autour de mes hanches et pose sa tête contre mon dos. Un frisson tout entier me parcourt. Ce n'est pas la première fois qu'une femme me prend dans ses bras par derrière, pourtant, ce geste a fait réagir une sensation étrange le long de ma colonne vertébrale. Je démarre et me dirige vers mon appartement, au beau milieu du centre-ville. Je garde toujours un œil sur elle avec mes rétros pour être sûr qu'elle ne tombe pas sous l'effet de l'alcool. Je me gare et nous descendons du véhicule. Je remets les casques dans mon sac de transport et lui prends la main pour l'aider à se diriger vers l'entrée de l'immeuble. Nous prenons l'ascenseur et une fois au septième étage, je la diriger vers la porte de mon appart. Je l'ouvre et nous entrons.
— Vous voulez boire quelque chose ? lui demandé-je.
— Hmm... Oui... Une bière.
Mes yeux s'écarquillent. Encore de l'alcool ? Ce n'est pas très sérieux. Tout homme gentleman, d'esprit sain et attentionné refuserait de lui servir cette boisson. Mais je ne suis pas ce genre de mec. Alors je sors deux bières du frigo, les décapsule et lui tends l'une des bouteilles. Elle boit avec moi sans dire un seul mot. A-t-elle conscience seulement une seconde d'où elle se trouve ? Je n'en ai pas l'impression et c'est parfait pour mettre mon plan à exécution. Je suis un connard, oui, mais jusqu'au bout. Je ne vais pas me dégonfler, car j'ai hâte de voir son joli minois perdu, demain matin, lorsqu'elle sera à nouveau sobre. J'en ris d'avance.
14 commentaires
coeurimpulsif
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Il y a 4 ans
Zoé Sonobe (zizogoto)
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Il y a 4 ans
Jane Valloise
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Il y a 4 ans
Zoé Sonobe (zizogoto)
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Il y a 4 ans
patoche
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Il y a 4 ans
Zoé Sonobe (zizogoto)
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Il y a 4 ans
Idylyne.B
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Il y a 4 ans
Zoé Sonobe (zizogoto)
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Il y a 4 ans
Nathalie F.
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Il y a 4 ans
Zoé Sonobe (zizogoto)
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Il y a 4 ans