Fyctia
Chapitre 9 — partie 3/3
Elle sursaute.
Chris est ici.
Le verre se fracasse par terre. Elle secoue la tête, se frotte les yeux et rit jaune. Ce n’était pas Chris. Juste son propre reflet.
Eh oui, comme on dit, à quelque chose malheur est bon : le cadavre décapité de Croupy gît toujours là. Sur le plan de travail.
La main d’Élodie s’enfonce au cœur de la peluche et en tire un second sachet d’herbe. Elle se roule un joint et attend le retour promis de Stéphane. Si Chris disait vrai, il ne devrait pas tarder.
En parlant du loup : « Un nouveau message de Stéphane : »
L’œil d’Élodie vise le bouton « répondre ». Mais, ses appareils ne lui répondent plus. Résignée, elle hausse les épaules et commence à nettoyer tant bien que mal — sans oublier de traîner des pieds. D’abord le verre, une large partie du capharnaüm et enfin les tas de vêtements éparpillés.
Avec sa montagne de textile dans les mains, elle passe devant le miroir de la salle de bain. Sweat à capuche, cernes marqués, pas de maquillage, pupilles dilatées. Ses mâchoires se contractent, ses phalanges craquent. Face à cette réplique féminine de « Chris », elle éructe un « parfait ». Elle ne se verra pas accorder le luxe d’y changer quoi que ce soit. Trois coups à la porte.
Elle allume un autre pétard avant d’entrouvrir. Il s’agit de Stéphane.
— Oui ?
— Tout… va bien, Élodie ?
Ses yeux jaunes glissent sur le joint. Il fronce les sourcils.
— Tu veux venir prendre l’air ? Ça devrait… te faire du bien, ajoute-t-il, l’air penaud.
— Désolée… mais… non. J’sais foutre rien de ce que tu fais ici.
— Tu m’as envoyé un message… bizarre, tout à l’heure.
— Ah ouais ? Et qu’est-ce que je t’ai envoyé ?
— Que tu n’allais pas bien. Que tu avais envie de tout plaquer. J’ai… j’ai eu peur que tu… parles de… suicide.
Il déglutit, elle tire une barre — et souffle la fumée dehors.
— Tu es certaine de ne pas vouloir sortir ? Prendre… un peu l’air ?
Elle lève les yeux au ciel, ouvre la porte en grand et lui fait signe d’entrer — non sans frissonner.
Il passe le seuil, le dos voûté.
Après un long silence gênant, les deux se sont installés l’un en face de l’autre. Lui légèrement incliné, bras sur les genoux et poing sous le menton. Elle, enfoncée dans le canapé, le visage penché sur la droite, son pied bat la mesure. Tic ! Tac !
Ils se regardent en chiens de faïence.
— Je peux savoir pourquoi t’as eu peur que je me suicide ? s’enquiert-elle en écrasant son mégot dans un cendrier.
— Mon premier époux… nous a quittés…
Il inspire longuement.
— Quand nous nous sommes mariés, nous avions tout juste dix-huit ans. La vie était rude. Je commençais à peine mes études. Il était réfugié politique. Et contrairement à ce que nous pensions, le mariage ne l’a pas aidé à obtenir des papiers.
Une larme s’engage au bord de sa paupière.
— Et… entre la pauvreté et la clandestinité. La souffrance était… trop forte. Vraiment trop forte pour lui. Un soir, en rentrant d’un examen, je l’ai retrouvé…
Il ne termine pas sa phrase. Son visage est maintenant déformé. La peine ? La honte ? Qu’importe. Une vague salée envahit ses joues, ses narines. Et celles d’Élodie.
Et ils restent là, immobiles, mutiques. Ils n’osent même pas échanger un regard. Ce sera Élodie qui brisera le silence.
— Quelqu’un… me veut du mal…
Une ride se forme sur le front de Stéphane, qui devient blême.
— Il connaît… mon passé. Cet enfoiré se fait appeler Chris. Il joue avec moi. Il se fait passer pour mes contacts, pour… ma famille. Ce petit con a hacké tous mes appareils… y compris cette… merde, affirme-t-elle en pointant le NostalgIA du doigt.
Stéphane écarquille les yeux et secoue la tête.
— Et voilà… j’en étais sûre. J’aurais dû fermer ma grande gueule. Évidemment, tu ne me crois pas.
— Ce n’est pas ça. Je suis surtout surpris que tu sembles n’en avoir rien à faire que je sois bisexuel.
— Que tu sois bi ?!
Les joues d’Élodie sont presque aussi rouges et chaudes que les résistances d’un four thermostat huit. Et ses jointures plus blanches que les défenses d’un éléphant d’Afrique.
— Mais qu’est-ce que je peux en avoir à foutre que tu sois bi ! Je te dis qu’on me menace physiquement et toi… toi ! Tu ramènes les trucs à ton petit nombril ?! J’y crois pas…
Une nouvelle fois, il contemple ses chaussures.
— Tu croyais que j’allais te donner la Légion d’honneur ? Putain, les mecs, tous les mêmes…
— C’est… Je trouvais… juste un peu… enfin… un peu… fou… voilà, quoi. Je suis désolé, je n’aurais pas dû parler de moi.
— Fou ?! Je rêve, là ? Sérieux, tu serais pas en train de me coller une camisole ? C’est ça ?
— Il faut comprendre que… tes propos sont assez… incohérents. Et Zoé, quand elle m’a demandé de venir au commissariat de Paradis, elle m’a prévenu que t’avais fait une sorte de… méchant bad trip. Je voulais… juste… détourner la conversation de ta… psychose.
— Putain ! Une psychose maintenant ! C’est la meilleure…
Elle se masse le front.
— … une putain de psychose, grommelle-t-elle entre ses dents.
— Tu sais, quand mon premier mari est décédé, j’ai… vu un psy. Et franchement, il m’a énormément aidé. Si tu veux, je t’oblige à rien, je peux t’envoyer son adresse et son contact…
Elle refuse d’un signe de tête, mais il transmet malgré tout les coordonnées.
— Putain ! Mais j’suis pas folle… je… sais ce que j’dis ! J’vais te le prouver…
Elle parcourt son historique et s’arrête net. Quelques secondes. Juste le temps de réaliser que Chris ne lui en bloque plus l’accès. Son estomac se noue. Elle comprend qu’elle a bien envoyé à Zoé :
— C’est pas possible…
— Qu’est-ce qu’il y a ? s’inquiète Stéphane.
Elle regarde les deux screenshots pour sa sœur. Sur chacun, elle lit : « Laisse Élodie et Stéphane seuls ! Chris. »
— Je… non… non… c’est pas vrai ?
— Élodie, ça va ?
— Ferme ta gueule, toi !
Son œil scanne le fil des autres conversations. Aucun message signé « Chris ». Zéro. Nada. Ni de Nourredine ni de sa cadette ni même de Stéphane. Hormis celui que ses USS ont transmis à Zoé.
Le coup de grâce : le dernier en date pour Stéphane :
Sa main agrippe fermement une large mèche de cheveux. Elle tire, elle serre, elle noue. Vers la gauche. Vers la droite. Un ersatz de mouvement erratique. Tic ! Tac ! Stéphane, lui, tient du hibou hagard et du chien battu. Mâchoire molle, regard ébahi.
Face à ce masque d’ahuri, ses doigts s’emparent du cendrier et le jettent à l’opposé. En direction de l’horloge. Tic ! Tac ! Nul doute que Chris aurait été plus adroit. Elle rate sa cible.
Il y aura donc d’autres tessons à ramasser ce soir.
43 commentaires
Vince Black
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Il y a 19 jours
Anthony Dabsal
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Il y a 19 jours
Louisa Manel
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Il y a 23 jours
Anthony Dabsal
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Gottesmann Pascal
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Flopinette
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Anthony Dabsal
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Il y a 24 jours