Fyctia

J’essaie de me concentrer sur mon plat fumant, mais c’est devenu difficile, depuis qu’Austin s’est mis en tête d’animer ma soirée en me provoquant. Les attablés comptent les points entre deux piques et deux coups de genoux, c’est monsieur Evans qui est en tête.

Comme toujours, non ?

-Bon les gars ça suffit là ! Vous êtes lourds, on dirait deux ados ! s’exclame Madoka, exaspérée.

Miranda remercie sa sauveuse d’un mouvement de tête, et entame enfin sa soupe Tom Ka Gai*. J’ai lâché un petit sourire quand elle l'a choisi. Faut dire que la composition est assez atypique, un peu comme elle.

Alors que tout est à peu près calme, Austin recommence son numéro de dragueur du dimanche :

-Miranda, tu veux goûter ? demande-t-il

-Non mer-

-Mais fout lui la paix un peu ! T’es pire qu’une sangsue ma parole ! je peste

-Tu t’es vu ? Alors, boucle la.

-Ça suffit ! nous réprime Mira.Vous ne pouvez pas arrêter de vous chamailler, l’espace d’un repas ?

J’ai l’impression qu’elle dispute deux enfants, Austin baisse la tête, un peu honteux, pendant que je me fend la poire ! Je sens un léger coup de pied, m’incitant à cesser mes enfantillages. Je rends son geste à la concernée dans la seconde. Pour embêter un peu plus cette chère Miranda, je touche son mollet avec ma chaussure et elle me foudroie du regard, ce qui fait redoubler mon rire.

-Connor, arrête... chuchote-t-elle

-Je trouve ça marrant, pas toi ?

-Non c’est déplacé et non professionnel !

J’étire mes lèvres et lui fais un clin d’œil. Ses petites joues se mettent à flamber. Austin fulmine à ses côtés, on dirait qu'il s’apprête à me planter sa fourchette dans l’œil.

J’aime les pousser à bout.

-On est pas entre employés et patron... On est entre amis, je susurre à Miranda

Elle avale de travers sa soupe, le piment doit lui incendier la gorge, car elle tousse comme un chauffe-eau en fin de vie.

Je souris, et ses deux iris se posent sur moi, en m’indiquant qu’intérieurement, elle me traite de tous les noms.

Puis d’un seul coup elle se lève en s’excusant. Je crois que j’ai un peu trop joué avec elle, ce soir...

Madoka me regarde en fronçant les sourcils et me fait signe de rester à ma place, sagement.

-T’as fais quoi encore ? grogne Austin

-Cette fois, rien !

Enfin, à moitié. Après dix bonnes minutes, elle revient un peu titubante, les yeux gonflés. À sa place, elle se penche vers ma préparatrice pour lui chuchoter quelques mots.

Je veux savoir ce qu’elle lui dit ! Pourquoi tant de mystère ?

Dans un geste délicat, elle fait glisser son doigt sous son œil perlé. J’essaie de comprendre, mais à part du brouillard, rien ne me vient en aide. Elle répond à mon interrogation par un sourire pincé et salé. Bon, au moins, je n’y suis pour rien, sinon elle m’aurait mitraillé du regard.

Après le dessert de Lola et Madoka, Hector décrète qu’il est temps d’y aller.

J’essaie de choper Miranda au passage, pour avoir une discussion.

-Hey, viens ici toi... je l’interpelle en prenant sa natte en otage.

-Qu’est-ce qu’il y a ? questionne-t-elle avec toute l’innocence du monde.

-Je te retourne la question ?

Elle baisse les yeux et essaie de me filer entre les doigts, sauf que, manque de chance pour elle, je l’attrape in extremis.

De nouveau face à moi, elle soupire lourdement en regardant la fenêtre, où l’on aperçoit le reste du groupe monter en voiture.

-Dépêche toi, sinon on rentre à pied ! Et je ne te porterai pas !

-Quel dommage ! Ça t’aurait fait travailler les bras ! glousse-t-elle timidement

-Parce que mes bras ne sont pas assez travaillés ? Et ne change pas de sujet !

Déçue d’être démasquée, elle se mord la lèvre inférieure. Je vais finir par prendre ce geste pour une invitation !

Le klaxon du chauffeur et les grands gestes agacés d’Hector l’empêche de commencer son récit. Un sourire soulagé se forme sur ses lèvres fines et meurtries, avant qu'elle enfile sa veste.

-Je te raconterai à l’hôtel... ou pas !

Tu ne perds rien pour attendre, toi. Elle s’échappe pour de bon ; son sourire éblouit tout le parking, sous la lumière des spots. Mes yeux ont presque du mal à soutenir leur regard sur ce spectacle.

J’attrape ma veste à mon tour et rejoins le reste du peuple, avant que les journalistes aperçoivent le saint Graal que je suis.

Je me surprends à faire taper mon pied contre le sol de la voiture. Je ne fais ça que lorsque que l’impatience d’un combat est trop grande.

-Connor, demain, entraînement intensif ! Faut éliminer le repas, annonce Mado

-Tu dis ça pour moi ou pour toi ?

-Espèce de p’tit con !

Une Madoka offusquée est une Madoka à mourir de rire ! Elle va ruminer et râler pendant tout le trajet, pour mon plus grand bonheur. Elle pince la cuisse de Miranda, qui couine de surprise.

-Pourquoi est-ce que tu me pinces ? se plaint-elle

-Parce que tu ne prends pas mon parti devant cet odieux personnage !

-Que veux-tu que je fasse ? Je...

-Tu vois bien qu’elle est d’accord avec moi ! j’enchaîne

Deux bouches grandes ouvertes me sont offertes sur un plateau. La demoiselle aux yeux bleus me regarde d’un œil sombre et prépare sa vengeance, qui sera sans nul doute terrible. Celle aux iris noisettes me fixe, paniquée et outrée d’être mise dans le même bateau que moi.

-Je refuse que tu me prennes à parti !

-J’ai pris ta défense devant Hector, quand t’es partie avec l’autre gringalet ! À charge de revanche, chérie.

-Mais tu es terrible, ma parole ! elle souffle, exaspérée

-Bon ça suffit, tous les deux ! Arrêtez de vous chamailler, bande de gosses irrespectueux de leurs aînés ! boude Madoka

Miranda lui sourit et elle se prend une pichenette sur le nez. Le reste du trajet est relativement calme. À l’hôtel, Madoka marche côte à côte avec l'actuel centre de mon intérêt.

On est censés avoir une discussion, elle et moi, mais avec son garde du corps qui va me mordre dès que je vais poser une question, ça va être irréalisable.

Madoka, je t’adore, mais tu me gênes.

-Tu veux pas qu’on aille courir ?

-Maintenant ?

-Ouais, je me sens lourd, j’insiste

-Ok, ok, je monte enfiler un jogging. Je te rejoins. Bisous Mira !

Elle lui embrasse la joue et se précipite dans les escaliers. Comment se débarrasser d’un élément perturbateur en moins de deux.

-Très subtil, Connor.

-T’as pas cru que tu allais te défiler quand même ?

-Oh non, t’échapper, toi et tes questions, est devenu mission impossible.

-Tu le reconnais, ça m’évite de te le faire assimiler ! Alors ?

Elle s’avance vers l’ascenseur et appuie sur le bouton de son étage.

-J’ai eu un coup de déprime, plein de choses me sont revenues en pleine figure et je me suis sentie à l’étroit...

-Et qu’est-ce que tu as dis à Mado ?

-Ça, Connor. Ça ne te regarde pas, Me sourit-elle

Dans l’ascenseur, elle me fait un signe de la main et les portes se referment, me laissant en plan.

Au même moment, ma préparatrice arrive, en jogging rose fluo.

Un jour, Mira, un jour, je saurai.

Et s’il faut que j’incendie un hôtel pour ça, je le ferais. Avec le con de blondinet en prime.