Fyctia

Spencer

Tous les regards alternent entre Tom et moi. Durant ces deux dernières minutes, je me suis senti proche de Jayden. Il a compris, par mon silence, que Kiara avait atteint ma limite concernant les questions sur ma vie privée et a mis fin à cet interrogatoire. J’ai eu l’impression d’être compris, d’être de retour à quelques soirs de là, et le surnom que je lui ai trouvé sans le vouloir m’a échappé.

Qu’est-ce qu’il m’a pris d’utiliser ce surnom tout à coup ?

Cela ne plaît visiblement pas à Tom. Il maintient mon regard, et je ne sais plus où me mettre. Je joue avec mes bagues pour faire quelque chose de mes dix doigts.

À côté de moi, Jayden gesticule et rougit.

— D’où vient ce surnom, Jayjay ? demande Kiara.

— C’est… Jeudi soir, Spencer m’a fait une mauvaise blague et je suis venu au parc pour souffler, mais il m’a suivi et… Enfin, il a voulu dire mon prénom, et je l’ai coupé en plein milieu, ce qui a donné “Jay”. Je lui ai dit que j’aimais bien ce surnom. Ça s’arrête là pour l’histoire.

— C’est trop mignon, en fait ! Mais je n’étais pas au courant de cette histoire ?

Jay bafouille et lui raconte mon manque de jugeote flagrant. Elle se marre un peu en secouant la tête. Je laisse retomber ma tête contre le tronc, et repense à l’heure assez agréable qu’on a tout de même passée après cette petite tempête.

Tom reste cependant sceptique face à ces explications, mais Kiara prend sa main.

— C’est vraiment involontaire de la part de Spencer, alors n’en parlons plus. Et de toute façon, tout le monde donne un surnom à Jayden un jour ou l’autre, avec sa bouille de bébé ! proclame-t-elle.

Pour le coup, je suis heureux qu’elle soit intervenue. Jay sourit à ses meilleurs amis puis se lève. Cela aurait dû être à son tour de jouer contre Kiara, mais il dépoussière ses fesses pourtant à l'abri sur mon sweat et s’étire.

— Le foulard, je suppose que c’est pour jouer à Colin-Mayard ? dit-il en faisant face à Kiara.

— Exactement… roucoule-t-elle.

— Allez, debout !

Jayden aide Tom à se relever, Kiara me tend les siennes pour qu’on s’aide mutuellement. Tout à coup, le foulard est devant mes yeux, seuls quelques points lumineux parviennent jusqu’à mes yeux.

— Tu vois quelque chose ? me demande la voix amusée de Jay.

— C’est tout jaune, ris-je.

Ils rient avec moi. Leurs mains se posent sur mes épaules, ils me font tourner plus qu’il n’est normalement nécessaire.

— Bon, bah à toi de nous trouver, maintenant, me dit Tom. Bon courage.

J’attends que le tournis me passe, puis je tente d’affuter mon ouïe. J’entends les oiseaux piailler gaiement, les enfants crier et hurler à plein poumons, les parents les sermonner de faire attention aux gens, le vent s’infiltrer dans les feuilles des arbres, quelques voitures et klaxons au loin.

L’odeur aussi me semble plus présente. Le vent qui amène une faible effluve d’essence, l’herbe fraîchement humide de la rosée du matin, et un peu plus subtilement, le parfum que je sens tous les jours depuis quatre jours : celui de Kiara.

Je m’avance donc vers la provenance de ce parfum, les mains en avant pour ne pas me prendre un arbre dans la gueule. Je fais aussi attention, puisque nous sommes sur une pente, de ne pas me prendre les pieds dans une racine ou une motte de terre.

Le rire de Kiara m’arrive aux oreilles quand ma main frôle ses cheveux. Je grimace un sourire, et essaie de la rattraper comme je peux. Elle hurle lorsque je la coince entre mes bras.

— Tu m’as eu…

— J’ai senti ton parfum, avec le vent.

— Ah… J’ai hésité à en mettre, j’ai pris la mauvaise décision…

Je secoue la tête et me reconcentre pour trouver les deux garçons. Avec mon propre parfum, difficile de savoir si l’odeur que je sens m’appartient ou non, donc je décide de marcher un peu à l’aveugle – sans mauvais jeu de mot – et essaie d’entendre du mouvement. J’entends une respiration à ma gauche, et sans montrer le moindre signe préalable, me jette sur la personne pour qu’elle n’ait pas le temps de m'échapper.

— Bordel, je ne faisais même pas de bruit ! se plaint Tom. Chaton, t’es le dernier, t’as pas intérêt à te faire choper ! crie-t-il à l’attention de Jay.

Je n’entends pas de réponse, donc je suppose qu’il répond par un simple geste. J’espérais naïvement qu’il réponde, me permettant de savoir dans quelle direction me rendre ensuite, mais c’est un petit malin. Je souris, prêt à relever ce défi.

Étant allé tout droit et à gauche, je me prépare à me rendre sur ma droite, mais un petit ricanement me fait me retourner vers l’arbre. Dans mon dos, le rire s'atténue.

Je m’y rend lentement, les mains devant moi. J’avance, assez sûr de moi. J’aurais dû me douter qu’il ne bougerait pas de l’arbre. C’est son refuge, après tout.

Ma main s’appuie contre le tronc, à hauteur de mes épaules. Si Jay était là, je l’aurais touché. Mais comme j’ai bougé, peut-être ne suis-je plus au même endroit qu’à mon départ, et peut-être s’est-il déplacé entre-temps. Je suis le bois, faisant presque le tour du gros arbre, lorsque je sens la chaleur d’un corps près de moi.

— Jay ? chuchoté-je.

Il ne répond pas, mais j’entends des pas reculer aussi lentement que j’avance. Je mords ma lèvre, jouant avec mon piercing, et accélère petit à petit. Puis je prends de l’élan et cours, tant pis si je me ramasse. Le rire de Jay éclate à quelques pas de moi, alors je m’élance et effectue un placage de rugbyman. On atterrit au sol dans un bruit sourd, moi au-dessus de lui.

Sans bouger, je retire le foulard, le gardant presque comme bandana. Mes yeux rencontrent aussitôt les billes vertes de Jay, malicieuses.

— Trouvé…, soufflé-je.

Son torse se soulève au même rythme que le mien. Je peine à lâcher son regard hypnotisant, mais je finis par me redresser. Il me tend la main, alors je le tire vers moi. Il percute mon torse puis recule, le visage rosit.

— Tu m’as trouvé.

— Il faut croire que ça devient une habitude.

On se sourit mutuellement. Tom et Kiara nous rejoignent, et c’est au tour de la brune, première à avoir été attrapée, de devoir jouer l’aveugle.