Zoé Sonobe (zizogoto) Mon album de souvenirs inachevés Photo 8 - Mes paysages

Photo 8 - Mes paysages

On a tous besoin de repères pour évoluer. Mon plus grand repère est tout simplement ce qui m'entoure. Tous les paysages que je côtoie depuis toute petite. De la ferme de mes parents, aux écoles dans lesquelles j'ai étudié en passant par la maison de mes grands-parents. J'ai énormément de souvenir de cette ferme. J'y ai passé tellement de temps que je serai capable d'énumérer le moindre détail. J'avais des vaches, elles portaient toutes un nom, j'arrivais à les distinguer avec leurs tâches noires sur leur dos. L'une d'elle avait un œil tout noir, elle s'appelait Angéline, elle me faisait beaucoup rire, elle se frottait souvent la tête contre le chêne de la prairie. Lorsque je venais à leur rencontre, elles accouraient toutes vers moi. Je pouvais rester des heures à les contempler tout en leur parlant. Je leur racontais ce que j'avais fait dans la journée, je leur posais des questions sur la vie, je discutais tout simplement. Elles étaient comme des meilleures amies qui ne répéteront jamais mes secrets. Cette ferme est vraiment mon plus grand repère. C'est le paysage que je n'oublierai jamais. C'est là où je suis née, dans l'étable d'ailleurs. Ma mère s'occupait des poules lorsqu'elle a perdu les eaux. Mon père avait eu un accident la veille avec la camionnette et elle n'a pas eu d'autres choix que d'accoucher parmi les animaux. Je suis un deuxième Jésus. Je ne peux donc qu'attitrer à cette ferme le nom de ma terre natale puisque c'est exactement sur ces deux hectares que je suis née.


Lorsque je reviens de temps en temps dans cette ferme, j'ai l'impression de retourner au moment où je n'avais encore que six ans. C'est comme si mes souvenirs revenaient peu à peu. Ce lieu est beaucoup trop important à mes yeux. J'aimerai pouvoir m'y rendre plus souvent. C'est tellement nostalgique de revenir que j'en ai les larmes aux yeux à chaque fois. Je me sens comme obligée de tout détailler du regard pour être sûre que je ne suis pas dans un rêve et que rien n'a changé depuis que je suis venue ici pour la dernière fois. J'aime tellement cette ferme que je ne sais pas si je suis faite pour vivre sans elle. J'aimerai voyager, mais si je me retrouve à des kilomètres d'ici sans avoir la possibilité de revenir dans les plus brefs délais, je serais sûrement malheureuse. Je ne saurai dire pourquoi j'aime cette ferme, elle n'a rien d'extraordinaire au fond, elle est même pas mal délabrée. La plupart des toits sont quasiment effondrés et certaines clôtures ne tiennent même plus à force d'être arrachées par les tempêtes hivernales. Ma mère passe son temps à essayer de tout réparer, heureusement que Joseph vient l'aider de temps en temps. Je vois bien qu'il a le béguin pour ma mère mais je pense qu'il n'ose pas aller vers elle. Il aime passer la plupart de son temps ici, auprès d'elle, dans la boue. Il y a bien plus romantique, mais il y a aussi beaucoup moins drôle. Jamais je ne me déferai de cette ferme, si ma mère souhaite la vendre, j'essaierai de la racheter. Elle a trop d'importance sentimentale à mes yeux.


Mon école primaire est aussi un bon point de repère que je ne peux pas oublier. J'y suis revenue une fois, en tant que stagiaire, l'effet a été surprenant. Je me revoyais, gamine, en train de courir dans la cour avec ma meilleure amie de l'époque pour battre des méchants invisibles avec des brindilles qui nous servaient de baguettes magiques. Que de beaux souvenirs, ancrés à des lieux que je ne pourrais pas toujours rendre visite. Ce qui a de plus amusant encore, c'est de penser que je ne suis pas la seule à avoir des souvenirs liés à cette école, c'est le cas de chaque élève et de chaque maître ou maîtresse qui y a travailler. C'est un lieu rempli d'histoires en tout genre, tous les anciens élèves ne le voient pas de la même façon. Nous avons tous un regard différent sur un même lieu qui nous a servi pour la même chose. Je trouve ça tellement intéressant.


C'est aussi la même chose pour mon collège et mon lycée et ça le sera également pour mon école supérieure. Tous ces lieux que je traverse au moins une fois dans ma vie me rappelleront toujours une époque ou un moment de ma vie. Je sais que j'ai l'air vieille en parlant ainsi, mais quand on sait que la mort s'approche à grand pas, on ne voit pas les éléments de la même façon. Je vois tout au ralenti, je fais attention à tout ce qui m'entoure sans aucune exception. Même la moindre petite feuille morte qui se détache d'un arbre a une importance majeure pour moi. Je vois la vie différemment, j'ai l'impression de prendre plus goût à la vie que n'importe qui d'autre. C'est assez amusant au fond, on attend souvent le dernier moment pour s'intéresser à des choses que l'on peut voir tous les jours mais que l'on ne se risque pas à observer par manque de temps. Moi, je n'ai plus beaucoup de temps, moins que ces gens-là, pourtant, je ralentis mon mode de vie pour ne rater aucune miette de ce qui se trame dans une journée banale. Tout me semble beaucoup plus harmonieux et joli qu'avant. Quand je retourne dans mes anciennes écoles, je fais attention à tout même ce que je n'avais jamais vu auparavant. Chaque fissure dans les murs compte. Chaque instant de notre vie compte.


Jamais je n'oublierai tous ces paysages qui ont pu être vu par mes yeux. Jamais je ne déciderai de les exterminer de mes pensées. Je veux simplement me rendre compte de tout ce que j'ai pu vivre jusqu'ici sans que je ne me rende vraiment compte de tout ce que j'ai vécu. Finalement, ma vie n'est pas si inintéressante que je le pensais. Du moins, j'espère.

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