Fyctia
Chapitre 17
Apatite : pierre qui stabilise les humeurs, allège la colère, l’irritabilité. Elle évite les réactions excessives.
Les sages de la tribu se réunirent après cette étrange nuit. Certains exigeaient qu’on la tuât (c’était une blanche après tout), d’autres voulaient la bannir craignant qu’elle n’invoquât Iya, monstre malveillant qui apportait les maladies.
Le Shaman prit la parole et raconta ce qu’il avait vu avec un calme charismatique.
—Elle est revenue du monde souterrain où règnent les esprits. Elle est revenue de la vallée peuplée de puissances maléfiques. Wakan Tanka, l’esprit suprême l’a accompagnée et guidée à travers ses rêves. Elle a lutté contre les esprits mauvais, ceux des eaux et des forêts. Elle les a éloignés de nous en les attirant à elle. Si l’automne succédera bientôt à l’été, c’est grâce à elle. Elle peut guérir et voyager au pays des morts. Elle est Wakanda !
Certains hochèrent la tête, d’autres se résignèrent.
Akecheta, le chef du village, décida qu’elle vivrait dans le tipi de la guérisseuse Nokomis. Elle lui offrit des vêtements, lui installa un petit lit de peau et de mousses sèches. C’était une vieille femme voutée à la peau ridée comme un fruit gâté. Elle était douce et hospitalière avec Rébecca et lui fit comprendre par ses attitudes et ses gestes que c’était un honneur de l’accueillir.
Vêtue comme une indienne, Rébecca quitta la vieille femme et observa attentivement la vie qui s’agitait. Une trentaine de tipis formait un village circulaire traversé de petites allées. Des hommes étaient assis près de l’âtre et forgeaient des armes, des femmes tannaient des peaux, d’autres confectionnaient des paniers ou préparaient la nourriture. Une rivière coulait en contre-bas et une forêt se dressait au nord. Elle découvrit Allan qui lui aussi avait revêtu la tenue traditionnelle. Son pouls s’accéléra tandis qu’elle s’approchait de lui. Il était assis en tailleur et palabrait avec d’autres hommes. Elle vint s’asseoir à ses côtés et compris rapidement qu’elle venait de faire un impair au vu des visages accusateurs qui se tournèrent vers elle. Allan salua ses compagnons et l’éloigna en la tirant avec force.
—Tu ne dois pas te joindre aux hommes ainsi et ne t’assois jamais en tailleur : c’est réservé aux hommes. Les femmes s’assoient les jambes sur le côté. Nous sommes en plein conseil de chasse. A cause de la construction du chemin de fer ils ne peuvent plus se déplacer comme avant pour suivre les bisons. Tout est plus compliqué. Nous resterons ici beaucoup plus longtemps que prévu, espérant qu’on ne vienne pas nous déloger encore une fois. Les indiens chassent ensemble pour constituer d’importantes réserves. Les temps froids arriveront tôt cette année. Le Sachem l’a vu.
— Tu parles comme si tu avais toujours été un des leurs ! s’étonna Rébecca
— Cela te déplait ? répliqua-t-il sèchement
— Non, bien sûr que non. Je suis juste déroutée voilà tout ! Mais l’habit te va bien, ajouta-t-elle dans l’espoir de le détendre.
Ses sourcils se froncèrent tant le ton qu’Allan avait utilisé à son encontre était rêche. Elle ne le comprenait décidemment pas. Pourquoi tant de distance et de mépris après ce qu’ils venaient de traverser ensemble ?
— Nous allons tous les deux rester ici maintenant ? demanda-t-elle prudente.
— Moi en tout cas oui. Si tu veux partir, reprends ton cheval, je t’indiquerai la direction à prendre pour retourner auprès des tiens. Lança-t-il froidement.
Profondément touchée par son arrogance, elle sentit une vive émotion refroidir sa poitrine et se propager dans ses veines. Elle préféra se taire mais des larmes naissantes vinrent lui brûler les yeux. Elle détourna le regard et ravala son chagrin.
—Bien. Comme tu ne dis rien j’en conclus que tu restes. Suis-moi que je te parle de la vie d’ici.
Rébecca se risqua à prendre de nouveau la parole :
— Tu parlais d’une grande chasse il y a quelques minutes. Tu en feras partie ?
—Oui. Nous serons une quinzaine à quitter le campement pour plusieurs semaines. Nous partirons chasser le bison et le cerf pendant que d’autres iront faire du troc avec d’autres tribus plus à l’ouest.
Allan enchaina :
—Ici les femmes s’occupent de la cueillette, de la fabrication des vêtements. Elles créent des paniers d’herbes tressées, des bijoux, elles font sécher la viande et prépare les provisions hivernales. Les hommes font la guerre et partent à la chasse : le bison essentiellement mais aussi des blaireaux, des lapins, des écureuils. Le Shaman se prénomme Sachem : il est le chef religieux. Nokomis la guérisseuse s’occupe des maladies du corps. Elle connait les plantes. Elle te guidera même si tu sembles connaitre déjà beaucoup de choses.
Cette dernière phrase fit trembler Rébecca. Elle avait déjà vécu de curieuses expériences dont elle s’était bien cachée de parler à son père. Il lui était arrivé de pressentir des événements ou d’avoir des visions en touchant quelqu’un ou un animal. Elle s’était vue galopant dans les plaines avec Allan et la voilà ici avec lui. Tout ce qu’elle avait pu prendre pour des affabulations de son esprit, des concours de circonstances était peut-être une sensibilité particulièrement aiguisée. Mais le doute l’assaillit :
— Et si je n’y arrivais pas et que le Shaman se trompait ? Que feront-ils de moi ?
— J’ai vraiment confiance en Sachem. Laisse-toi guider et sois toi-même.
Rébecca ressentit une furieuse envie qu’Allan la serre contre lui, la rassure. Elle lui prit la main avec tendresse. Le jeune homme la repoussa et recula :
— Les démonstrations d’affection sont très mal vues. Même les couples ne se prennent pas par la main ni ne s’embrassent. Alors imagine ce qu’on penserait de nous : un homme avec une petite fille qui n’est ni sa sœur ni sa fille.
Une intense colère monta en Rébecca. Elle serra ses poings à s’en blesser.
Allan ajouta une moue d’écœurement à son discours. C’était de trop : elle le gifla avec force. Elle venait d’imprimer sur sa joue l’étendue de toute la peine, de toute l’humiliation qu’il venait de lui infliger.
— Je crois bien avoir entendu un jour que beaucoup d’indiens ont un animal emblématique dont il porte le nom. Je viens de trouver le tien ours-exécrable-et-lunatique.
Elle tourna les talons laissant Allan planté là, sa main droite calmant le feu que la claque venait d’allumer. Les femmes qui se trouvaient à côté pouffèrent de rire ajoutant encore à la honte du jeune homme.
Allan stupéfait bégaya plusieurs fois avant de rétorquer :
— On m’appelle Isha, le protecteur, rien à voir avec ce que tu viens de dire. Et reviens ici tout de suite ! ordonna-t-il
—Protecteur ! Laisse-moi rire, marmonna-t-elle
— Reviens ici je t’ai dit.
— Je ne suis ni ta sœur, ni ta fille non ? Je n’ai donc aucun ordre à recevoir de toi.
Tout en marchant d’un pas décidé, elle le toisa par-dessus son épaule. Son regard noir découragea Allan à réitérer son ordre.
8 commentaires
Serena Salvatore
-
Il y a 5 ans
Cinnae
-
Il y a 6 ans
Sonja Kourakine
-
Il y a 6 ans
Vaniloula
-
Il y a 6 ans
Sand Canavaggia
-
Il y a 6 ans
Sonja Kourakine
-
Il y a 6 ans