Fyctia
Chapitre 1
Lorsque les haut-parleurs se mettent à grésiller dans le couloir, je suis déjà réveillée. Allongée sur ma couchette à fixer ce plafond de métal étonnamment près de ma tête, je cherche la motivation pour quitter les draps.
L'odeur qui émane des sandales de mon colocataire n'a pas réussi à me faire fuir jusque-là, je me demande si les employés y parviendront, puisque l'heure de rendre la cabine approche à grands pas. L'heure du débarquement aussi... Et plus le temps passe, plus je me dis que j'ai fait une connerie.
Pas plus que de partager cet espace confiné toute la nuit avec Garie, ce cher anglais retraité, mais pas loin.
Le capitaine finit son discours matinal en annonçant que nous arriverons bientôt au port de Propriano. La fin de son annonce électrise quelque chose en moi. C'est alors que je me lève, avec toutes mes affaires, direction le pont.
Très vite la lumière, éclatante déjà au petit matin, m'assaille. Le bruit des mouettes au loin se confond avec celui des vagues que la prou ne cesse de repousser. Il y a du vent, beaucoup de vent, mais j'aime ça. Il m'envoie des saveurs iodées dont je n'ai pas pris la peine de profiter hier soir, trop tiraillée par mes émotions ô combien contradictoire.
Parce que même si on pourrait s'y méprendre avec mon sac à dos surchargé et mes lunettes teintées, je ne vais pas entamé une ascension du GR20, ni même découvrir la faune et la flore locale.
Non, je viens ici dans le seul but de partir à ma propre recherche. J'ai besoin de me ressourcer, me retrouver. D'avoir la paix. Tout du moins est-ce un début d'objectif.
C'est étrange mais, c'est comme si j'avais besoin d'apprendre à nouveau comment respirer.
Sur le continent, mes études m'accaparent tout mon temps. Je croupis dans mon appartement morne et sans joie, tellement entourée d'immeubles que je ne vois jamais le ciel. Mes 5 minutes d'ensoleillement par jour, au bon vouloir des aléas climatiques, ne me donneraient même pas luxe d'avoir une plante qui pousse.
Je suffoque, je n'en peux plus. J'ai l'impression de devenir étrangère à ma propre maison, ma propre famille. Et le pire dans tout ça c'est que je ne fais rien pour y changer quoique ce soit.
Ou devrais-je plutôt dire, je n'ai rien fait jusqu'ici, jusqu'à ce que je me décide la semaine dernière à prendre mes billets et partir tout un mois sur cette île.
Ces pensées arrivent à me retourner l'estomac. Profitant de ce moment d'accalmie dehors, je récupère mon téléphone glissé dans l'une de mes poches, pour envoyer un message à ma mère. Le réseau est bien revenu, amenant avec lui sa floppée de notification. Je ne vais pas le nier, la majorité vient d'elle … Elle s'inquiète pour moi. Mais qu'est-ce qui la rend tellement réticente à ce que je vienne ici ? Elle, la si fière Letizia Pietri, apeurée parce que sa fille met les voiles ? A moins que ce ne soit l'idée que je découvre là où elle a grandi qu'il l'effraie.
Toujours est-il que je n'ai plus 18 ans. Et l'option visant à rester était loin d'être meilleure que celle de partir.
" Bien arrivée" Env. 9h56.
Je remonte la conversation que nous avons eu pour retrouver les coordonnées GPS du hameau où est censée loger la famille de ma mère. Je ne les ai jamais vraiment rencontrés, je n'étais qu'un bébé quand mes parents ont quitté l'île. Ai-je espoir que 20 ans après ils acceptent d'héberger une presque inconnue pendant un mois ?
Non, je ne me fais pas ce genre d'idée enfin ! Si seulement !
J'ai réservé une auberge près de chez eux, par souci de ne pas me retrouver à la rue un peu trop longtemps.
Lorsque le cor du navire retentit, annonçant que nous sommes amarrés, un frisson parcours tout mon corps. Impatience ou peur, qu'importe. Je m'arrache à la contemplation de ce paysage, plus exquis en vrai qu'en photo et me dirige d'un pas lent vers la sortie piétonne.
Je traverse la passerelle suspendue avec mes pensées en dérive. Je ne suis plus qu'à quelque pas de l'inconnu le plus total de ma vie, à quelque pas de ce qui me parait être un vide immense alors que le sol apparait bien tangible devant moi. Je ralentis la cadence, hésitante. Parce que quitter le navire serait ne plus y remettre un pied avant longtemps. Parce que descendre ici, c'est renverser ma vie, retourner tout ce que j'ai toujours connu jusque-là.
J'approche de cette ligne de confrontation entre la mer et la pierre, mes jambes ne m'ont jamais paru si pesantes. Je pourrais trembler pour ce que j'en sais.
Les protestations derrière moi me font comprendre que je dois avancer. Finis le temps de se poser des questions, de fixer ses baskets.
Je prends une grande inspiration.
Je passe cette frontière.
L'air a le même gout que sur le navire, mais la vie pulse bien plus ici. Je suis déjà bien éloignée du port et pourtant l'endroit grouille encore de monde. J'entends des voix fortes, des rires, quelqu'une qui gratte une guitare. Des odeurs savoureuses me parviennent, me font saliver.
Tous mes sens sont sollicités. Peut-être est-ce la frénésie typique de la haute saison, mais j'ai l'impression d'être au beau milieu d'un cœur battant. La place pavée grouille de monde, les palmiers, les lauriers en fleur, tout cela réveille mes yeux, les dore d'un étrange éclat.
Je me donne l'image d'une enfant dans un magasin de jouets. Je n'y peux rien, je suis à la fois terrorisée et curieuse, c'est un mélange exotique mais divinement réjouissant. J'aime ce sentiment-là, je m'y accroche très fort.
M'accoutumant doucement à cette agitation, je me reconcentre sur ma quête principale de la journée : trouver mon Uber. Le fameux sésame qui me conduira dans le magnifique patelin de "Sainte-Lucie-de-Tallano".
Je me trouve étonnamment sereine, moi d'un naturel toujours si stressé il semblerait que l'air du large me réussisse ! Ayant un petit temps d'avance, j'entreprends de dénicher une boulangerie pour remplir ce creux dans mon ventre qui ne devrait plus tarder à gargouiller. Les enseignes ne manquant pas, j'arrête mon choix sur celle proposant le plus de viennoiseries que j'accompagne d'un café frappé, histoire de me dégourdir les méninges.
Je m'installe sur la petite terrasse artisanale, composée d'une variété surprenante de chaise et de tables de tous horizons, endroit charmant mais avec du caractère, idéal pour déballer ma commande. Rien que l'odeur me fait saliver.
Observant le port au loin entre mes mèches blondes qui s'envolent, je m'enivre de cette idée, que quoiqu'il arrive ici, je vais y faire face. Rien ne pourra m'arrêter. Ca va aller. Mon mental remonte en flèche, incarnation d'une WonderWoman de ce siècle alors que je sirote ma boisson.
Je suis déterminée. Je suis prête.
Mon téléphone se met alors à vibrer.
L'éclat d'une notification brille si vite que j'ai à peine le temps de la voir passer.
Mon Uber est annulé.
WonderWoman s'étouffe bruyamment dans son café.
17 commentaires
Laeticia LC
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Il y a 2 ans
snliska
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Il y a 2 ans
Aurélie Benattar
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Jill Cara
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Janicelesmaux
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SANDRINE BLANQUART
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Solveig L'HEVEDER
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Il y a 2 ans