Fyctia
Première séance de torture 1.2
— Je ne pensais pas te voir t’en sortir si bien pour un premier échauffement à la méthode Fred, me lance Mathieu en s’approchant.
— Comme tu vois, je ne suis pas aussi nulle que tu le penses !
Je croise les bras sur ma poitrine pour bien lui montrer ma détermination, mais ce simple geste m’arrache me rappelle que j’ai les bras en compote et me fais grimacer.
— Il est encore temps de fuir, tu sais ?
Le sourire narquois de ce gars m’aide à passer outre mes muscles en feu, pour lui prouver que j’ai ma place ici, tout comme lui. Les courbatures et les jérémiades, ce sera pour plus tard, j’ai le cul d’un grand blond à botter.
— Même pas en rêve !
— Bien, donc on peut y aller ?
— Je croyais que tu n’étais pas assez fou pour te mettre à nouveau avec moi.
Il frotte sa mâchoire glabre d’une main, tout en me scrutant de la tête aux pieds, comme s’il essayait de déterminer mon degré de dangerosité.
— C’est vrai… mais je pense que je devrais arriver à survivre, dit-il cesser de sourire. En plus, c’est le choix de Fred, donc je suis obligé de faire avec.
— Pourquoi nous mettre ensemble ? Toi et moi on n’est pas vraiment bâtis pareil.
— C’est le moins qu’on puisse dire, mais le coach pense qu’on fait une bonne équipe étant donné qu’on se connait déjà et qu’on a la même spécialité.
— Qu’elle idée géniale…
Mathieu rit face à mon ironie évidente, puis il me lance un baudrier que je m’empresse d’enfiler. Au moins, il ne remet plus en doute ma capacité à le faire, c’est déjà une bonne chose. Pour la première fois de ma vie, j’avance à reculons vers un mur d’escalade, car je ne suis pas sûre que mes muscles tiennent. Si je tombe en revanche, je suis certaine que mon coéquipier va prendre un malin plaisir à me le rappeler tout au long de l’année.
— Je commence cette fois-ci, si ça ne te dérange pas.
— Comme tu veux, dis-je en essayant de masquer mon soulagement par de l’indifférence.
Il se positionne face à un pan de mur multiniveaux de neuf mètres de haut, où une quinzaine de voies s’entremêlent dans un jeu de formes et de couleurs plus ou moins compliqué. L’autre pan encore libre, possède de nombreux reliefs plus prononcés ainsi que des points d’appui disparates, destiné aux grimpeurs aguerris. Il y a une demi-heure, j’aurais été plus que ravie de commencer par-là, alors que désormais, je remercierais presque mon partenaire pour son choix.
Mathieu ne choisit pas la voie la plus difficile, mais elle comporte malgré tout quelques subtilités qui promettent de l’amusement. C’est idéal pour se mettre en jambe, sans tomber dans la facilité pour autant.
Il faut que Mathieu commence son évolution pour que je réalise que je ne l’ai encore jamais vu à l’œuvre. Il s’élève avec une rapidité et une aisance qui me laisse, bien malgré moi, admirative. Il faudrait me torturer, encore plus que Fred tout à l’heure, pour que je l’admette à haute voix, mais c’est un excellent grimpeur. Une fois au sommet, il éteint le chrono de sa montre avec un air satisfait. Puis tel l’arrogant qu’il est, il entame le parcours dans le sens inverse, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde, plutôt que de descendre en rappel. C’est à croire qu’il s’entraine en cachette pour pouvoir frimer devant les petits nouveaux. Cela aurait peut-être fonctionné sur moi, s’il ne m’agaçait pas autant depuis le premier instant et si son petit numéro ne rendait pas mon assistance inutile.
À un mètre du sol, il saute à terre avec un sourire triomphant qui me donne envie de me surpasser pour le lui faire avaler.
— Frimeur !
Le plus juste serait de le féliciter, car il n’a commis aucune faute, n’a pas eu le moindre mouvement d’hésitation et a été rapide, mais je perds toute notion de bonne foi à son contact.
— Si tu dis ça, c’est que j’ai réussi à t’impressionner.
— Ne dis pas n’importe quoi ! T’as fait combien ?
— Une minute et quarante-six secondes.
— C’est pas mal…
Mon ton est blasé, comme si sa performance était tout juste passable, et que je pouvais faire mieux, alors que je suis déjà K.O après l’échauffement. Mathieu n’est pas dupe, et, plutôt que de paraitre vexé, il me laisse sa place avec un simulacre de révérence qui joue sur mes nerfs. La fatigue musculaire disparait au profit d’un objectif plus puissant ; le battre pour lui faire regretter son arrogance.
— Démarre ton chrono ! dis-je en attrapant une prise à pleine main.
— Avec joie.
Je me lance à l’assaut du mur, en sachant qu’une seule hésitation suffirait à me faire perdre. Alors que je ne me pensais plus capable de marcher quelques minutes plus tôt, mes muscles se tendent et se détendent sans problème au gré de mes mouvements. L’anticipation et l’instinct deviennent mes meilleurs alliés pour arriver jusqu’en haut du mur. J’ignore mon score, mais je sais en revanche que je n’ai pas commis d’erreur sur ce parcours. Au moment de redescendre, je jette un regard à mon coéquipier, pour être sûre qu’il va m’assurer cette fois-ci. Comme s’il avait lu dans mes pensées, celui-ci lève la tête avec un sérieux que je ne lui ai jamais vu. Ces lèvres m’envoient un « je suis là » muet, mais assez rassurant pour que je lui fasse confiance.
— Alors ?
— Une minute et cinquante-sept secondes, me répond-il, tout sourire.
Mon enthousiasme retombe comme un soufflant lorsque je découvre que j’ai échoué. Plus dix secondes nous séparent, c’est énorme. Déjà, mon esprit rejoue chacun de mes gestes pour trouver comment gagner en vitesse lors de ma prochaine tentative, car je refuse de rester sur un échec.
— C’est une belle performance, commente Mathieu, surtout quand on n’est pas habitué aux exercices de Fred.
Il semble sincèrement content du temps que je viens d’effectuer, puisqu’il n’y a aucune trace de son sourire narquois en vue. Au fond, j’ai bien conscience que mon désir de la surpasser dès le premier entrainement est utopique. Il s’entraine de façon assidue, mesure vingt-cinq centimètres de plus que moi, sans parler des muscles sculptés que son débardeur laisse paraitre. Il me faut plus qu’un cours, plus qu’un échauffement de torture pour espérer l’emporter. Ce n’est pas un cent mètres que je dois viser, mais plutôt un marathon. La distance sera mon alliée.
— On recommence cette voie ?
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