Vanessa Martin Sous la lune noire Chapitre 9

Chapitre 9

Le temps s’arrête à ses paroles, pourtant tout se déroule à une vitesse folle. La rage que j’ai ressentie en comprenant leurs présences sur l’ile est infime comparé à ce que je ressens maintenant.


Le timbre de ma voix aurait pu être une lame acérée, cependant aucun bruit ne sort. Mes yeux se dirigent vers Elestria, puis Adira, qui se tient à sa gauche. Le visage de ma meilleure amie est un puits d’inquiétude. Elle ne veut pas que je parte. Mon voyage lui fait peur. Mes autres sœurs sont dans le même état d’esprit. Mon regard sévère s’ancre à celui de mon chef.


— Quoi ?


Je veux qu’elle répète son ineptie mais pour seule réponse, la silhouette imposante de Leston s’éloigne des siens et s’avance vers moi. J’ignore s’il est courageux ou insensé. Derrière lui, les membres de son clan sont immobiles, observateurs, sous tension.


Je peux sentir la haine dans l’air. Elle est palpable comme l’ambiance lourde d’une tempête prête à éclater. A chaque pas, mon aversion pour eux, augmente l’amertume de ma bouche.

Leston continue de s’approcher d’un pas assuré, mais c’est moi qui efface la distance qui nous sépare. Les hommes ne bougent pas et je n’ai pas entendu de bruit derrière moi. Ils se tiennent tous à bonne distance pour notre confrontation.


Face à mon rival, j’observe ses traits durs comme de la pierre. Ses yeux bleus, ne dévient pas. J’y lis de la détermination.


— Je t’accompagnerais ! annonce-t-il d’une voix grave.


L’entendre pour la première fois me fait un effet étrange. J’aurais préféré continuer de croire qu’il nous gratifiait d’une existence silencieuse, complètement muette ou simplement dépourvue de langue.


— Hors de question !


Il fait un pas en avant.


— Nos clans ne collaborent pas. C’est notre histoire, nos ancêtres et la carte a été trouvé ici, continué-je. Prenez vos bateaux et partez d’ici !


C’est sans appel. Mon corps brule d’une colère infernale. Mon arme m’appelle. L’attraper pour lui trancher la gorge devient une image fixe dans mon esprit. Je vois déjà le sang couler sur le sable. Les flaques de sang créant des dessins. J’entends déjà les cris de guerre caresser mes tympans. Ils tomberaient un à un sur nos terres puis l’océan les emporterait loin d’ici.


— Si, ce que la vieille femme a dit s’avère réalité, ça nous sera bénéfique à nous aussi.


Il fait encore un pas en avant.


— Nous ne vous devons rien.


— Notre clan diminue de jour en jour. Tout comme le vôtre, lance-t-il en montrant d’un geste de la main le peu que nous sommes devenus au fil des années.


— C’est votre problème !


Un rire lugubre quitte sa gorge. Tandis qu’il s’approche si près de moi que je sens sa poitrine s’élever cotre la mienne.


— Tu crois que ça me fait plaisir ? Tu penses que de passer du temps avec ton espèce m’amuse ? ajoute-t-il avec un dégout non dissimulé. La seule raison pour laquelle je me porte volontaire, c’est que nous avons besoin de réponses tout autant que vous. Tu es la seconde de ton commandant et moi j’ai le même grade. Il est logique que chaque peuple offre les mêmes atouts.


— Tu n’as pas entendu ce que j’ai dit ? Je n’irais nulle part avec toi. Si ton espèce nous fait le plaisir de disparaitre, ce serait une bénédiction.


À mon tour de bomber le torse et de coller ma poitrine à lui afin de le faire reculer. Son corps massif ne bouge pas comme je l’espérait. Ses pieds dansent sur le sable mais il reste au même endroit.


Sans que je m’en rende compte nos deux clans s’était rapprochées de nous. La tension monte d’un cran à chaque seconde. Je peux sentir la puissance de mes sœurs dans mon dos et la haine des hommes face à moi.


— Ah oui ? Alors explique moi comment vous allez faire sans nous pour avoir une nouvelle vague d’enfants ? demande Leston avant d’enchainer. Laisse-moi deviner. Tu es tellement forte, courageuse et invincible que tu vas réussir à procréer toute seule ?


Les hommes gloussent derrière lui.


— Je suis au courant que tu ne sais pas naviguer en haute mer, les femmes ne restent que sur la côte, continue-t-il dans sa lancé. Si tu y vas seule, tu mourras et la seule chance que nous avons de faire la paix avec les dieux coulera avec toi.


S’en est trop pour moi. Ma main passe derrière mon dos pour attraper ma hache. En un mouvement fluide j’approche ma lame du milieu de son crâne. Mon corps tremble de dégout et de rage. Comment ose-t-il ?


— Adrinaya ! hurle Elestria, d’une voix sans appel. Stop !


Je me rends compte que ma respiration c’est arrêté. Mon regard fixe sur les billes bleus de Leston, je suis partagé entre ma furie meurtrière et mon devoir d’obéissance.


— Le bras droit d’Oran a raison, Adrinaya. C’est trop dangereux d’y aller seule.


Mes yeux ne quittent pas ceux de Leston, qui reste toujours impassible. Pourtant c’est une hache qui prolonge ma main et non une plume.


Les femmes derrière moi, ne paraissent pas choquées par cette annonce. Ils en ont discuté sans ma présence. Voilà pourquoi tout ceci a pris une tournure inhabituelle. Ce constat provoque une sensation de trahison en moi et je ne pensais pas que cela pourrait arriver un jour.


Mon chef, d’abord farouchement contre mon départ est désormais d’accord pour m’infliger un boulet. Comme si se porter volontaire n’était pas suffisant. Je vais subir la double peine.


— Vous le faites pour nous tous, clame Elestria en direction de mon binôme et moi. Ce qui vous attend est une mission sans pareil à deux, seuls, ce serait un suicide.


Mon rival, pose la main sur le manche de ma hache et le déplace simplement sans ciller. Son torse se courbe et sa bouche s’approche dangereusement de mon oreille.


— Je ne t’aime pas, et toi, tu ne m’aimes pas, commence-t-il plus doucement que tout à l’heure pour que je sois la seule à entendre ce qu’il a à dire. On peut continuer à se disputer et même nous entretuer si tu veux mais ça ne nous mènera à rien. On y va ensemble. Plus vite ce sera fait, plus vite on pourra passer à autre chose et ne plus jamais s’adresser la parole.


Sa voix posée réussit à calmer un quelque peu ma furie. Malgré mon aversion pour sa race, je dois admettre qu’il n’a pas entièrement tort. Il faut savoir choisir ses batailles.


Oran, vient se poster à côté de son second, puis pose une main sur son épaule.


— Vous pouvez prendre tout l’armement et les réserves de vivres que vous jugez nécessaire sur notre ile.


Sur leur ile ? Sur l’ile des hommes ?


Aucune de nous n’y est jamais allé. Chaque instant qui passe, empire ma tâche. Comme si je ne cessais de creuser ma propre tombe. Je ne sais plus ce que je ressens. La situation a complètement échappé à mon contrôle. Plus rien n’a de sens.


Mon binôme s’approche encore de mon oreille.


— à moins que tu ne veuilles laisser ta place à une autre, chuchote-t-il.


— Jamais, ma décision est prise.


— Ta décision ne vaut pas plus que la mienne. Je le fais pour les mêmes raisons que toi. Allons-nous faire front ensemble pour le bien des nôtres ou allons-nous gâcher notre énergie inutilement ?


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