Fyctia
Épilogue 3
Èrhar sauta à nouveau sur le lit, et écrasa son humaine préférée sous ses trente-cinq kilos d’enthousiasme béat et sa masse de poils presque laineuse. Angad dut le repousser un peu pour qu’il n’écrabouille pas son bras blessé et ne vienne pas déranger sa perfusion, mais Oak apprécia la chaleur et le toucher. Sa main libre était à moitié bandée, ses doigts gelés protégés individuellement par de la gaze, et engourdis, mais elle les passa dans la fourrure épaisse de son meilleur copain russe.
« Privetik, dourak », lui murmura-t-elle.
Salut, idiot.
« Il m’a accueilli à mon arrivée, expliqua Angad.
- Contente qu’il aille bien.
- Il a l’air en pleine forme. Mais je me demande si l’onde sonique lui a pas laissé des séquelles au cerveau.
- Il était déjà complètement con avant.
- Oh. » Angad eut un sourire radieux. « Alors tout va bien. »
Il pointa ensuite son bras transfusé.
« On peut enlever ça le temps que le thé infuse. »
Kawisenhawe se laissa faire, bizarrement crispée et confiante simultanément, s’efforçant de fixer ses pensées ailleurs que sur l’aiguille, le temps qu’il la retire. Angad lui avait également mise au poignet son affreuse smartwatch ringarde avec un nom de dieu has been, pour qu’elle puisse lui donner la météo de son corps, et qu’il s’assure que sa température remontait dans les moyennes saisonnières.
Comme le thé, Kawisenhawe infusait, elle aussi, dans l’état second de la fatigue.
Elle infusait d’amour pour lui, et de désir nostalgique.
Elle aurait pu lui dire qu’elle avait une grande boite avec ses lettres, pas juste celles qu’il lui avait envoyées en Russie, mais toutes, depuis le début — ça en faisait des dizaines —, et aussi les articles, les publications scientifiques, tout ce qu’elle avait pu trouver qui parlait de lui, même des coupures de journaux locaux entièrement en pendjabi dont elle ne pigeait pas un mot, mais sur lesquelles il y avait sa photo; et que ces reliques d’Angad, elle les passait en revue les jours où elle se sentait mélancolique.
Elle aurait pu lui dire que dans sa chambre, quelque part au fond d’une armoire, se trouvait le pull-over qu’elle avait fait tricoter à partir de la laine d’omingmak qu’elle avait filée, et qu’elle attendait de lui offrir, pour remplacer le premier, qu’il avait abîmé à force de le porter dans les montagnes et de le trouer dans des batailles incessantes, mais jamais quitté — faisant de lui le seul combattant sikh du Pendjab-Kashmir connu pour porter un pull lopi islandais.
Elle aurait pu lui dire qu’au milieu de sa pièce à vivre, en chaussettes — bon sang, il était en chaussettes —, cajolant son idiot de chien, remettant des bûches dans le feu, il avait l’air si naturellement, profondément chez lui… et qu’elle venait de comprendre pourquoi : le cœur de Kawisenhawe avait passé ses trois années sibériennes à faire vivre son souvenir d’Angad dans cette maison, comme un manque habité.
Elle aurait pu lui dire, mais au lieu de ça, elle sentit les larmes s’amonceler sous ses yeux, et déborder, à la place des mots.
Alarmé, Angad reposa la tasse qu’il s’apprêtait à remplir, et se pencha vers elle.
« Ça va p—»
Dans un sursaut, elle se redressa, tendue vers lui, cherchant ses bras.
« Ówise, non, ton br—attention… doucement », mélangea-t-il, mi réprobateur, mi soucieux.
Elle s’en fichait d’avoir mal tant qu’elle ressentait.
Dérangé, le chien se laissa tomber du lit.
Vaincu, Angad passa son bras droit dans son dos pour la maintenir, et la prendre contre lui, drapant le gauche autour de ses épaules, allant chercher sa nuque parmi ses cheveux. Le sanglot juste éclos d’Oak s’épanouit dans un soupir de soulagement, et une explosion silencieuse de tendresse.
« Serre. »
Il obéit, la pressant autant qu’il pouvait oser se le permettre, anxieux à l’idée d’appuyer sur son épaule blessée, mais soulevé, emporté lui aussi par l’émotion de l’étreindre.
« Je te tiens. Je te tiens », répéta son mal réveillé à sa malaimable.
Voilà. C’était ce qu’elle voulait. Être dans ses bras. Sentir son odeur en plein. Entendre sa voix proche au point de vibrer contre ses cartilages. Enveloppée de tout l’Angad disponible.
Elle recula son visage pour venir poser sa tête contre la sienne, et respirer contre lui. Il n’osait pas. Il hésitait. Ses lèvres venaient effleurer son front, sa tempe, semant des esquisses de baisers; son nez caressait le sien, sa moustache venait frotter timidement contre sa joue. Fébrilement, timidement, il se hasardait, jusqu’au moment où elle vint chercher son visage, de sa main maladroite bandée, ses doigts allant récupérer sa pommette, pour le ramener vers elle, et enfin trouver son embrassade. Elle le laissa venir contre sa bouche, d’abord doucement, en murmure, puis, autorisé par sa main qui appuyait maintenant contre sa nuque, plus intimement. Agacée par ses lunettes, elle les repoussa sur son front jusqu’à sa tête, lui maintenant les cheveux en arrière du même coup, dans un geste impérieux, urgent, réclamant de l’avoir tout entier, sans obstacle.
En souriant contre sa bouche, Angad les retira. Il était bien là, et tout entier pour elle.
Immuablement, elle tenait la glace, et son cœur avec.
Et lui la tenait, elle.
Et tout était à sa place.
Solastalgia est maintenant terminé.
Merci de l'avoir lu.
22 commentaires
WildFlower
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Il y a 2 ans
Arca Lewis
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Il y a 2 ans
Mira Perry
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Il y a 2 ans
Eponyme
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Mira Perry
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Gottesmann Pascal
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Il y a 2 ans
Eponyme
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Il y a 2 ans