Selma-Rose Sois Fée et ris ! En retard pour toujours

En retard pour toujours

Je courrais. Pas assez vite cependant. On m'accuserait d'un énième retard. Je m'excuserais. L'instinct me soufflait que ça n'en était pas fini de ce jeu ridicule. Je ne recommence pas, je commence à chaque fois. Voilà ce qu'ils ne comprennent pas. Pourtant, je courrais tous les matins, depuis des années. Et pas seulement pour aller en cours. J'aimais me lever, le week-end, pour profiter du silence de l'aube.

Quand cela ne m'était pas imposé. Quand je n'avais pas la perspective d'une journée assise sur une chaise. Oh j'aimais apprendre ! Mais j'avais souvent l'esprit rempli par d'autres histoires, qui ne me permettaient pas de me concentrer sur les voix trop souvent monotones de mes professeurs.


Essoufflée, j'arrivais à la gare. Et voilà, j'allais manquer le train. Il passait à 8h42 précisément. Le prochain, dans 3 minutes. Au moins 2 de trop pour se rendre ensuite jusqu'à la salle de classe. Et ces escaliers, interminables.


Je m'avançais en tête de quai. On pouvait reconnaître d'autres élèves du lycée Charles Pont, tout aussi en retard. Chacun avec sa propre raison, de la panne de réveil au déjeuner trop long. Et le proviseur dirait "Facteur commun : manque de motivation". Il n'avait pas complètement tort mais les généralités me faisaient horreur. C'était un personnage odieux, intéressé uniquement par le prestige de son établissement. A son image, le bâtiment, un bloc de béton posé au milieu de la ville, n'inspirait que tristesse et solitude à celui qui le regardait.


Tiens ? Toi ici ? Tu n'étais pas du genre en retard pourtant. Tu tournas la tête, percevant l'appel de mes pensées. Je décochais un sourire timide.

Je n'avais jamais bien su quelle réaction adopter face à ces personnes, connues de loin seulement. Mais toi, je m'étais habitué à cette relation lointaine. Sans jamais en parler, on partageait déjà comme un secret.


En effet, nous nous étions déjà croisées il y a des années de ça ! Un souvenir très vague d'un cours de solfège fantasque. Certains font de la flûte, nous jouions aux claves, de simples bouts de bois à taper les uns contre les autres. Ce n'était pas pour la beauté de la mélodie, les rythmes à reproduire ne laissaient entendre qu’une joyeuse cacophonie. Ces leçons de musique, j'en garde un souvenir confus, à tenter de démêler les sons parmi le bruit ambiant.


Dix années après, bien loin du Conservatoire, nous nous retrouvions donc sur ce quai de gare, régulièrement. L'univers insistait pour nous rassembler! Nous avions même en commun le cours d’arts plastiques. Pourtant non. Nous résistions ! Car malgré ce sourire en coin provoqué par le souvenir, nous ne nous étions jamais adressé la parole.

Nous n’étions ni l’une ni l’autre du genre à converser inutilement.

Non, décidément, cette relation ne doit rien à notre bonne volonté.


Pourtant ce jour-là, sans que nous ne nous en doutions, les choses allaient s’accélérer.


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4 commentaires

Mary Cerize

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Il y a 4 ans

Subtile avec plein d’émotion et bien écrit bravo 👍🏾

Luna Queen

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Il y a 5 ans

J aime bien c est très frai juste ce qu il faut

Myriam Alexya

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Il y a 5 ans

Je pourrais certainement être cette «autre»... 🤔 Un camarade m'avait dit «Dans le silence, on est toujours deux. Tu n'as pas à culpabiliser, c'est que l'autre ne vient pas à toi non plus.» Cette phrase a bouleversé ma vie.

LK SISSOKO

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Il y a 5 ans

J'adore ce type de narration, comme si elle lui parlait🥰
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