La_petite_plume Silence Compromis Chapitre 4 - Numéro Masqué

Chapitre 4 - Numéro Masqué

Le jour filtre à travers les stores mal fermés, projetant des ombres hachurées sur le sol du salon. L'air est lourd, imprégné de fatigue et d'une tension qui refuse de se dissiper.


Je cligne des yeux, une douleur sourde vrillant ma nuque. J’ai dormi dans une position foireuse, le corps enroulé autour d’un dossier confidentiel qui ne devrait même pas exister.


Les papiers sont partout. Sur la table basse. Par terre. Entre les coussins du canapé où je suis affalée. Une tasse vide roule doucement sur le parquet lorsque je bouge le bras.


Je tourne la tête.


Noa dort encore, affalée sur son propre bordel, un post-it collé à sa joue, ses cheveux roux en bataille. Elle tient toujours un stylo entre ses doigts, comme si elle s’était endormie en plein calcul mental.


On a parlé toute la nuit.

On a débattu.

On a analysé.

On a essayé de comprendre.


Jusqu’à ce que nos cerveaux lâchent.

Mais comprendre ne suffit pas.


Un vrombissement discret me fait froncer les sourcils. Un téléphone. Je me redresse lentement, cherchant le bruit. Le mien est toujours éteint, et la SIM n'est plus dedans qui plus aies. Je comprends vite que c'est celui de Noa vibre sous une montagne de papiers.


Je l’attrape et le secoue près de son oreille.


"Noa."


Elle grogne et enfouit son visage dans son bras.


"Noa, putain !"


Elle ouvre un œil, puis l’autre. Son cerveau a une seconde de retard. Elle tend la main et attrape l’appareil d’un geste fatigué, clignant des yeux devant l’écran.


"Numéro masqué."


Elle hésite. Une demi-seconde.


"Ne décroche pas !"


Trop tard.


"Allô ?"


Elle a décroché. Je ferme les yeux en inspirant lentement. Mais pourquoi j’ai une amie pareille ?


Après quelques secondes de silence, son expression change. Ses traits se figent.


Elle fronce les sourcils.


"Qui êtes-vous ?"


Je me tends instinctivement.


On se redresse toutes les deux, nous retrouvant face à face.


Elle écoute.


J’en profite pour retirer le post-it collé à sa joue. "P.T.S.", souligné trois fois.


Un sale pressentiment rampe le long de ma colonne vertébrale.


Noa coupe le micro et me murmure :


"Il veut te parler."


Un frisson me parcourt l’échine.


"Ah non, tu te débrouilles. Je t’avais dit de pas répondre.


— C’est peut-être un collègue de ton ancien boulot… Ou un vieil oncle ?


— J’ai pas de vieil oncle. Et comment il sait que je suis avec toi ? C’est ton téléphone. J’ai dit à personne que je venais ici."


Noa blanchit légèrement.


"Alors c’est eux ?


— Raccroche pour l’amour du ciel !"


Bien sûr, si Noa était du genre à écouter les avertissements, on n’en serait pas là aujourd’hui.


Elle active de nouveau le micro.


"Elle est pas dispo, je peux prendre un message ?"


Je lève les yeux au ciel. Super. Prends-les pour des débiles, ça va forcément bien se finir pour nous.


Ses doigts se crispent autour du téléphone.


"C’est une menace ?"


Oh putain.


Le silence qui suit me file un frisson.


Elle écoute encore, son regard cherchant le mien.


Puis elle raccroche.


Un silence pesant s’installe.


Elle fixe son téléphone sans bouger.


"C’était qui ?"


Elle met une seconde de trop à répondre.


"Quelqu’un qui sait ce qu’on fait."


Mon estomac se noue. Je jette un regard autour de nous, comme si je m’attendais à voir une silhouette cachée dans un recoin de l’appartement.


"Ils ont dit quoi ?"


Nos yeux se croisent. Il y a quelque chose dans son regard qui me met encore plus mal à l’aise que l’appel en lui-même.


"Qu’on est en train de dépasser les limites."


Sa gorge se serre et je crois que la mienne aussi.


"Et que ce serait peut-être temps de s’arrêter. Il a dit que c’était le dernier avertissement qu’on aurait."


Donc bien une menace.


Une putain de menace voilée.


Je me lève d’un bond et commence à faire les cent pas.


Quelqu’un nous écoute.


Quelqu’un nous observe.


Et maintenant, ils nous préviennent.


"Putain, Noa."


Elle passe une main dans ses cheveux, plus nerveuse qu’elle ne veut l’admettre.


"C’est bon. Ça veut juste dire qu’on est sur la bonne piste."


Je m’arrête net.


"Tu réalises ce que tu viens de dire ?"


Elle me fixe, silencieuse, les lèvres pincées.


"Ils ne vont pas nous tuer, Eli.


— Pas encore."


Un frisson me traverse.


Je balaye du regard les papiers autour de nous. Les preuves.


On est dedans.


Beaucoup trop dedans.


Noa croise les bras, hésite. Puis lâche enfin, plus bas :


"Alors on fait quoi ?"


Je jette un coup d’œil à son téléphone, aux stores mal fermés, à la smart TV qu’elle s’est tellement vantée d’avoir achetée.


Puis j'entends l'eau de la douche, surement son coloc.


On entend tout.


Mon cerveau tourne à mille à l’heure.


Il nous faut un endroit où on ne serait pas écoutées.

Un endroit où on ne serait pas observées.


Sans un mot, je prends une feuille vierge, retourne un des dossiers et attrape un feutre.


Je griffonne quelques mots avant de la lui tendre.


"TU VAS AU TRAVAIL COMME SI DE RIEN N’ÉTAIT.

JE VAIS FAIRE QUELQUES TRAVAUX DANS TON APPART.

FAIS-MOI CONFIANCE.

ON EN REPARLE CE SOIR."


Noa lit le message, le front plissé.


Puis elle relève les yeux vers moi, hésitante.


Mais elle hoche la tête.


"Ouais. D’accord. On arrête. C’est trop dangereux. Je vais au travail, je vais orienter mon article sur un autre sujet."


Elle le dit assez fort. Pas trop pour que ce soit suspect. Juste ce qu’il faut.


Je commence à ranger les papiers pendant qu’elle disparaît dans sa chambre pour se préparer.


Theo passe devant moi en baillant, nous salue et quitte l’appart juste après Noa.


Je me rendors pour encore une heure de sommeil bien meritée.

Puis je mets mon plan en place.


Je prends mon téléphone et réinsère la carte SIM.


De toute façon, ils savent déjà où je suis.

Ils savent déjà qui je suis.

Et ce qu’on a fait cette nuit.


Je cherche sur mon appareil le numéro d'un magasin de bricolage et l'appel directement.


"Oui, bonjour. J’aimerais faire isoler ma salle de bain."


Une pause.


"Elle n’est pas du tout insonorisée. On entend l’eau depuis le salon… et ma coloc a tendance à chanter sous la douche. C’est atroce."


Je leur donne la référence de l’isolation acoustique la plus forte que j’ai trouvée sur leur site.


"Je m’y connais pas trop, mais celle-là devrait faire l’affaire, mentis-je"


Tout est bon pour brouiller les pistes.

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