Fyctia

— Dépêchons-nous !

Les palmes nous permettent de progresser assez vite, malgré notre chargement en bouteilles d’oxygène, appareils de mesure et caméras.

Je surveille d’un œil le Frimeur. On dirait qu’avancer lui fait du bien, il reprend des couleurs. Ça devrait cesser à la seconde où il entendra le bruit de l’avion.

Ses brasses se font de plus en plus régulières et bientôt, ses mouvements deviennent vifs et puissants.

— On dirait que ça va mieux, plaisanté-je pour le distraire.

— Ah, ah, très drôle ! J’aimerais bien t’y voir si le bateau disparaissait lors de ton baptême de plongée.

Mon baptême de plongée a été magique. Pour la première fois depuis de long mois, je me sentais à ma place. Pas de jugement sur ce que je devais faire ou non, simplement du plaisir et de la découverte. Une évasion à laquelle je suis vite devenue accro.

— Mouais, on aurait pu penser qu’avec tes gros muscles, tu n’allais pas avoir peur de nager un peu !

— Ah parce que tu regardes mes muscles ?

Lui aussi, il doit être en train de s’admirer, car je ne vois pas comment il n’a pas déjà senti l’odeur de fumée.

— Je vois surtout que tu ne sais pas t’en servir.

— Je croyais que ça ne se faisait pas de commenter le physique des autres !

Ah ah, très drôle. Il fait allusion à un épisode de nos années lycée où il avait déclaré que j’étais “trop sexy pour ne pas utiliser mes fesses” et où toute la classe avait ‒ pour une fois ! ‒ pris ma défense, lui rétorquant qu’il ferait mieux de s’occuper des siennes, de fesses.

Je me mords les lèvres. Il a raison, je n’aurais pas dû commenter son corps. Je fais ce que je peux en situation de crise !

— La muscu me vide la tête, m’avoue-t-il entre deux battements de jambe.

Je m’en doutais. C’est joli, mais ça ne sert à rien.

Nous arrivons enfin à proximité de l’îlot. Ce n’est qu’un gros rocher décharné mais j’avise une paroi plus creuse que les autres, qui nous permettra de nous asseoir au sec en attendant que la zone soit rouverte à la navigation. La corniche n’est pas idéale, notamment parce qu’elle est étroite et un peu cachée des plaisanciers qui passeraient à l’ouest, mais les options sont limitées sur un gros caillou abrupt.

— Enfin, soupire Anthony.

Quelques brasses plus tard, et après une certaine lutte contre le courant, nous nous agrippons la roche. Nous retirons nos palmes et les posons sur le rocher. Faire de même avec les bouteilles s’avère plus difficile. L’équipement, qui pesait peu immergé, devient beaucoup trop lourd à bout de bras.

— Bah alors, on envie mes muscles maintenant ?

Très drôle.

— Oui, ben on a pas tous pour seule aspiration dans la vie de ressembler à Hulk.

— Tu peux dire ce que tu veux, tu vas avoir besoin de mon aide, si tu comptes porter tout ça là-haut.

Le pire, c’est qu’il a raison.

J’hésite un court instant, puis je dois me résigner. S’il ne m’aide pas, je vais continuer de barboter par ici un moment.

— OK, OK ! Merci !

Il me sourit. Apparemment, il ne panique plus. Tant mieux. Même si j’ai du mal à me l’expliquer, je m’inquiète pour lui.

À nous deux, nous parvenons à monter tout l’équipement, puis à nous hisser hors de l’eau.

— Maudite soit Anaïs !

Anthony s’effondre à côté de moi.

— Même avec des muscles, ça a pas l’air si facile, hein ?

Il éclate de rire, en s’étalant de tout son long.

— Attention ! Ma bouteille !

— T’inquiète, elle ne va pas tomber.

— Y a intérêt !

C’est ce moment que choisi le Canadair pour effectuer sa descente. Anthony sursaute si fort qu’il manque d’en tomber de notre charnière.

— C’est quoi, ça ?

— Un Canadair.

— Mais il nous fonce dessus !

Pas du tout. Il vise une zone plus au nord, aussi proche de Port Cros que possible pour être le plus efficace.

— Mais il y a un incendie !

Ce qui est incroyable, c’est qu’il ne l’ait pas remarqué avant. La fumée forme maintenant une longue colonne blanche qui s’élève haut dans le ciel et doit être visible à des kilomètres au-dessus de l’île.

Le canadair plonge pour effectuer sa recharge. Avec un bruit ahurissant, il frôle l’eau de son ventre, traçant un sillage dans la mer. Même s’il est somme toute assez loin de notre îlot, le spectacle est impressionnant. Je baisse la tête par réflexe, alors qu’il ne peut pas nous atteindre, évidemment.

— C’est pour ça qu’il n’y a pas de bateau ?

On dirait bien que le Frimeur est à nouveau en mode panique.

— Ils ont dû dégager la zone.

— Mais comment on va faire pour partir de là ?

— On va attendre.

Anthony se renfrogne. Il exagère, on est en sécurité ici, au sec et même pas à proximité du feu !

Le Canadair refait un passage au-dessus de nos têtes pour s’aligner avec Port Cros. L’incendie à l’air de provenir de l’autre côté de l’île, là où se trouve le port et les principales habitations.

Quand l’avion survole l’île, il libère son chargement. Des tonnes d’eau se déversent sur les arbres, une grande partie évaporée par la chaleur avant même de toucher les branches. Puis le monomoteur reprend de l’altitude.

— Il a réussi ! s’enthousiasme Anthony.

Il fronce les sourcils quand il se rend comte que la fumée continue de s’élever.

— Euh, pourquoi l’incendie n’est pas éteint ?

J’ouvre grand les yeux. C’est évident, non ?

— Le feu a l’air assez conséquent… Je ne crois pas qu’un seul passage suffise.

— Tu veux dire qu’il va repasser ?

— Oui ?

Je veux dire, évidemment !

— Mais on va faire les huîtres ici pendant combien de temps ?

J’ai peur de sa réaction si je lui dis la vérité.

— Tu t’y connais un peu en règles nautiques ?

— Ben non, j’ai pas mon permis bateau !

Ah.

— C’est-à-dire que théoriquement, il faut libérer la zone une heure après le dernier passage d’avion.

Anthony me fixe comme si j’avais perdu la tête.

— Une heure après qu’il ait terminé ? Mais on sera grillé comme des sardines, d’ici là !