Fyctia

Yan avait passé une nuit mouvementée, faite de souvenirs et de tristesse. Il croyait voir sa mère partout dans les différentes pièces de la maison. Il pouvait même encore sentir son eau de Cologne si caractéristique. Il errait comme une âme en peine, passant d’une pièce à une autre, sans savoir quoi faire. Il se dirigea mécaniquement vers la porte de l’arrière cuisine pour accéder au garage. Il alluma une cigarette et son regard s’arrêta sur une grande bâche poussiéreuse au fond du garage.

– Oh non maman, ne me dis pas que tu l’as gardé ! s’exclama-t-il à haute voix, se doutant de ce qu’elle pouvait cacher.

D’un geste sec, il souleva la bâche, révélant un scooter, qui avait connu des jours meilleurs. Aussitôt, une multitude d’images s’imposèrent à lui : la crise qu’il avait faite à sa

mère pour l’ avoir, les virées avec Steve, Nathan et Lucie. Puis plus tard, avec Elena. Il sourit en se remémorant ses premières sorties en scooter qui semblaient exaspérer sa voisine au plus haut point !

C’est vrai qu’il avait tout de l’adolescent rebelle.

« Moi-même, avec le recul, je me serais foutu des claques ! » pensa-t-il intérieurement.

Durant toutes les années collège, ils ne se supportaient pas. Mais, étant voisins, ils se croisaient beaucoup. Ils se défiaient du regard et Yan prenait un malin plaisir à la faire sortir de ses gonds. Il aimait tout ce qu’elle détestait. Aucun centre d’intérêt commun. Il la trouvait coincée et inintéressante, alors que sa mère lui avait appris qu’ils avaient le même âge.

Pourtant, Yan se souvenait parfaitement de la fois où la tendance avait commencé à s’inverser…

XXX

C’était un après-midi de novembre, Yan était en classe de seconde et enfourchait son scooter à la sortie du lycée. Il pleuvait des cordes et, en se rapprochant de chez lui, il reconnut Elena, marchant sur le trottoir, le K Way et le sac à dos dégoulinant d’eau. Son premier réflexe -de tête à claque qu’il était toujours- fut de poursuivre son chemin

sans s’arrêter. Mais, en un quart de seconde, le deux-roues était déjà de biais devant elle, comme mû par sa propre volonté. Elena l’avait regardé prendre le deuxième casque dans son coffre.

– Allez montes ! Je te ramène !

Elle avait hésité un court instant avant de s’en saisir et de s’installer à l’arrière.

Arrivés dans leur lotissement, elle l’avait remercié et s’était empressée de se mettre à l’abri. Voulant faire de même, il avait tâtonné ses poches de blouson et celles de son sac à dos à la recherche de ses clés. En vain. Il jura entre ses dents et consulta sa montre : sa mère ne serait de retour que dans une heure.

En relevant les yeux, il se retrouva nez à nez avec Sara, qui sortait de chez Madame Octave, une voisine. Elle avait dû le voir chercher ses clés car elle cria, couvrant le bruit de la pluie.

– Viens à la maison en attendant !

– Merci ! Et il lui emboîta le pas.

– C’est Sara, je suis rentrée ! s’exclama -t-elle à quiconque voulait l’entendre, Yan est avec moi, il n’a pas ses clés ! Donne-moi ton manteau, on va le faire sécher sur le radiateur, poursuivit-elle, tandis que Yan se débarrassait également de ses chaussures.

Dans le couloir, ils croisèrent Elena, faisant sécher ses

cheveux à l’aide d’une serviette. Yan décela de la surprise dans ses yeux, mais elle se reprit aussitôt :

– viens dans la cuisine, j’allais me prendre un chocolat chaud.

– merci.

Sara les accompagna et les observa tour à tour, assis l’un en face de l’autre, dans le silence le plus complet. Elle le brisa en questionnant :

– T’es en seconde aussi ?

– Oui.

– Et ça te plaît ?

– Pas trop, mais j’ai pas le choix !

Elena lui tendit sa tasse et le regarda en coin.

– Comme moi, répondit Sara. Elena, elle, elle aime bien les cours.

– Pas tous, répondit l’intéressée.

– Tu veux faire quoi plus tard ? la questionna Yan.

– peut-être prof de français, et toi ?

– La mécanique me tente bien. J’aime bricoler des choses sur mon scoot.

– On te voit souvent dans le garage, coupa Sara.

– Ouais… plus que dans ma chambre, au grand désespoir de ma mère.

– Et ton père il en pense quoi ? questionna Sara spontanément.

Yan perçut le regard réprobateur d’Elena.

– J’en sais rien… et ça m’est égal.

– Moi, j’aurais bien aimé que mon père nous voit dans nos études.

Nouveau regard sombre d’Elena envers sa sœur. Elle changea de sujet.

– Sers toi, il y a du Nutella et du pain.

– Merci.

– Je vous laisse, j’ai des devoirs à faire, reprit Sara, en mettant sa tasse dans l’évier.

Nouveau silence dans la cuisine.

– Ta mère rentre quand ? demandèrent-ils en même temps.

Ils se sourirent.

– Dans une demi-heure, répondit Yan.

– À peu près pareil pour la mienne.

Quand il est rentré chez lui le soir, Yan avait expliqué à sa mère qu’il avait oublié ses clés et était allé se réfugier chez Elena. Puis il l’avait questionné sur l’absence de son père.

Sa mère avait alors baissé les yeux lui apprenant qu’il n’était plus de ce monde. Un accident de moto… voilà certainement pourquoi Elena n’aimait pas son scooter…