Fyctia
L'ignorance... (2)
Voilà justement mon amie qui débarque comme une furie à l'heure du déjeuner au cabinet. C'est suffisamment rare pour m'alerter. J'espère que les enfants vont bien ! J'imagine que oui. S'il leur était arrivé quoique ce soit, elle serait à leurs côtés, plutôt qu'ici. C'est forcément autre chose... Est-ce qu'elle m'en veut pour une raison ou pour une autre ? Je songe bêtement à son gâteau au yaourt comme si elle avait pu entendre mes pensées les plus intimes.
Après s'être assurée d'un coup d'œil qu'aucun patient n'est en train de piquer un somme sur le divan, elle déclare, sans même prendre la peine de me saluer :
— Tu devineras jamais ce que je viens de découvrir !
J'ai une bouffée de stress. Elle a l'air presque en colère. Dans ma tête, je prépare déjà ma défense. " Ce n'est pas que je le trouve dégoûtant, c'est juste que je me demande s'il ne serait pas meilleur avec un yaourt classique plutôt qu'avec une Danette saveur pistache... "
Elle défait son manteau et le jette avec son sac à mains sur une des deux chaises qui font face à mon bureau. Elle s'assoit sur l'autre.
— C'est au sujet de tes ex et de Bastien !
Ah, ça y est, j'ai saisi ! D'une manière ou d'une autre, elle a appris ce qui s'était passé entre nous et elle m'en veut de ne pas encore lui avoir raconté tout en détails. C'est vrai qu'à son enterrement de vie de jeune fille, j'avais promis, juré, craché involontairement sur les chaussures d'un inconnu, que je lui ferai vivre chacune de mes nouvelles rencontres par procuration. Je n'avais jusqu'à présent jamais trahi mon serment allant même jusqu'à lui envoyer des texto pour débriefer ma première nuit avec Aurélien alors que Loser3 ronflait depuis seulement quatre minutes juste à côté dans mon lit, son bras coincé sous mon dos.
— Oh ! Je te jure que j'allais t'en parler ! J'allais justement t'appeler !
— Quoi ? T'es au courant !
Sa mine étonnée me met le doute. Comment pourrais-je ne pas être au courant que j'ai embrassé Bastien - ou plutôt qu'il m'a embrassée ?
— Bah oui... Bastien n'a pas versé du GHB dans mon verre avant de m'embrasser... Enfin, je crois pas...
— Attends ! Tu as embrassé Bastien ?
— Non, c'est lui qui m'a embrassée !
Rose a l'air sous le choc.
— Quoi ? Tu voulais pas me parler de ça ?
— Non, comment j'aurais pu savoir ?
— Bah, je ne sais pas moi... Comment tu pourrais savoir que je déteste ton gâ...
Je ne termine pas ma phrase me rendant compte de la boulette que j'allais faire.
— OK, donc si tu savais pas ce qui s'est passé samedi soir entre Bastien et moi. Qu'est ce que tu viens de découvrir ?
Rose se gratte la tête. Je la sens beaucoup moins encline à me faire des révélations à présent. Je l'encourage :
— Tu as parlé de mes ex... Et de Bastien ?
— Ah oui ! Tes ex ! Figure-toi qu'après avoir découvert que Loser4 était devenu un architecte réputé, je me suis mise à fouiller à tout hasard sur Loser1... Tu te souviens ? Jérôme Bouvier ?
J'acquiesce, évidemment que je m'en souviens. C'est moi qui suis sorti avec lui et c'était ma première histoire sérieuse avec un homme.
— Tu te rappelles aussi qu'il étudiait l'histoire de l'art, qu'il n'allait pratiquement jamais en cours et que des fois, il ne se rendait même pas aux partielles, qu'il se fichait de tout, des études, de l'argent... qu'il avait même réussi à se faire virer du MacDo où il bossait 8 heures par semaine au bout d'un mois...
— Oui, Rose, je m'en souviens parfaitement. C'est même pour ça que tu avais suggéré de le surnommer le Loser.
— Voilà. Eh bien... Il se trouve que lui non plus, il n'est plus vraiment un loser...
— ... Très bien. Je suis contente pour lui... Tu sais, je me doutais bien qu'un jour il allait être obligé de prendre ses responsabilités et de revoir un peu sa façon de vivre pour avancer dans l'avenir...
Je ne vois pas pourquoi Rose en fait toute une histoire.
— Non, tu ne comprends pas...
Elle scrute ma réaction comme si elle avait peur que je m'évanouisse ou me mette à convulser.
— Quoi ?
— Lui aussi, il est devenu riche et célèbre... C'est un artiste-peintre de renom. Il est exposé dans les plus grandes galeries d'art. Sa dernière toile s'est vendue à 150 000 euros et sa côte ne cesse de grimper !
Incrédule, je dévisage Rose cherchant la trace d'une quelconque ironie, en vain. J'encaisse le choc. Une fois la surprise passée, je me demande s'il ne me reste pas un de ses dessins sur une feuille volante quelque part au fond d'un placard ou oublié au milieu d'un de mes bouquins servant de marque-page improvisé. Je me promets de penser à chercher en rentrant chez moi ! On ne sait jamais, je pourrais peut-être le revendre à bon prix.
Rose me laisse quelques instants pour reprendre avec une voix hésitante :
— Et ce n'est pas tout...
Je ne suis pas sûre d'avoir envie d'entendre la suite. Qu'est-ce qu'elle va m'annoncer encore ? Qu'il est marié avec Miss Univers ? Loser3, Loser 4 et maintenant Loser1 qui ne sont plus des losers, loin de là... Tout ça me donne surtout le sentiment qu' au bout du compte c'est moi la loseuse !
— J'ai aussi mené ma petite enquête au sujet de Loser2...
Je l'arrête aussitôt d'un geste de la main.
— Non, s'il te plaît, Rose. Je n'ai pas envie d'entendre parler de lui !
— Mais...
J'insiste plus fermement.
— Rose ! Je ne veux rien savoir de lui ! Tu peux respecter ça, s'il te plaît ? Je te remercie !
Elle se pince les lèvres comme si elle avait toutes les peines du monde à contenir son scoop. Je la sens prête à céder.
— Ecoute Rose, je ne vois pas du tout ce que ça m'apporte de savoir tout ça sur mes ex. J'ai tourné la page. Et surtout au sujet de Loser2, compris ?
Elle secoue imperceptiblement la tête, visiblement tiraillée entre l'envie de respecter mon choix et celle de me balancer sa bombe à la figure. Je réagis avant que sa seconde volonté ne prenne le pas sur la première.
— Je suis désolée Rose, mais j'ai du travail, là... On se revoit plus tard, tu veux bien ?
Elle capitule mais elle est visiblement encore animée par des sentiments contradictoires.
— Bon, OK. Je te laisse, on reparlera de ça plus tard.
J'acquiesce, soulagée, et la reconduis à la porte.
Avant de sortir, elle me dit d'un ton presque maternel :
— Fais attention à toi, Clem'.
Dans l'après-midi, en songeant à ma conversation avec Rose, pendant que mon patient me raconte le traumatisme de son enfance, je me rends compte qu'elle avait apparemment quelque chose à me dire au sujet de Bastien et que je n'en ai finalement rien su. Qu'a-t-elle bien pu découvrir ? La question me trotte dans la tête jusqu'à ce que je me convaincs que ce n'était probablement rien d'important. Peut-être qu'il a un frère vaguement connu ou qu'il est sorti avec une Miss France, il y a quelques années.
— Qu'est-ce que ça peut bien me faire ?
— Comment ? me demande mon patient, outré, qui était en train de me raconter la manière dont il avait tué son chien par accident quand il avait 5 ans.
Merde. Je crois que j'ai pensé tout haut !
7 commentaires
PIERRE SCHOTT
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Il y a 5 ans
Sand Canavaggia
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Il y a 5 ans
Sand Canavaggia
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Il y a 5 ans
Sand Canavaggia
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Sand Canavaggia
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Il y a 5 ans
Elsa Carat
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Il y a 5 ans