Fyctia

Le soleil se lève à peine sur la Playa del Carmen, pas encore assez haut pour chauffer l’air. La brise qui souffle depuis la mer n’en reste pas moins agréable. En ce mardi matin, nous notre troisième jour en terre mexicaine, on a décidé de bouger un peu et d’aller visiter les environs. À l’unanimité — imposée par Emma —, notre choix s’est porté sur les ruines de Tulum. C’est pour ça qu’on s’est tous retrouvés aux aurores sur la plage près de la réception pour attendre notre van. Enfin, presque tous.

— Où sont Cal et Sofia ? interroge Emma en réponse à ma propre question silencieuse.

Charlotte affiche une mine déçue.

— Ils ne se sentent pas bien. Je crois qu’ils ont mangé quelque chose qui ne passe pas. Le homard d’hier soir, peut-être ? En tout cas, ils ont préféré rester coucher. Ils espèrent pouvoir nous rejoindre pour la balade en mer de cet après-midi !

— Être malade en vacances, ça craint… réponds-je sans trop savoir quoi dire.

Est-ce que leur présence va me manquer ? Absolument pas. Surtout en ce qui concerne Sofia. J’ai l’habitude du comportement de mon ex, même si ça fait de nombreuses années que je n’avais plus eu à endurer ses sautes d’humeur constante — et que je m’en portais très bien, d’ailleurs —. Mais elle ? Chaque heure qui passe est une excuse pour témoigner de son antipathie à mon égard. Je me demande ce qu’on a bien pu lui raconter à mon sujet… Ou pas. Je crois que je préfère ne pas savoir.

— Bon, il est où le van ?

— Il ne devrait plus tarder, affirme Charlotte.

Sans ses acolytes féminin et masculin, Alex tourne autour de nous comme un lion en cage. J’ai l’impression qu’il est à la recherche de sa victime pour le reste de la matinée. Un frisson d’effroi remonte le long de mon échine lorsque ses prunelles se posent sur moi, espiègles.

— Lia, Lia, Lia, susurre-t-il en enroulant un bras autour de mes épaules.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Je peux te demander quelque chose trésor ? Entre nous ?

Le surnom avec lequel il m’affuble me fait tiquer. Devant moi, j’aperçois Aaron qui, malgré sa discussion avec Ezra, s’est légèrement tourné dans notre direction.

— Est-ce que j’ai vraiment le choix ? soupiré-je.

Il pouffe.

— Tu vois, c’est juste que… C’est pas bizarre pour toi de sortir avec Aaron, maintenant ? Après ce qu’il s’est passé entre toi et Cal…

Il laisse sa phrase en suspens, ce qui me foudroie sur place. Est-ce qu’il a seulement une idée de ce qui s’est réellement passé entre Cal et moi ? Lui qui est tant à cheval sur les principes, qui crie haut et fort qu’il a horreur de la tromperie, changerait-il de discours quand il s’agit de son meilleur ami ? Après tout ça, c’est moi qui devrais avoir honte de sortir avec Aaron ? Avant que je ne trouve quoi répondre, Aaron intervient.

— Franchement Alex, à ce stade ce qui est bizarre c’est qu’on en parle encore, tu crois pas ?

Son ton est calme et pourtant, je parviens à y déceler son impatience. Il croise les bras sur sa poitrine, le regard figé sur Alex qui, pour sa part, reste silencieux une fraction de seconde, pris au dépourvu. Malheureusement, ça ne dure pas.

— On a le droit de dire tout ce qui est bizarre ? Non parce que, si c’est ça le cas, je voudrais…

— Alex, stop. On peut parler, en privé ?

Aaron et lui vont s’installer sur le ponton, un peu en retrait. Je me frotte les paumes, embarrassée d’être encore au centre d’une confrontation qui n’a pas lieu d’être. Parce qu’Aaron et moi on ne sort pas ensemble. J’irais pas jusqu’à dire qu’on est devenu hyper crédible en l’espace de quelques jours, mais plutôt que personne n’irait s’imaginer qu’on a échafaudé un plan pareil. C’est tout bonnement ridicule. Du coup, un sentiment de culpabilité que je n’avais pas prévu gonfle en moi. Il ne prend pas encore trop de place, mais il est là et je dois bien reconnaître qu’il est assez gênant. Je regarde les deux hommes et tente de comprendre le fil de leur échange malgré la distance. La posture fermée d’Alex ne me rassure pas. Je ne m’attendais pas à une telle réaction de sa part, quand même. Il doit savoir que son meilleur ami est à l’initiative de notre rupture au moins, non ? Qu’est-ce que toute cette histoire peut lui faire ? On n’a jamais été particulièrement proche, Alex et moi. Si on a réussi à s’entendre, c’est uniquement parce qu’on avait Cal en commun, alors… Petit à petit, je vois le corps d’Alex se relâcher, comme si les mots de mon faux petit ami parvenaient à l’apaiser et à le convaincre. Un soupir s’échappe de mes lèvres. Je préfère ça. Ce serait dommage que l’on passe le séjour à se prendre la tête. Quand ils reviennent vers nous, Alex m’embarque dans une étreinte que je n’ai toujours pas sollicitée.

— Bah, Lia, c’est quoi cette tête ? T’as cru que j’allais casser ton nouveau jouet favori ?

Bon sang, sauvez-moi.

— Alex… grommelé-je.

— Je plaisante ! Et puis, je suis pas suicidaire. Je préfère garder mes poings bien sagement dans mon maillot de bain. Par contre trésor, tu devrais sourire. Quand je te regarde j’ai l’impression d’être à un enterrement et ça, ça me déprime.

Pauvre chat. Je vais le plaindre en plus.

Un rictus hypocrite se dessine sur mes lèvres.

— Euh, OK. On se contentera de ça, hein, Mercredi ?

Il éclate de rire à sa propre vanne et je lève les yeux au ciel. Fort heureusement, le van arrive à ce moment-là et Alex bondit dans sa direction, pressé de monter à bord.

— On y va, princesse ?

Aaron m’interroge du regard et je glisse mes doigts entre les siens. Notre côté tactile se fait de plus en plus fluide, c’est plutôt impressionnant. En revanche, la barrière de coussins n’est pas aussi efficace que je l’aurais voulu. Enfin, elle joue son rôle et nous empêche de nous toucher, mais ça ne m’aide pas à oublier sa présence, à moi. Et maintenant que j’ai une conscience accrue de, comment dire ? Son apparence extérieure ? Et bien, mes propres résolutions sont mises à rude épreuve. Pour ma défense, je n’ai jamais dormi amicalement avec un homme ET ça fait une éternité que je n’ai pas dormi avec un homme tout court. Mes hormones se font un malin plaisir de me le rappeler.