KBrusop Saveur Citron Joe (2)

Joe (2)

D’instinct il relève les yeux et je suis happée par son regard. A mon approche il se lève pour m’accueillir mais je reste distante, soucieuse de me protéger quoi qu’il arrive. Il m’invite à m’asseoir, ce que je fais sans un mot. Il m’imite et nous restons quelques instants à nous regarder, mais je n’en supporte pas d’avantage et je détourne les yeux.

— Ecoute Joe, je me suis comporté comme un abruti, je…

Sa phrase reste en suspens lorsque je recule ma main au moment où il tente d’y poser la sienne. Désarçonné, il serre le poing, une tristesse profonde dans les yeux. Je suis tiraillée entre l’envie de le prendre dans mes bras pour le rassurer et la colère qui coule encore dans mes veines. J’ai besoin de savoir.

— Ok, je comprends,je t’ai blessée. Je suis désolé, j’ai fait n’importe quoi ces derniers jours.

Devant ma surprise et mon regard perdu il comprend son erreur.

— Non, je ne regrette pas ce qu’il s’est passé entre nous. Tout était parfait...tu es parfaite. Ce que je veux dire c’est qu’ensuite j’ai fait n’importe quoi.

Nous sommes interrompus par la serveuse qui vient prendre notre commande. Je n’ai envie de rien mais commande un verre d’eau. Il demande un café à la serveuse qui lui fait les yeux doux mais dont il fait peu de cas. Je suis surprise qu’il commande un café, et c’est seulement à cet instant que je constate ses traits tirés et sa fatigue apparente.

— Dimanche, reprend-il, quand nous nous sommes quittés j’ai reçu un message.

J’acquiesce à l’évocation de ce souvenir.

— C’était un message de Coleen. Elle voulait me voir et me disait que c’était urgent. Je lui ai proposé de me retrouver après l’entraînement. J’ai cru qu’elle voulait organiser quelque chose pour l’anniversaire de Ness qui approche ou un truc dans le genre.

Il s’arrête un instant, donnant encore plus de poids aux mots qui vont indéniablement sortir.

— Quand je l’ai vu, je ne voulais pas le croire mais j’ai compris tout de suite. Elle m’a annoncé qu’elle était enceinte et que j’étais le père.

Ces mots tombent comme une massue. Même si j’en connaissais le contenu, j’avais espéré que cette conversation m’apporte une toute autre explication.

Nous restons silencieux, moi perdue dans mes pensées, lui dans l’attente de ma réaction. La serveuse, tout sourire, nous apporte nos commandes mais comprend dans l’instant, sous mon regard noir, qu’elle n’est pas la bienvenue.

La gorge sèche, je bois quelques gorgées d’eau avant de prendre la parole.

— Lorsque nous avons passé la nuit ensemble, tu peux m’assurer que tu n’étais au courant de rien ?

— Comment peux-tu croire une chose pareille.

Il reçoit ma question comme une gifle mais devant mon besoin d’être rassurée il se reprend et s’adresse à moi avec tant de douleur et de sincérité dans la voix que mon cœur se déchire d’avantage.

— Je ne sais pas ce qui te fait croire l’inverse mais je te promets que je n’en savais rien.

Je tais délibérément l’insinuation de Coleen à ce propos. Il va être père et je ne veux pas être source de conflit entre lui et la mère de son enfant.

— Je suis désolé d’avoir pris mes distances ces derniers jours. J’étais perdu, désorienté, je ne voulais pas le croire et j’avais besoin de prendre du recul.

Le regard figé sur mon verre d’eau je n’ose le regarder. Devant mon silence, il poursuit.

— Après la perte d’un enfant je ne voulais pas t’imposer une telle situation sans en être certain…

Mes doigts se crispent sur le verre au point que mes phalanges en deviennent blanches. Je ne peux pas nier que l’amertume que je ressens a pris racine en voyant le ventre rebondi de cette jeune femme et l’annonce de la paternité de Matthew. Même si nous n’étions qu’aux prémisses d’une relation, Matthew aurait pu être l’homme qui aurait su faire naître le désir d’un avenir et, même si j’ai du mal à l’admettre, celui d’une famille.

— Lorsque tu nous as vus hier, nous avions rendez-vous avec l’échographiste.

Cette ultime information me fait l’effet d’une douche froide. Je relève les yeux sur lui. Je le crois quand il me dit qu’il était perdu.

— Comment va le bébé ?

J’ai posé la question sans m’en rendre compte, mécaniquement, comme détachée de cette situation. Son hésitation me crispe.

— Elle va bien…

— C’est une fille…dis-je ma voix à peine audible.

C’est le coup de grâce. Devant son acquiescement, je ravale les larmes qui menacent et m’excuse pour me rendre aux toilettes. Quand je me regarde dans le miroir je ne me reconnais plus. Je suis livide, le teint blafard, les yeux rouges. En flashback je me revois enceinte, ma joie de voir mon corps se transformer, le bonheur de Marc à chaque étape de cette attente. Notre émotion à la naissance de Nina. Qui suis-je pour priver Matthew de tout ça. Je me passe un peu d’eau sur la nuque et retourne dans la salle le retrouver. Lorsqu’il m’a annoncé que son futur enfant allait bien j’ai perçu l’espace d’un infime moment une certaine fierté bien trop vite assombrie par la culpabilité. Je ne peux pas lui faire ça. Lorsque je m’installe de nouveau en face de lui je sais que j’ai pris la bonne décision. Il sera un père formidable.

— Toutes mes félicitations et je vous souhaite tous mes vœux de bonheur.

Je tente d’accompagner mes paroles avec un sourire mais il n’est pas dupe.

— Quoi ? mais non ! pour ma part ça ne change rien entre nous.

Je m’approche et tends mes deux mains pour couvrir la sienne. Ce contact me fait perdre mes moyens l’espace d’un instant. Nous fixons tous les deux nos mains jointes. Je dois me souvenir qu’il faut que je respire et garder en tête mon objectif.

— On a passé de très bons moments ensembles, j’en garderai un très bon souvenir. Mais aujourd’hui ta priorité est ailleurs.

Son regard ténébreux me sonde, il secoue la tête et tend la main vers mon visage. Cette fois je ne recule pas. Ses doigts caressent ma joue et la douceur de son geste finit par me briser le cœur. Je tente de ne rien laisser transparaître et lui saisis la main pour la reposer sur la table tout en la gardant dans la mienne.

— Tu sais que les deux ne sont pas incompatibles.

— Ne me demande pas de m’immiscer entre ta fille et toi, tu finiras par te sentir coupable vis-à-vis de moi, d’elle et tu seras malheureux.

Mon ton est sans appel et n’attend aucune réponse. Je me saisis de mon sac et me lève. Il règle l'addition et me suis sur le trottoir.

— On fait une erreur, dit-il sombrement.

— Je t’assure que non.

Je regarde derrière moi pour me donner du courage et refais face à lui.

— Au revoir Matthew.

— Au revoir Joséphine.

Alors que je m’apprête à partir il me rattrape par le bras et je me retrouve dans ses bras, nos corps enlacés, nos lèvres jointes en un dernier baiser. Mon cœur explose dans ma poitrine et me fait presque oublier ma décision. Je m’imprègne une dernière fois de cette sensation qui me transporte en lui rendant son baiser mais les larmes coulent sur ma joue et me rappellent à l’ordre.

— Non je ne peux pas…dis-je la voix voilée.

Je pars précipitamment, laissant derrière moi un homme merveilleux et désabusé.


Tu as aimé ce chapitre ?

8

8 commentaires

ÉmilieC28

-

Il y a 3 ans

Je pense qu'elle exagère, c'est tout à fait possible d'élever un enfant et d'aimer une femme autre que la mère. Un enfant mérite que ses deux parents soient heureux ensemble ou séparés

Ellover

-

Il y a 3 ans

C'est trop triste! Mais pourquoi??

reveusedhistoires

-

Il y a 3 ans

Non mais ce chapitre... J'ai mal au coeur pour eux. Les larmes aux yeux 😔

KBrusop

-

Il y a 3 ans

Merci pour tes réactions !

Jess Swann

-

Il y a 3 ans

Oh non non non ! Qui nous dit qu'il est vraiment le père ? Si ça se trouve Colleen ment pour essayer de le récupérer. Pauvre Joe, on sent qu'elle a le coeur brisé et ça se comprend. Un très beau chapitre encore une fois
Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.