Fyctia
Sorcières et solidaires
Mélusine.
Alors voilà, on y est. Toutes les sorcières le savent : une flamme de bougie s'éteint à un moment. L'énergie est là et puis un jour... Nous ne sommes jamais préparés à la perte d'un parent. Jamais. J'ai beau y croire, me dire que nous allons trouver cette pierre, personne n'est immortel. Et c'est un principe de ne pas aller contre cette loi de la nature. Nous pourrons chercher toutes les pierres et sortilèges possibles, la mort n'est pas évitable. La flamme s'éteint.
Ma tristesse est abyssale. Celle d'Aurore me rejoint. Mais quand je pense à Sagamore, j'ai le cœur littéralement brisé. Les parents d'Aurore ne comptent pas comme des grands-parents. Il n'a presque pas connu mon père, et aujourd'hui, nous allons perdre un pilier de la famille. C'est si important une grand-mère lorsque l'on grandit. C'est elle qui nous console, fait le lien avec les parents, excuse les bêtises...
J'ai besoin de l'appeler quand Sagamore fait quelque chose de mal, pour qu'elle me dise que ce n'est pas grave, tout le monde a fait des bêtises. Sagamore a besoin de pouvoir partir quand il le souhaite chez sa grand-mère pour discuter, prendre le large, ne plus avoir ses deux mères sur le dos. Je le comprends.
Et ce n'est pas Ernest qui pourra le faire parler... Papa est devenu un chat, déjà qu'il ne parlait pas beaucoup... Avec son mauvais caractère, je ne sais pas s'il prendrait même le temps de l'écouter. Et puis il faudrait expliquer à Sagamore toute l'histoire... Il va nous prendre pour des fous.
Il va falloir lui parler. J'en ai conscience, cela devient urgent. Et en même temps, l'urgence est d'abord de soulager maman. Pauvre maman. Je sais qu'elle souffre. Même si elle ne le dit pas. C'est pour cela qu'il nous faut cette pierre.
Quand nous rentrons enfin, Sagamore s'est fait à manger et est déjà partie dans sa chambre. Aurore nous sert une soupe et au lit ! Sans un mot, nous nous couchons, encore dans nos pensées. Quand je me penche pour l'embrasser et lui souhaiter bonne nuit, elle semble elle aussi dans ses pensées.
Penchée sur le côté, elle pose son doigt sur mon front, à l'endroit de ma ride du lion. « Je t'aime. Mais je pense que nous avons besoin d'aide sur ce coup-là... Si l'on doit chercher cette pierre, il faut en parler... »
Je me redresse sur le coude et plisse encore plus le front. « Tu sais très bien que les autres ne voudrons pas nous aider... Frôler la magie noire... Quand c'est pour donner la vie, peut-être. Mais pour contrer les lois de la nature, jamais. Je ne vois qu'une personne qui voudra nous aider... »
Aurore m'embrasse et se couche, prête à dormir. « J'appellerai Bartabas dès demain matin. Bonne nuit. »
Le lendemain soir, nous voilà à trois dans le salon de la maison du lac. Bartabas, Aurore et moi en triangle, les mains liées. Il n'existe plus de jalousie envers Bartabas, comme si celle-ci s'était envolée avec l'anémie de Gondolfa. Les yeux clos, nous répétons un sortilège. Heureusement, maman a encore de vieilles cartes de la région. On ne sait jamais, la pierre pourrait être proche.
Aurore murmure. « Concentre-toi Mélu. »
Je respire et fais le vide en moi. Nous reprenons. Et là, le cristal s'anime. Il commence à trembler, puis est attiré par un point sur la carte. Soudain, celui-ci s'écarte et explose. Nous sommes tous les trois ébahis. « Je n'avais jamais vu cela. »
Aurore cherche une explication. « Peut-être que la pierre que nous cherchons est trop puissante ? »
Bartabas semble dubitatif. Il se gratte la barbe. « Le cristal s'est arrêté sur un endroit particulier. »
Ma femme et moi nous penchons sur la carte. Bartabas reprend. « Mon ancien groupe siégeait dans ce coin... »
Je leur demande d'attendre et pars au chevet de maman, dans la chambre à quelques mètres. D'une voix faible, elle me demande ce qu'il en est. Quand je lui explique ce qu'il s'est passé, elle confirme l'intuition de Bartabas. « Il y a une seule explication. Si la pierre se brise, c'est qu'il y a un sort de protection. On cherche à la cacher... »
Bartabas fait les cent pas dans le salon. C'est une pierre rare. Nous avons de la chance, il y en a une pas loin... Mais elle doit être très bien gardée. Par des sorciers. C'est le pire cas possible. Aurore reste silencieuse également.
Soudain, on toque à la porte. Carmen entre en trombe. « J'ai amené des pierres. Sortez le sel et l'eau. Il va falloir les purifier avant de les donner à Gondolfa. Cela ne fera pas de miracle, mais ça lui fera du bien... De toute façon, elle s'y connaît mieux que moi là-dessus... »
Je vais pour refermer la porte quand Mathilda la pousse. « Coucou les filles. Oups, pardon, bonjour Bartabas. J'ai quelques potions. J'ai travaillé dessus toute la journée. Attention, chaud devant. Il faut faire chauffer celle dans le flacon et la mélanger dans le pot... »
Finalement, toutes les sorcières arrivent. Je regarde Aurore avec un sourire. Nous ne sommes pas prêts de rentrer chez nous...
Elles se sont toutes affairées dans la cuisine et autour de Gondolfa. Puis doucement, l'entrain est retombé. La maison est devenue de plus en plus calme. L'effet apaisant du lac, peut-être. Et de Gondolfa qui rejoint le pays des rêves.
Je rejoins tout le monde dans le salon après l'avoir bordé. « Elle s'est endormie. Je crois que le Quartz Rose l'a aidé. »
Malgré moi, je sens les larmes me monter aux yeux. Aurore tente de faire diversion. « Bon et bien... »
Mathilda la coupe. « Mélusine, Aurore, on ne va pas vous mentir. On connaît tous l'issu. Mais je pense pouvoir parler aux noms de notre communauté pour vous dire que nous allons tout faire pour aider Gondolfa. Elle nous a tellement appris et guidé dans notre chemin de sorcière... Nous allons nous relayer et apporter tous les soins possibles, humains ou magiques, pour l'aider. Et si vous-même avez besoin de nous, n'hésitez pas. »
Sur ce, je les remercie chaleureusement. Enfin, autant que je le peux. Je ne suis pas aussi démonstrative qu'Aurore qui les prend chacune dans ses bras. Bartabas est en retrait. Je le sens mal à l'aise de faire des recherches dans le dos de la communauté. Peu importe. Nous devons retrouver cette pierre.
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