Fyctia
6.2 CALYPSO
Je m’avoue vaincue. Lyra a raison, les élèves en renforcement sont plus âgés et ne sont plus dans un cursus obligatoire. Ils viennent poursuivre leurs études pour… eh bien, renforcer leurs dons, ou entamer des recherches. En l'occurrence, Galatée a vingt-trois ans et se spécialise dans les potions. Elle consacre donc tout son temps à ses recherches et à des cours très spécifiques. Son projet consiste à rendre la science des potions plus sécurisée. Au vu des derniers événements, ses travaux doivent être suivis avec intérêt. Nous nous mettons d’accord pour aller lui rendre visite demain. Le vendredi est la journée idéale, personne ne fait rien, tout le monde profite toujours de ce premier jour de repos avec délice.
Pour lors, je ne peux que ronger mon frein. Accompagner Lyra soigner ses quelques égratignures, écouter à demi les félicitations des directeurs. Nous croisons de nombreuses connaissances avec qui nous discutons à chaque fois brièvement, les sujets se ressemblent tous : “Oh Lyra, j’ai vu ce garçon parler de toi tout à l’heure au stand de brochettes” , “Hey Calypso ! Tu as mis une sacrée raclée à ta cousine, il paraît qu'à peine revenue elle s’est précipitée jusqu’au portail” et blablabla. Lorsque mes frères nous retrouvent, je les supplie de rentrer et c’est avec un bonheur non dissimulé que je retrouve ma chambre le soir même.
***
Nous nous promenons main dans la main autour du lac. Tout est très sombre, aucune étoile ne brille, seul un brouillard luminescent et une poignée de feux follets apportent un semblant de lumière. Je devine les traits anguleux de mon ami. Je n’entend pas ce qu’il me dit, mais il rit et je l’imite. Lorsqu’il se place face à moi, les battements de mon cœur s'accélèrent.
– Suis-moi, souffle-t-il.
Je n’ai pas réellement le choix de le suivre ou non, ses deux mains emprisonnent les miennes. Je ne me souvenais pas qu’elles étaient si grandes. Et il avance à reculons vers le lac. Mes pieds nus s’enfoncent dans la vase, l’eau glacée mord mes chevilles, puis mes mollets. Ses mains descendent sur ma taille, nous continuons d’avancer et à mesure que l’eau monte sur nos corps, nos uniformes blancs laissent entrevoir nos peaux. Seuls nos corsets préservent encore notre pudeur et c’est un effort surhumain de ne pas admirer le corps de mon ami. Heureusement que l’eau est gelée, auquel cas il aurait fallu appeler les secours pour cause de combustion spontanée.
Ce n’est qu’après avoir reculé d’encore plusieurs mètres qu’une pointe d’angoisse s’insinue en moi, je ne touche plus du tout le fond du lac. Heureusement, cette idée est très vite balayée lorsque je réalise que lui si, et il ne me lâchera pas, je le sais. Enfin, je pensais le savoir puisque justement, sa main gauche remonte le long de mon bras, caresse mon épaule et vient se poser sur ma joue. Son visage se rapproche dangereusement, mon estomac se serre d'appréhension, je rêve de ce qui va arriver. Je meurs d’envie.
Alors que ses lèvres ne sont qu’à quelques microscopiques millimètres seulement des miennes, il fond dans mon cou.
– Tu ne pensais quand même pas t’en sortir comme ça ?
Sa voix est glaçante et surtout, sa main caressant auparavant ma joue serre à présent ma gorge. Je laisse échapper un hoquet de terreur lorsque son visage m'apparaît à nouveau, bleuté, légèrement gonflé : celui du Gidéon mort noyé. J’essaie de m'enfuir, j’essaie de me débattre, rien n’y fait, il m'entraîne dans les profondeurs du lac. L’air me manque.
Je dois être réveillée par mon propre hurlement, ou par la voix de Lyra de l’autre côté de la porte. Quoi qu’il en soit je cours lui ouvrir et me blottit dans ses bras. Je la sens qui s’inquiète de plus en plus de mon état. Je ne sais pas si j’ai eu une période de mieux, ce qui est certain en revanche c’est que cette nuit a été la pire de ma vie. Lyra chuchote à mon oreille des paroles réconfortantes, tout en me caressant les cheveux dans un geste maternel.
– Retourne te coucher Calypso, je reviens avec le petit déjeuner.
– Ne me laisse pas seule, supplié-je.
J’ai peur. Le jour n’est pas encore tout à fait levé, alors elle m’accompagne jusqu’à mon lit et allume les trois bougies à moitié fondues sur ma table de nuit. Leur lueur rougeoyante met en évidence ses cernes creusées. Son visage est marqué par le chagrin et la fatigue. Je souhaite réellement être en mesure de la soutenir comme elle me soutient dans cette épreuve. Au lieu de cela je suis désagréable la moitié du temps. Absente l’autre moitié. Je la laisse finalement repartir : « le temps d’allumer la cheminée pour réchauffer le cottage et préparer le thé ».
Pendant ce temps, j’observe les plantes qui envahissent mon bureau. Elles ne sont pas en grande forme non plus. Je repose les pieds à terre et fais deux pas dans leur direction. M’emparant d’une grosse feuille sèche, je ferme les yeux et puise dans mon être pour redonner de la vie à cette plante. Lorsque je les ouvre de nouveau, rien n’a changé. Je baisse les yeux vers le pendentif de mon collier. La pierre verte qui devrait me servir de support pour puiser ma magie est terne. J’essaie de ne pas paniquer davantage. La magie élémentaire est liée aux émotions et les miennes n’ont jamais été des plus stables. Cela a plutôt tendance à provoquer de grandes choses, mais pas aujourd’hui de toute évidence.
– Me revoilà.
Lyra dépose directement la tasse dans mes mains. Puis nous nous asseyons côte à côte.
– Je suis en train de faire mourir mes plantes, commencé-je avec un trémolo dans la voix.
– Oh petite grenouille, moi aussi je fais mourir tes plantes…
Lyra n’a jamais eu la main très verte, elle a réussi à tuer toutes celles que je lui ai offertes.
– …Je sais que tu les affectionnes et que tu leur consacres beaucoup d’énergie mais laisse-toi le temps d’aller mieux. Tu verras que tu seras de nouveau capable d’utiliser ton pouvoir à tort et à travers toute la journée. Est-ce que tu as besoin de parler ?
Un sanglot soulève ma poitrine et je lui raconte tout. Gidéon, mes sentiments pour lui, mon cauchemar. Pendant le récit, elle m’enlace fort et laisse échapper quelques larmes. À la fin, nous finissons blotties l’une contre l’autre, nos tasses pleines et fumantes au pied du lit.
– Je suis sûre qu’il t’aimait Caly. Il ne t'aurait jamais fait le moindre mal, il aurait tout fait pour te garder en sécurité et te faire plaisir. Comme la fois où il t’a portée jusqu'à la plage pour que tu puisses la voir de plus près alors que ta cheville était cassée.
– C’était quand ? demandé-je d’une petite voix.
– Après que tu aies trouvé que sauter de la fenêtre du premier étage de ta maison était une idée géniale.
– Ah ! Oui, maintenant que tu le dis. Je maintiens que c’était de la faute d’Adriel.
– Ne recommence pas avec ça. Je ne suis pas votre arbitre hein !
Nous essuyons mutuellement nos cils mouillés et reniflons en chœur.
– Tu veux toujours aller chez Galatée ?
– Peut-être cet après-midi ? On peut aller dans le salon, dormir encore un peu ?
42 commentaires
WildFlower
-
Il y a 4 mois
LiliJane
-
Il y a 4 mois
Gottesmann Pascal
-
Il y a 4 mois
LiliJane
-
Il y a 4 mois
Emmy Jolly
-
Il y a 4 mois
LiliJane
-
Il y a 4 mois