Fyctia

Autant j’ai aimé observer les réactions timorées d’Erval, le sérieux de Kim en toute circonstances, l’air parfois désespéré de Tatialine face au chaos qui règne pendant les repas, et la proximité de “LilieNinnie”, comme Aelya et Célener aiment s’appeler, autant voir Waane roucouler avec Ashog fut une expérience traumatisante.

Si j’avais de l’espoir, ce ship m'énerverait. Comme je n’ai pas d’espoir, ce ship ne m'énerve pas.

Et je suis absolument ravi d’avoir ma vraie première séance de danse de combat avec Aelya : elle se montre plus douce, plus patiente et plus tendre avec moi.

Avant de partir chez les Druides avec Ash, Tatialine nous a couvé tous les deux d’un long regard concerné avant de murmurer un encourageant : nous allons y arriver, tous ensemble.

Malgré leur banalité affligeante, ses encouragements m’ont touché.

Je suis reconnaissant à Tatialine et Célener d'avoir tu notre conversation privée avec Ancelin. Elles n'ont pas dit un mot des révélations sur mon passé non plus. Malheureusement, les trop nombreux regards que Tatialine me lançait ont soulevé des soupçons que la gêne d'Erval a entériné.

Les Aventuriers ne sont pas idiots : ils ont compris que Tatialine leur cache des choses à mon sujet. Ça n'a pas plu à Kheog qui a décrété que les secrets tuaient d'autant plus la confiance qu'elle était difficile à accorder à "certaines personnes".

Certaines personnes.

On sait tous à qui il faisait référence. Si Kim a tempéré, Tatialine fait les gros yeux et Célener râlé, Ashog, lui, s'est contenté de hocher la tête. Mais que pouvais-je attendre d'autre, de sa part ? Ce n'est pas comme si me saisir le poignet ou reconnaître un lien décidé par une Déesse allait faire disparaître des années de haine, de mensonges et de non-dits. Il me croit responsable de la mort de ses deux parents... alors que j'avais peur de l'une et que l'autre est encore vivant.

Bodag Nazran... jamais je ne me serais approché d'elle de mon plein gré.

Machinalement, je passe les doigts sous ma tunique pour dessiner les contours de ma cicatrice sur le torse. De l'autre main, je palpe l'arrière de mon crâne. La première tentative de meurtre de cette folle a laissé des traces sur mon âme, les deux autres sur mon corps.

Même si apparemment, elle ne voulait pas me tuer la troisième fois.

Aiïsch, il faut vraiment que je parle à Mère. Et à Elkan. Si elle a utilisé une malédiction sur Lykoi... elle l'a peut-être aussi fait sur Ash ? Ou sur moi ? Est-ce que les Sorciers peuvent voir les malédictions ?

— Alors, tu vas demander quoi, dis ? demande soudain Erval, dont le regard vacille et les lèvres tremblent un peu.

— Huh ? Oh... le vote.

Le Faune hoche la tête. Ses doigts tambourinent sur la table basse. Son sabot bat un rythme effréné contre un de ses pieds. Mon regard saute de son visage affligé à son médaillon ou s’affiche toujours le fromage coloré sur lequel se superpose deux rectangles parallèles opaques. Le chiffre d’Erval n'atteint même pas cinq.

Je baisse le menton, mal à l'aise. Je ne pensais pas qu'il y aurait autant d'écart entre les Aventuriers. Je ne pensais pas que les TerreMondiens feraient autant de différence entre nous. Après tout, nous sommes une... famille. Qu'ils aient un préféré, je le conçois, mais à ce point ? Célener et Erval ne méritent pas ça. Même Kheog ne mérite pas ça, et pourtant, je ne l'apprécie pas.

Nous sommes des divertissements pour eux. Ont-ils seulement conscience d’avoir de vraies personnes sous les yeux ?

— Zyn danse avec la Lune, se moque Waane.

— Zyn a mal au ch'veux, surtout, rétorque Célener. Personne ne connaît une boisson magique qui fait passer la gueule de bois ? Kim, tu t'y connais en poison, non ? On peut voir l'alcool comme un poison, non ?

Kim montre le verre qu'elle a en main, sort un sachet de sa poche et en verse la poudre dans sa mixture.

— Je suis justement dessus depuis que je l'ai vu se tortiller par terre comme une chenille agonisante. Le problème, c'est qu’il n’y avait pas les bons ingrédients dans la kitchenette, j'ai été obligé d'aller les acheter au marché permanent.

— C’est peut-être pas la peine, je vais déjà mieux, hasardé-je, écœuré d'avance.

Kim me toise d'un air suffisant, recommence à touiller et me donne le verre.

— Si ton teint n’était pas presque aussi vert que celui d’un certain Druide, tu m’aurais peut-être convaincu. La prochaine fois, tu y réfléchiras deux fois avant de te saouler.

— Zyn tient très bien l'alcool, tant que ce n'est pas de l'alcool, s'esclaffe Célener. C'est lui qui l'a dit !

Quelques moqueries fusent, gentillettes et amicales, mais elles s'arrêtent sitôt que je fronce le nez.

— Ça va, les rassuré-je, c'est mérité. Ce truc sent juste la mort. Y a quoi de dedans ?

— Graines de roncelierre, pétales d'azalarium en poudre, graisse de frell et sucre de ravette.

— Ha, mais c'est immonde le sucre de ravette, intervient Waane. C'est encore plus acide que les citrutes ! Ma mère en mettait dans tous ses gâteaux, c'était atroce !

Il tire la langue, fait mine de la nettoyer avec ses doigts puis pose la main sur mon épaule pour me souhaiter bon courage. Ce n'est pas le sucre qui me dérange le plus, ce sont les graines de roncelierres. Leur goût fort colle sur la langue et reste dans la bouche pendant des heures si on ne nettoie pas ses dents directement avec de la pâte au mazerym.

— L'odeur me rappelle le café, remarque Aelya en reniflant. Je me demande si on peut faire un café de roncelierre !

Maintenant qu'elle le dit... ça explique pourquoi j'aime pas du tout le cafay.

— Bouche-toi le nez et avale-ça avant que le staff t'appelle, m'ordonne Kheog, bourru. Et ne demande pas n'importe quoi comme récompense. Fais-nous honneur.