Fyctia
Chapitre 10
Je me refais absolument tout le trajet, et toutes les étapes par lesquelles nous devons passer. Absolument rien ne cloche. Et pourtant, quelque chose me gêne. Je recommence le travail deux fois sans trouver quoi que ce soit d'anormal. J'en déduis que peut-être ma gêne est due aux nombreux facteurs encore inconnus dans mon équation. Des problèmes peuvent survenir sans que je n'y sois préparée et à ce moment-là, il faudra réagir. Je finis par tout remballer en soupirant. Je remarque que la température semble encore avoir chuté lorsqu'un long frisson remonte le long de mes bras et que je suis obligée de me frotter vigoureusement pour ne pas me mettre à trembler.
Soudain, je me souviens que j'ai un prisonnier dans la soute qui doit être en train de crever de froid et si je veux qu'il me soit utile vaudrait mieux éviter qu'il meurt d'hypothermie. J'attrape une couverture sur mon propre lit en soupirant lourdement. Je me persuade que le froid pourrait le tuer et je sors.
Sur le pont, je croise quelques filles de garde cette nuit en train de vérifier le matériel ainsi qu'une autre qui tient le gouvernail. Concentrées dans leur tâche, elles ne semblent pas me remarquer, ni même faire attention à ce qui se passe dans la pièce commune, toujours bruyante malgré la pluie qui claque partout et devient presque assourdissante.
Les petites portes ouvertes, je descends lentement les escaliers. J'avais raison, en bas il fait encore plus froid. La chair de poule revient au galop et je suis à deux doigts de claquer des dents. De plus, l'odeur n'a rien de très agréable, un mélange de renfermés et d'humidité qui me fait plisser le nez.
Je prends le temps en descendant d'allumer l'une des lampes à huile pour éclairer les marches.
- Comment sentez-vous votre Altesse ? L'endroit, est-il à votre convenance ? Demandais-je en avisant du jeune homme replié sur lui-même dans un coin de la cellule avec pour simple vêtement un pantalon tombant bas sur ses hanches.
Pour être honnête, j'avais complètement oublié ce détail et si je l'avais pris en compte, je serais sûrement descendu avant.
En restant sur mes gardes, j'ouvre la serrure pour entrer dans l'endroit de quelques petits mètres carrés que je referme aussitôt.
- Je pense qu'une cheminée ne serait pas de trop, de même pour un lit digne de ce nom. Par tous les saints, je ne sais pas comment vous faites pour rester aussi longtemps sur l'eau en ne pouvant vous reposer que dans ces choses. Est-ce pour cela que vous semblez vous trimballer un balai là où je le pense ? Parce que vous ne dormez pas suffisamment ? Me répond-il en claquant des dents entre chaque mot.
Sa voix pourtant si portante quelques heures plus tôt est à présent à peine plus audible qu'un murmure. Il relève le visage à la fin de sa phrase pour ponctuer ses derniers mots d'un sourire condescendant et moqueur qui m'horripile aussitôt et me donne simplement envie de le laisser en tête-à-tête avec l'hypothermie, et avec un peu de chance, la faucheuse.
Mais la raison et la fierté reprennent le pas sur le reste. Le coin de mes lèvres se retrousse de la même façon.
- Visiblement, ça ne vous plaît pas. Quel dommage ! Ironisais-je en penchant le visage, ignorant sa remarque. La prochaine fois, j'éviterai peut-être de demander à mon équipage de nettoyer le navire de fond en comble avec votre matelas, c'est promis.
- C'est vous qui finirez par trouver dommage le fait que ce matelas soit délabré, me promet-il en fermant brièvement les yeux.
Je le vois traversé d'un frisson alors que je sens le vent gelé caresser mon visage et faire voler quelques-unes de mes mèches rousses.
- Ne pensez-vous pas que ce vent est quelque peu désagréable, un peu frais aussi, dis-je alors.
Je remarque une légère tique sur sa joue, avant qu'il ne relève complètement le visage vers le mien et n'attache ses pupilles aux miennes.
- Que cherchez-vous ? Me demande-t-il finalement en retrouvant tout son sérieux.
Son visage exprime beaucoup de choses, peut-être même trop pour que je ne puisse toutes les analyser. Mais l'agacement, l'incompréhension et la curiosité semblent y avoir leur place.
- Comment ? Feins-je alors que mes doigts commencent à me piquer. Ne puis-je pas simplement venir vous rendre visite et apprécier le plaisir de votre compagnie ? Ma présence vous importune-t-elle tant que cela mon Prince ?
Je manque de faire un pas en arrière lorsqu'une étincelle s'allume dans les yeux du brun. Difficilement, il se relève, mais ne fait aucun pas. Il reste simplement à sa place et me regarde, m'analyse des pieds à la tête jusqu'à poser ses yeux presque noirs où se reflète la petite flamme de notre unique source de lumière, sur l'épais tissu que j'ai toujours entre les mains.
- Si vous souhaitez réellement apprécier le plaisir de ma compagnie, vous devriez avancer un peu. Je suis certain de pouvoir moi-même retirer votre balai finalement ou en placer un plus utile, ajoute-t-il en me lançant un sourire plus large.
Le sous-entendu est limpide, je ne m'en formalise pas car j'ai été entouré de pirates qui déblatèrent des conneries et des cochonneries plus grosses que leur avenir. Cela fait un très long moment que je ne fais plus attention à ce genre de parole.
- Vous devriez tenter de vous reposer, la journée risque d'être longue pour vous demain. En attendant, évitez de crever de froid, lançais-je en balançant finalement la couverture que j'ai dans les mains. Avoir à balancer votre corps par-dessus bord me ferait perdre un temps considérable que je refuse de vous accorder.
Sans plus de parole, je fais demi-tour en prenant bien soin de fermer la cellule. J'atteins la porte et manque de dévaler les escaliers quand elle s'ouvre devant moi.
- Mary ? Que fais-tu ici à cette heure-ci ?
Mon amie se fige complètement, une main contre sa poitrine comme pour empêcher son cœur d'en sortir et une fois qu'elle semble avoir repris contenance elle me répond en levant un tissu entre ses mains.
- Je suis venu dans ta loge, mais tu n'y étais pas. J'ai pensé qu'avec ce froid le prince aurait certainement besoin de quelque chose pour se réchauffer.
Ça ne m'étonne pas plus que cela qu'elle y ai pensé, Mary est certainement la plus prévenante d'entre nous. Ce qui m'étonne un peu plus en revanche, c'est qu'elle soit descendue sans avoir eu mon feu vert, mais là encore elle est tout autant attachée à cette mission que moi.
- Je lui ai déjà donné une couverture, mais si ça peut te faire plaisir, tu peux lui donner ça aussi, dis-je en passant à côté d'elle. Fais attention si tu comptes rentrer dans la cellule, il semble faible, mais on se sait jamais. Bonne nuit.
Je la sens hocher la tête plus que je ne la vois et l'instant suivant je suis de retour dans ma cabine. Étonnement sereine, je m'endors.
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