Fyctia
Quelle heure est-il ?
Quelle heure est-il ?
Ma tête est suffisamment réveillée pour qu'une petite voix distante y poursuive l'épatante réplique de Cyrano (« Quelle heure ? Quel pays ? Quel jour ? Quelle saison ? ») mais mon corps refuse, dans un premier temps, de bouger.
Vu la lumière qui traverse les persiennes, je dirais qu'il est pas loin de midi. Je mets quelques minutes à émerger, le temps que mes jambes obéissent au reste de mon corps qui exige de l'eau. Ça va, c'est dans la même pièce, la partie cuisine étant un mètre derrière le canapé qui se remet sans doute, lui aussi, de la nuit qu'il a passé. La tête ne me tourne pas, c'est un luxe. Une fois l'évier atteint, un verre rempli et bu, je crois pouvoir affirmer que ma gueule n'est pas de bois.
Suis-je tout seul ?
Je n'ose pas trop ouvrir les placards. Par contre, la porte de la chambre, juste pour vérifier... – vraiment, juste pour vérifier. J'y glisse un œil sur la pointe des pieds. Il y a un rideau occultant dans la chambre, luxe que je n'avais pas dans le salon-kitchenette, du coup il fait plus sombre. Je perçois tout de même les deux jeunes femmes allongées sous la couette, le bruit diffus de leurs respirations, leurs têtes proches l'une de l'autre, et je sens monter une bouffée de tendresse, un élan d'affection, une envie de m'insérer entre elles deux pour les serrer dans mes bras, un gros câlin bisounours à trois.
Je ne le fais, bien sûr, pas.
Oh tiens, un truc sympa, ce serait qu'elles aient du café et des croissants à leur réveil.
Je m'habille donc silencieusement, pique les clés, et sors à la recherche d'une boulangerie.
Le quartier Saint-Michel est animé à cette heure-ci. Un mélange cosmopolite et populaire de gens de tous âges, qui vont au marché, qui tapent un foot au pied du clocher, qui papotent sur la place autour d'un thé à la menthe, qui vivent je ne sais quelle vie. Moi, la mienne est orientée vers un but simple : des viennoiseries pour deux princesses et moi.
Il fait soleil. Mon corps y réagit en activant le souvenir des caresses de la veille – du matin, devrais-je dire. C'est doux, ça réchauffe, c'est enveloppant.
Quand je regagne l'appartement, j'entends des frémissements venant de la chambre, ceux d'une couette qu'on rabat pour s'extirper du lit. J'ai juste le temps de disposer croissants et chocolatines sur une assiette avant de voir Maya, échevelée et les yeux bouffis, avancer dans le petit couloir de l'entrée en se tenant les coudes – je précise la disposition de l'appartement : l'entrée ouvre sur un petit couloir, à droite il y a le salon-kitchenette, en face les toilettes et la salle-de-bains, à gauche le salon. Trente-cinq mètres carrés au doigt mouillé. Elle porte un pyjama en polaire rose barbe-à-papa, qui multiplie par huit mon envie d'un câlin bisounours.
— Salut Samy, elle me dit dans un sourire qui peine à illuminer au milieu de ses cheveux en broussaille.
— Coucou Marjo. Bien dormi ?
— Oui.
Elle s'étire mignonnement. Bon, avec ce pyjama, je crois que je trouverai « mignon » à peu près tout ce qu'elle fait.
Peu après, Anna arrive en bâillant. T-shirt, shorty (le sien, ou prêté par Maya ?), paupières ensommeillés mais, à mes yeux, grâce de Vénus sortant du bain. Ma faculté d'articuler vient de disparaître. Je fais quoi ? Je l'embrasse ? Ou... ?
Elle s’approche de moi, passe un bras autour de mon cou, s’élève sur la pointe de ses orteils et gratifie ma joue d’un plantureux baiser.
— C’était chouette, hier soir.
Je bafouille un oui légèrement étranglé, recevant le double mouvement ascensionnel du frisson de ses lèvres qui m’envole et de l’estomac qui me plombe au sol car, ce genre de réplique, ça veut bien dire : c’était hier soir et c’est tout, merci pour ta bienveillante collaboration. Au moins, ça a le mérite de dissiper toute éventuelle tension sexuelle. Ainsi entouré de deux nymphes, me voilà plus Artémis que Zeus – d’ailleurs, tant mieux, quand on y pense, quel gros dégueulasse, tout seigneur de l’Olympe qu’il est…
Du coup, on fait quoi ?
— Thé ou café ? propose Maya.
— Thé, s’il-te-plaît, lui répond Anna.
— Thé moi aussi. Et toi, Samy ?
— Euh… thé, pareil. Ne t’embarrasse pas à faire du café juste pour moi.
— Samuel, si tu veux du café, je fais du café.
— Non non, je veux comme vous.
Et non pas « je veux vous » mais j’ai réussi à éviter le lapsus. Maya hausse un sourcil, sourire en coin, je suis sûr qu’elle n’est pas dupe. Imagine-t-elle qu’un coin de ma tête tricote un de ces synopsis cliché de pornographie avec le langoureux duo lesbien auquel se greffe, après l’insoutenable attente où ces dames composent avec les moyens du bord, un inopiné homme au membre providentiel ? Eh ben même pas ! Paf ! Non, franchement, j’ai juste envie de partager une tasse fumante, une chocolatine et se blottir à trois sous un plaid sur ce fichu convertible qu’on aura remis en position canapé. Bon c’est peut-être, déjà, beaucoup demander.
Thé et viennoiseries, pour commencer. Une gorgée, un croc, et me revoilà détendu. Y a pas à dire, la chocolatine, ça élimine le spleen. Le soleil à travers les persiennes illumine les anges comme une peinture impressionniste. Cosette qui prend un thé avec Natacha Rostov, quelque chose comme ça, et je n’arrive pas à savoir si je suis team Marius ou prince Bolkonski. Ou ni l’un ni l’autre. Je répète au cas où le doute subsisterait : il n’y a dans cette pièce, malgré une esthétique féminine puissante, aucune tension sexuelle. Juste de l’affection pour deux personnes lumineuses, une que je connais depuis quelques mois, l’autre quelques heures.
Et c’est très agréable.
3 commentaires
Anthony Dabsal
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Il y a 10 jours
Gottesmann Pascal
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Il y a un mois