Fyctia
Avance rapide
Tante Lu a rangé les chiens, fermé à double tour et nous avons marché d'un bon pas vers la salle des fêtes. La vieille dame nous précède, imposant l'allure, endimanchée dans une robe terra-cotta avec une sorte de boa autour du cou, style vedette des Années folles.
Je vous épargnerai les discours des élus – à base de « valorisation territoriale, » « chance pour notre rayonnement économique, » « mise en lumière du local, » « coopération inédite entre les partenaires » et « rencontre de l’innovation et de la tradition sous le parrainage de l’excellence scientifique et du développement touristique et culturel familial, » dit d’une traite sans respirer au milieu.
Le futur directeur du pôle vétérinaire semblait encore plus enthousiaste que le maire, très heureux de pouvoir compter sur des financements à la hauteur de ses ambitions pour favoriser le bien-être animal, « du jamais vu dans un parc zoologique en Europe, » rien que ça.
Et puis on retourne chez Lu pour manger des crêpes, on la remercie, on remonte sur le scooter de Maya et on repart pour la grande ville, laissant derrière nous une promesse de revenir bientôt et une belle frayeur pour Nounouille qui n’est pas passé loin de se séparer de sa queue sous la roue arrière du scooter.
Le weekend, pas grand-chose à signaler. Vendredi prochain c’est l’anniversaire de Katia, une fille de notre promo, et elle entend faire la fête jusqu’à pas d’heure, donc on peut bien attendre une semaine. Je crois que Maya a déjeuné avec une copine le samedi à Saint-Michel, profité du marché des Capucins et de l’animation de son quartier, je suis sans doute resté chez moi à jouer à Dofus. Ah, si, je suis allé chez la coiffeuse, ça faisait bientôt deux mois.
« Elle t’a laissé un épi mais c’est mieux derrière les oreilles, » a commenté Maya le lundi.
Il me tarde d’aller en cours de mise en scène où on doit présenter nos textes.
C’est le jeudi.
Soyons jeudi, pour aller plus vite.
On est dans le grand amphi de la Maison des arts, c’est vraiment un lieu propice à la création de spectacles. On pourrait y passer une vie entière, donner naissance à des enfants de théâtre, les y construire et les faire grandir jusqu’à maturité, puis les envoyer tourner sur les plus belles planches du pays. Maya cartonne avec son solo. Elle crie, elle pleure, elle crache, elle hoquette, c’est une bête, c’est une humaine, c’est une poupée et une reine guerrière en jean troué. Maya, ma Brunehaut.
De mon côté, j’avance ma distribution : Victorien fait le chevalier, Maya la princesse, un autre gars sur Trouffi et le prof me conseille de le jouer moi-même mais que c’est une bonne idée d’avoir d’abord testé avec quelqu’un d’autre pour démarrer la mise en scène avec un regard extérieur et non pas en ayant la double casquette périlleuse de comédien et metteur en scène. Je n’ai pas encore de solution pour le dragon mais on aura un atelier marionnette le mois prochain, cool !
Eh ben ça y est, c’est vendredi. Je suis allé faire un saut chez Mollat pour lui acheter un bouquin sur l’adaptation cinématographique avortée de Dune par Alexandro Jodorowsky (Katia est fan) et une bouteille au Carrefour City du coin, et rendez-vous place Camille Jullian dans son deux pièces.
Je suis devant l'immeuble, je tape le code que Katia nous a envoyé par SMS quelques heures plus tôt, ma bouteille de blanc moelleux serrée contre moi aussi précieusement que le serait un corgi cajolé par la famille royale britannique. C'est au deuxième, à droite sur le palier, paillasson rouge piment avec marqué « Bienvenido » dessus. Katia n'a pas de liens particuliers avec l'Espagne, mais elle est sortie avec un type de Pampelune il y a quelques semaines, et c'était une petite attention à son égard. L'achat d'un paillasson pour optimiser un rencard, si si, ça existe, Katia l'a fait.
Je sonne, c'est... Non, ce n'est pas Maya qui m'ouvre. Une fille blonde aux yeux très clairs. Je ne la connais pas. Elle parle lentement, avec application, et le charme d'un accent d'Europe de l'Est.
— Salut, tu es Samuel ?
— Oui.
— Moi c'est Anna. Je suis l'amie de Marjorie !
— Oh ! Tu viens de République Tchèque ?
— Oui, de Brno, mais on s'est rencontrées à Prague.
— D'accord. Ah oui, elle m'a un peu parlé de toi... Et là, tu viens lui rendre visite ?
— C'est ça, je passe des vacances à Bordeaux.
— Chouette. Tu restes longtemps ?
— Au moins toute cette semaine, et après on verra. Bon, tu rentres ? Je ne vais pas tenir la porte toute la soirée.
— Oui, pardon ! Je rentre.
Dont acte. Je la frôle. Elle sent l'herbe fraîche, la rose et la lavande. Oui, tout ça. Heureusement que ma bouteille de moelleux est en verre, un corgi britannique n'aurait pas apprécié cette pression de mes doigts sur sa jugulaire.
Je suis donc entré, Anna m'indique sans se retourner la chambre dans laquelle sacs et manteaux jonchent le lit, j'y ajoute les miens.
— Anna, tu as ouvert à Samy ? demande la voix forte de Katia depuis le salon.
— Oui, je sortais des toilettes quand il a sonné, donc je lui ai ouvert.
— Top, je me demandais pourquoi ça prenait autant de temps, genre vous faisiez contre-soirée de votre côté.
— Non, pas du tout. Il a mis du temps à entrer, c'est tout
— C'était le temps de faire les présentations, j'ajoute en entrant derrière Anna.
— Ah, Samy, enfin !
Katia, enfoncée dans son canapé en cuir, ouvre les bras comme une mamma italienne recevant à souper l'un de ses innombrables petits-neveux. À côté d'elle il y a Victorien, grand, brun bouclé, regard sombre, lèvres charnues, t-shirt col V soulignant les pecs, un beau bébé. C'est, à part moi, le seul mec de la pièce. Une fille dissimulée sous des cheveux noirs anthracite que je ne connais pas et dont je ne retiendrai jamais le prénom occupe la dernière place du canapé, et puis il y a, sur un fauteuil, décapsulant sa bière avec un briquet, Maya, qui m'adresse un clin d'œil complice avant de décapsuler une deuxième bière, qu'elle me tend. D'autres voix féminines depuis la cuisine, deux, je dirais, maximum trois. Anna s'assoit près de Maya, à deux sur le fauteuil, cuisse contre cuisse, laissant libre une unique chaise, pour moi je suppose.
— Ouais, on est en petit comité, me dit Katia. Jürgen devait venir mais il a sa soirée jeu de rôle, et il ne loupe ça pour rien au monde.
— Pas grave, s'amuse Victorien, Jürgen aurait fait baisser le taux de jolis garçons dans la pièce. Pas vrai Samy ?
Hein ? Qui, moi ?
18 commentaires
Anthony Dabsal
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Il y a un mois
Gottesmann Pascal
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Il y a un mois
Augellino belverde
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Il y a un mois
Anthony Dabsal
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Il y a un mois