Fyctia
Chapitre 1.1 - Alessia
Joe peste sur les voitures devant nous qui n’avancent pas assez vite à son goût, j’ai l’impression que cela fait des heures qu'il lâche des jurons dans mes oreilles en faisant de grands gestes à l’attention des autres conducteurs qui tentent juste de se frayer un chemin dans la folie de la circulation londonienne.
– Regarde celui-là… Allez, pépère, on se bouge !
Je suis partagée entre l’envie de rire et de lui crier d'arrêter. Pourquoi le trajet est si long aujourd’hui ?
– J’aurais pu venir en métro, tu sais ? Je ne suis plus un bébé.
Un sourire narquois s’affiche sur le visage de mon frère, et je comprends mon erreur : depuis que je suis petite, mon père et mon frère m’imposent le même surnom qui m’a valu des moqueries à l’école et m’a fait soupirer jusqu’au lycée.
– Je sais, Baby Al. Tu es une grande fille maintenant. 22 ans, presque une adulte.
Je relève une dose de moquerie supplémentaire dans la façon dont il prolonge le "i" de fille, mais les rires remplacent les grognements dans la voiture et l’ambiance devient plus propice à la discussion. Je lui raconte mes aventures à Oxford, comment j’ai cru m’écrouler sous le poids de mes révisions cette année, mais aussi à quel point j’étais fière quand papa me racontait la réaction des gens quand il leur disait que j’allais devenir médecin.
– Effectivement, personne n’a pu passer à côté de l’info, s’amuse Joe. Mais moi aussi, je suis fier de toi.
Après quelques minutes de discussion supplémentaire, nous arrivons dans une rue à l’aspect familière. Je suis passée ici des centaines de fois pour revenir de l’école, m’entraîner ou juste pour espionner les adultes quand il combattait.
C’était avant l’accident. Il y a une éternité.
Au rez-de-chaussée d’un petit immeuble en brique rouge, se trouve une porte en bois au-dessus de laquelle on peut lire "Jackson Boxing Club". La porte est usée, et l’enseigne commence à s’abîmer, même si les néons rouges qui l’illuminent la nuit lui donnent un peu meilleure mine. C’est en la voyant que je réalise à quel point cet endroit que je croyais détester m’avait manqué.
Mon frère se gare sur le parking attenant, ouvre ma portière et fait mine de me tirer dehors.
– J’ai déjà passé bien assez de temps avec toi ici, Baby Al, sors de ma caisse.
Je ne manque pas de lui rappeler que c’est lui qui a voulu venir me chercher et aussi lui qui a passé son trajet à me casser les oreilles. Et puis même s’il se plaint je vois bien qu’il est heureux de me voir : il ne me quitte pas d’une semelle. Après avoir passé la porte grinçante, nous retrouvons le vieux canapé en cuir à l’entrée du club. Le grondement sourd des sacs de frappe résonne dans le club, comme un rythme régulier de tambours préparant les élèves à l'art exigeant de la boxe. Mon père, une figure imposante avec sa barbe poivre et sel, guide ses trois disciples avec une autorité bienveillante, et ses conseils cinglent l'air comme des directives précises.
Seth, aux yeux profonds, déchaîne des crochets puissants, son visage exprimant la détermination de maîtriser les flammes du ring. Marcus, la sagesse personnifiée, équilibre grâce et précision dans ses mouvements, accueillant chaque conseil de mon père comme une sagesse ancienne.
Le dernier parmi les élèves, Elion, maintient une distance apparente, ne montrant qu'un intérêt limité à ce que mon père lui raconte. Cependant, à un moment donné, nous nous laissons emporter par l'envie de taquiner un peu notre père, en l’imitant avec une grosse voix, et à notre grande surprise, Elion réagit de manière spectaculaire en frappant le sac de boxe avec une force fulgurante, il stupéfie l'ensemble de la salle. Alors que nous relevons la tête, je le surprends en train de nous lancer un regard sévère, qui se dissipe rapidement dans une aura d'indifférence.
Mon frère et moi, assis sur ce canapé empreint de souvenirs, observons avec admiration les leçons de vie se dérouler sur le ring. Le respect dans les yeux de mon père, la camaraderie entre les élèves et le murmure constant des sacs de frappe créent une mélodie familière. Je crois qu’à une époque, j’aurai pu prendre le risque et à recommencer à boxer juste pour l’adrénaline que cela me procurait.
C'est dans cet espace chargé d'émotions et d'histoires que se nouent les liens indéfectibles du Jackson Boxing Club, une arène où chaque coup, chaque sueur, et chaque conseil contribuent à sculpter non seulement des athlètes, mais aussi des âmes forgées dans le feu de la discipline et de la passion. Et dans ce coin du monde, où le cuir sent le travail acharné et les murs murmurent des récits de victoires et de défaites, je me sens à nouveau chez moi. Cette sensation ne fait que se renforcer quand mon père s’approche de moi à la fin de son cours pour me serrer dans ses bras.
– Papa, lâche-la, si tu continues tu vas l’étouffer.
Les rires fusent. Mon père nous sert un jus de pomme, la seule boisson qu’on puisse trouver ici à part de l’eau, et me pose mille questions sur mon voyage tout en surveillant d’un œil les vestiaires pour ne pas rater la sortie de ses élèves. Quand ceux-ci finissent par arriver, il les salue chacun d’une manière différente.
– Seth, hors de question que je vienne te chercher au commissariat en plein milieu de la nuit, alors reste prudent s’il te plaît.
Le souvenir le plus clair que j’ai de Seth, ce sont les cris de ses parents devant l’école à laquelle il vient de mettre le feu. Son surnom est resté Seth le pyromane durant des années après cet événement, Joe et moi l’appelons encore comme ça parfois.
Marcus s’avance ensuite timidement et mon père lui met une grande tape dans le dos qui le fait presque chanceler.
– Embrasse ta mère pour moi, mon petit Marcus.
Mon frère et moi échangeons un regard complice et, une fois que Marcus s’est éloigné, Joe se penche à l’oreille de mon père pour lui chuchoter comme si quelqu’un d’autre que nous risquait d’entendre :
– Je rêve où tu viens de lui dire de faire un bisou à sa maman ?
Il rougit, bégaie quelque chose d’incompréhensible, mais l’arrivée d’Elion lui donne une bonne excuse pour ne pas nous en dire plus. Le dernier boxeur garde un air détaché, un écouteur est déjà vissé dans son oreille, et c’est à peine s’il nous dit au revoir quand il fonce tête baissée vers la porte. Mon père le rattrape juste avant qu’il ne la franchisse.
– Elion, ne mange pas n’importe quoi. Ne fais pas n’importe quoi. Ne sors pas trop tard, tu as besoin de repos. Et relève un peu la tête, champion.
Le brun se contente d’un signe de tête avant de remettre ses écouteurs et de quitter la salle sans dire un mot. Je peux lire l’inquiétude de mon père dans ses yeux. Je ne l’ai vu que quelques fois, et ça n’augure rien de bon. Joe quitte lui aussi le club quelques minutes plus tard en affirmant qu'il a un rendez-vous professionnel mais qu'il reviendra me voir demain.
– Ça tombe bien qu’on soit juste tous les deux, ma chérie, j’ai un petit service à te demander.
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Elisa Antoine
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