Céline LE GOFF Réversion LE CERCLE

LE CERCLE

Quelqu’un frappa doucement à la porte, elle ouvrit les yeux, vaincue par la réalité, et se leva lentement pour se diriger vers le réfectoire d’un pas lourd, les épaules voutées. Jouan et Jasmine marchaient devant elle, main dans la main. Evan et Elet la suivaient ; elle sentait leur présence rassurante dans son dos. Tout le monde s’installa autour de la même table sur laquelle était simplement posé un verre d’eau ainsi que leur ratiopilule.


— J’en ai assez de cette ratiopilule ! Je ne supporte plus son goût… râla Evan en l’avalant.


— Tu peux déjà être content de ne pas mourir de faim… murmura Elet, renfrogné.


— C’est vrai ! Merci Nostra d’être si généreux avec nous ! J’avais oublié à quel point on avait de la chance, ironisa Evan.


— Vous saviez qu’ils distribuaient trois pilules par jour il y a cent ans ? dit Énarué. Je ne suis pas étonnée d’être continuellement fatiguée.


Evan fixait Énarué d’un air narquois, un sourire moqueur accroché à ses lèvres. Elle le regarda en retour et précipita son âme dans la sienne, ce qui eut pour effet immédiat de l’attendrir. Il reporta son attention sur le reflet de sa petite cuillère et esquissa un sourire satisfait. Grand et svelte, Evan coupait ses cheveux blancs et ondulés lui-même ce qui lui donnait une apparence négligée qu’il travaillait consciencieusement en passant régulièrement une main dans les cheveux d’une façon aussi risible que caricaturale. Son visage était harmonieux et de grands yeux gris encadraient son sourire ravageur. Celui qui faisait chavirer le cœur de toutes ses congénères. Il exerçait le métier d’ordonnanceur, ce qui impliquait principalement de contrôler les stocks et de réaliser régulièrement des inventaires. Une aubaine pour lui qui passait son temps à l’Agora à muscler son corps sur les quelques équipements qu’ils avaient à disposition.


— À quoi penses-tu ? demanda Énarué.


— Je ne sais pas, je crois que je suis en colère. Et en même temps, j’ai de plus en plus envie de remonter pour voir ce qu’il se passe sur Terra. Tu n’es pas curieuse, toi ? demanda-t-il nonchalamment avachi sur sa chaise.


— Je ne sais plus ce que je ressens. Tout se mélange. Tu n’as donc pas peur ?


— Non. Ce qui doit arriver arrivera. J’essaie de me persuader que nous allons y arriver. Imagine, Énarué, si nous découvrons que Terra est vivable, nous pourrions alors quitter cet enfer !


— Si tu le dis…


Evan se redressa et posa sa main sur celle d’Énarué. Une douce chaleur électrisa son corps, ce qui piqua sa curiosité. Bynsa entra subitement dans la pièce et jeta un œil alentour ; son regard s’arrêta sur son fils un instant.


— Nous allons pouvoir débuter si vous êtes prêts ! annonça-t-elle les yeux brillants.

Tout le groupe tira alors sa chaise et se mit en ordre de marche derrière Bynsa vers la grande pièce centrale. Chacun prit place sur le tapis en attendant qu’elle prenne la parole. L’écho souterrain emplissait toute la pièce et un clapotis exaspérant résonnait dans le silence. Bynsa s’éclaircit la voix et expliqua.


— Nous allons débuter aujourd’hui par l’histoire de Nostra, suivie de quelques éléments connus de l’histoire de Civilisation 1 ce qui devrait vous éclairer davantage en vous donnant des éléments que personne hormis quelques officiels ont en leur possession. Mais tout d’abord je souhaite vous présenter quelqu’un. Je vous remercie d’avance de ne pas le brusquer, et de ne lui poser aucune question. Il sort de sa cellule pour la première fois en un été et il est extrêmement fragilisé.


Un agent de la Cohorte entra alors dans la pièce en tenant par la main un homme à la mine hagarde. Il se tenait devant eux, les cheveux pêle-mêle, longs et sales, et les vêtements froissés. Ses yeux hallucinés faisaient penser à un animal pris dans un piège que l’on pouvait voir dans les illustrations de Civilisation 1.


— Voilà Dérouan. Dérouan, je te présente le cercle 100. En face de toi et côte à côte : Jouan et Jasmine. Sur ta gauche : Elet, Énarué. Et enfin, voici Evan… mon fils.


Dérouan n’eut aucune réaction, pas un hochement de tête, pas de battement de cils, rien… Il se tenait immobile, le corps électrique, en équilibre au bord du précipice et le regard absent.

L’agent de la Cohorte installa alors Dérouan sur le tapis juste à côté d’Énarué, juste assez pour qu’elle arrive à sentir son effluve. Elle eut très envie de se concentrer sur l’air qui l’entourait mais sa curiosité l’emporta quand Bynsa reprit la parole.


— Nous avons finalement décidé de vous en dire un peu plus que les précédents cercles. Comme l’a rappelé Elet, nous sommes conscients que les échecs successifs des remontées nous rendent tous très fragiles et que nous devons changer d’approche. Je vous propose de me laisser poursuivre mon récit jusqu’au bout ; je serai à votre disposition si vous avez des questions par la suite. Comme vous l’avez appris dans vos jeunes étés, Civilisation 1 a pris fin en l’an 2622. Nous avons quelques documents à notre disposition laissés là par les constructeurs de Nostra, qui retracent une chronologie des événements. Nous nous doutons que celle-ci est partielle mais je vais vous la livrer telle quelle. Lorsqu’il fut évident que Terra était perdue, les différentes nations ont commencé à prendre la mesure de la situation et à essayer de trouver des solutions. Il était alors bien trop tard pour sauver la population, il a alors fallu agir en urgence.


Deux arches ont alors été créés sous Terra…


Le cœur d’Énarué se mit à battre plus vite, son pouls s’accéléra. Tout le monde se regarda, sauf Dérouan qui fixait le mur, un filet de bave au coin des lèvres.


— Deux arches ! s’écria brusquement Elet. Attendez un instant…


— Vous voulez dire que nous ne sommes pas seuls ? Mais où sont ces gens ? Sommes-nous en contact avec eux ? demanda Elet.


— Je vais poursuivre mon récit, Elet, je répondrai aux questions dans un second temps, intervint Bynsa sèchement.


Nos ancêtres ont donc construit une arche identique à la nôtre, elles ont été disposées dans deux endroits sur Terra mais nous ignorons aujourd’hui où se trouve la deuxième. Nous sommes installés à six kilomètres sous Terra sous les territoires du Nord-Ouest du Canada de Civilisation 1. Les écrits relatent qu’il y aurait eu un tirage au sort mondial pour choisir cinq cents nouveaux-nés. Les TPad leur ont été greffés, ce qui devait les protéger des conséquences du réchauffement climatique et de la vie sous Terra. Ces bébés ont alors été dispatchés dans les deux colonies avec leurs parents jusqu’à l’âge de dix-sept étés. À ce moment-là, les parents ont été renvoyés à la surface pour laisser suffisamment de place, d’oxygène et de vivres aux élus.


— Si je résume bien, vous êtes en train nous expliquer que milles adultes ont été envoyés à la mort ? sur la base d’une décision arbitraire de Terriens vraisemblablement morts depuis vingt étés ! s’exclama Jouan.


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3 commentaires

Phoebe Gallagher

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Il y a 10 mois

🌻

François Lamour

-

Il y a 10 mois

Like du "Connard romantique" 😁

Emeline Guezel

-

Il y a 10 mois

À jour 🥰
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