Céline LE GOFF Réversion LE CERCLE

LE CERCLE

Jour 1 – 29 ombres restantes.


— Tu nous expliques, Énarué ? dit Elet, un doigt posé sur son torse, le regard froid.


— Que je vous explique quoi ?


— Cette scène étrange pour que Dérouan s’entraine avec nous !


— Je ne sais pas vraiment comment définir ce que j’ai ressenti, mais j’ai le sentiment très net que Dérouan sait des choses qu’il cache à tout le monde. Et je vous rappelle qu’il est notre meilleure chance. Il est le seul à être remonté et redescendu !


— Dans quel état ! intervint Jouan.


— Oui, effectivement, mais faites-moi confiance, je vous assure que je sens chez lui une force et une tristesse que je n’ai jamais ressentie sous Nostra. Je n’aurais pas pris le risque si je ne jugeais pas cela nécessaire.


— De toute façon ça change quoi ? lança Jasmine qui n’avait pas encore prononcé un mot. Qu’il vienne, qu’il ne vienne pas, on restera là-haut de toute façon…


Plus personne ne trouva rien à redire et tout le groupe se mura dans le silence. Au bout de quelques minutes, Énarué décida de partir à l’exploration de cette nouvelle partie de Nostra. Elle avait besoin de bouger pour s’extirper de ses pensées toutes plus sombres les unes que les autres.


— Attends, je viens avec toi, lança subitement Elet en se relevant de son fauteuil.


Ils décidèrent de commencer par le dortoir. Rien de surprenant à ce niveau : les cinq lits en métal étaient tous adjacents. Énarué passa sa main sur les habituels draps blancs, rêches. Aucune lumière n’était installée dans leur chambre. Les économies d’huile étaient passées par là. Les agents techniques n’allumaient les espaces de vie que quelques heures par jour depuis trente étés. Une salle de douche était installée juste à côté de la chambre commune dans laquelle étaient disposés trois éviers, seaux de douche et toilettes sèches. Les déchets organiques étaient recyclés sous Nostra, ce qui permettait à la colonie de se nourrir et de se laver. Cependant, les douches n’étaient autorisées qu’une fois tous les cinq ombres. Elles se prenaient avec l’eau des urines qui avaient été préalablement purifiées via le système d’épuration. Ici, rien ne se perdait et cette même eau était également celle qu’ils buvaient. Elle devenait de plus en plus trouble au fil des étés, mais personne n’aurait osé s’en plaindre.

Debout sur la pointe des pieds pour apercevoir son reflet dans un miroir, elle détourna le regard. Tout en elle la répugnait. De son teint blafard à ses cheveux rêches et à sa taille ridiculement petite. Cette taille qui lui avait valu nombre de moqueries mais qu’elle avait toujours su compenser grâce à son intelligence. Elle avait cependant hérité de la couleur des yeux de sa mère. Des yeux en amande d’une belle couleur bleu pâle qu’elles étaient les seules à posséder dans la colonie.


Elet et Énarué firent demi-tour. Le groupe était tel qu’ils l’avaient laissé. Evan jouait avec son couteau, le regard noir, en le lançant sur un tableau de scène de chasse accroché au mur dans un va et vient agaçant. Jouan et Jasmine étaient assis l’un en face de l’autre et se regardaient fixement en échangeant des signes d’acquiescement. Les enfants à terme avaient inventé leur propre langage visuel et c’était la première fois qu’Énarué le voyait de ses propres yeux. Elet lui fit signe et s’avança, d’un pas lent, vers le deuxième couloir. Elle s’empressa de le rejoindre.


— Il est enfermé ici ! s’exclama brusquement Elet en s’arrêtant devant une porte en acier fermée à double tour.


— Alors toi aussi tu le ressens ?


— Oui bien sûr ! Je comprends que tu souhaites qu’il passe du temps avec nous. Sa force est sous-estimée par les Anhédoniens.


— Les Anhédoniens ? Tu viens de l’inventer, rassure-moi, ricana Énarué.


Elet eut un léger rictus et serra ses poings. Ses traits se déformèrent l’espace d’un instant et son regard se perdit dans le vague. La veine de son cou battait si fort qu’Énarué prit peur. Il reprit son explication, les dents serrées.


— J’étudie Nostra depuis mes six étés et j’observe que de plus en plus de personnes développent des facultés à ressentir les flux d’air, les fréquences et les intuitions. Les Anhédoniens ne ressentent rien, ils sont basiquement humains. Des émotions classiques, une perception de leur environnement banale. Ils sont tout à fait incapables de voir ce qui se cache dans l’atmosphère, les courants d’air et les vibrations.


Regarde-toi, Énarué ! Connais-tu quelqu’un comme toi sous Nostra ?


— Non, en effet, mais il me semble que toi aussi tu es capable de ressentir les flux, répondit-elle.


— J’ai développé mes autres sens depuis ma naissance mais pas à ton niveau ; à ma connaissance, tu es la seule à pouvoir ressentir ce que tu nommes les trois airs.


— Il n’y en a donc que trois ?


— Je pense que oui…


— Que ressens-tu derrière cette porte, Elet ?


Elet se concentra, ferma les yeux et se mit à genoux, les mains sur la porte.


— Je ressens des ondes… Elles forment des vagues. L’air est mouvant tel un ressort, je vois des oscillations électromagnétiques. Elles sont invisibles à l’œil nu mais elles irradient la pièce… Une grande souffrance mentale, j’ai mal, je suis comme électrisé…


— Est-ce que tu l’entends crier ?


— Non, aucun cri. Un silence opaque, je ne perçois aucune respiration.


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5 commentaires

MARY POMME

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Il y a 10 mois

😊

Rose Olivier

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Il y a 10 mois

💜💜💜

Seb Verdier

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Il y a 10 mois

;)

François Lamour

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Il y a 10 mois

Like du "Connard romantique" 😁

Emeline Guezel

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Il y a 10 mois

À jour 🥰
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