Fyctia
Gaye kounye a (3)
Un « chut » esquissé par inadvertance de manière audible, m’apprend qu’il y a quelqu’un, voire plusieurs personnes à ses côtés. Je ne peux pas être plus rassurée, la nouvelle fera couler de l’encre comme je l’espère.
— Je préfère garder l’anonymat pour l’instant, mais je suis prête à vous accorder une interview le moment venu.
Elle se racle la gorge et par la suite, un crissement de meuble s’élève de son côté. En temps normal j’aurais été exaspérée par la longue attente. J’en suis loin à cette instant, certaine et apaisée par l’émulation qu’occasionne mon scoop. Je n’en demande pas moins. Je veux d’un beau scandale, d’une magnifique explosion, je veux le voir suer, brûler et périr de honte, hué, accablé, harcelé et massacré par la presse. Et maintenant que j’y pense, si j’avais donné ma version des faits, tel que souhaité devant ses convives, cela n’aurait pas eu le même impact.
— Ecoutez mademoiselle, je vous recontacte très vite pour fixer un lieu de rendez-vous. Vous pouvez en être certaine, l’information en vaut le coup. Mais je précise, ça se fera à mes conditions.
La messe dite, je mets fin à l’appel, puis rebondit sur une inflexion agacée.
— Qui est-ce ?
Le grésillement de sa voix lorsqu’il se l’éclaircit, me renseigne, me tord les boyaux, ensable ma langue déjà bien amère.
— Billy.
S’il n’en tenait qu’à moi, jamais je ne lui ouvrirais. Mais comme je ne suis pas ni chez moi, ni la bienvenue, je ne tarde pas.
— Je n’ai pas grand-chose à plier, attaqué-je à peine je l’ai en face, je serais loin d’ici peu.
De sa maison oui, de Seattle non. Il l’a lui-même reconnu tout à l’heure, lui et moi avons des comptes à régler. Et je compte plus que jamais l’avoir ma paie.
Aussi éreintée qu’irritée de l’avoir sous le nez, je tourne le dos, sans lui laisser en placer une. Mon déplacement, mes gestes, tout bouge grossièrement, hâtivement. Du dressing à mon lit, ma valise noire atterrit, rebondit, puis disparaît sous une dune de vêtements assez bouffie pour l’absorber. Je fais du boucan, soulève le vent dans l’espace autour d’un homme droit, fixe et silencieux comme une terre paisible. Je n’ai pas juste l’air d’une gamine capricieuse et pourrie gâtée, je le suis. Je l’assume tout autant, car mes raisons pèsent de leur poids. Et ce dernier n’est pas des moindres !
— Chérie.
Aïe, aïe Billy, en voilà un très… mais très mauvais départ.
Je ne sais pas comme il arrive à être aussi redoutable en affaires que nulle en relations humaines —du moins, avec moi. Réflexion faite, il n’y a rien de sorcier dans l’histoire. Il ne me connaît simplement pas. J’ai horreur de la flatterie, aussi câline puis-je être. Ce n’est pas par entêtement que ma mère ne se montre jamais conciliante avec moi dans mes moments de colère. Elle va jusqu’au bout, me pique jusqu’à la moelle, jusqu’au stop, jusqu’à ce qu’une des deux en ait marre, se taise ou se défile en bredouillant. Il aurait pu se pointer là en m’insultant, que j’aurais mieux digéré.
Cependant notre récent épisode tempétueux m’a servi de leçon. À ce jeu de mots, je perds toujours. À chaque fois, j’en ressors plus blessée qu’à l’aller. Exceptionnellement aujourd’hui nous avons été deux, Clara et moi, mais dans la majorité des cas, je suis la seule. Alors autant mieux l’ignorer, construire dans le silence, des actions concrètes et solides ; solidement dirigée contre lui, pour être sûre de gagner ne serait-ce qu’une fois face à son insensibilité.
— Chérie, j’essayais juste de me rapprocher de toi. Je t’ai vu heureuse et j’ai cru qu’une brèche c’était ouverte pour qu’il puisse y avoir un début de dialogue entre nous. Je suis désolé d’avoir crié tout à l’heure, je ne voulais pas te faire de peine. Il faudra bien qu’on se parle toi et moi un jour, tu le sais. En venant ici, tu as dû comprendra que ce serait inévitable. Il m’a même semblé que tu venais pour cette unique raison. Alors quoi ? Quel est le problème ?
Le problème, c’est tout : Tout ce que je sais de cet article, tout ce qu’il m’a dit tout à l’heure, tout ce qu’il a omis d’exprimer avant son départ, tout ce que j’ai souffert lorsque seul l’air occupait sa place. Le problème est que je ne sais plus où j’en suis, ni quel chemin emprunter et que toute cette agitation m’indispose, m’affole et m’enfonce ; et pas à bon port : l’enfer s’ouvre, il me semble, sous mes pas. Là où Kyo me présente le pardon, ce dernier m’offre le soulagement. Les flammes de la vengeance, les flammes du mal, mais c’est tellement satisfaisant, beaucoup trop facile pour ne pas être tentant, ensorcelant, convainquant.
Du reste, j’ai déjà cédée. Trop tard pour faire machine arrière. Y a-t-il seulement une justification valable pour qu’il obtienne cette grâce ? Sur la base de mon petit séjour, je l’affirme, aucune en vue.
— Billy, ton baratin ne vaut plus rien à présent. Je m’en vais.
— Justement, je suis là pour te retenir. Ne t’en va pas, je te le demande… à genoux, termine-t-il dans un souffle brisé.
Celui-ci est à tout vitesse rattrapé par un silence de plomb, ravageur tant il est poignant, tant il me poignarde le cœur pour l’emplir d’une douleur compatissante. Je me fige, j’aurais pu avoir un autre choix, si mon corps n’était pas un traitre —traitre à la logique, à la raison, faible car maudit de son évanescence.
Un bruit de clés vient combler le vide au moment où l’air commence à se faire si lourd que je n’en avale plus. La sensation d’être gavée, asphyxiée, en sueur et prise d’assaut par une armée de moustiques, est une horreur. Toutefois, elle ne surpassera jamais cette envie soudaine de me ruer dans ses bras, pour l’implorer, le supplier de ne plus me laisser tomber. Elle est autant à vomir qu’à chier.
J’ai beau vouloir la regarder de loin, coriace elle a dû se fondre dans ma peau, je n’arrive pas à m’en débarrasser.
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Gaye kounye a : maintenant rien (en créole haïtien)
Merci de continuer à suivre l'histoire et n'hésitez pas laisser des remarques constructives en commentaires... Ils m'aident à y voir plus clair.
🖤🖤🖤
Alphy.
13 commentaires
sunandsoon
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Il y a 4 ans
AlphyM
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Il y a 4 ans
Oona Rose
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Lordd
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Morello_h
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AlphyM
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Il y a 4 ans