Fyctia
Li vyolan
J’aurais aimé avoir droit à beaucoup plus de temps, pour m’en délecter, tressaillir sous la vigoureuse étreinte tiède et violente qui semble m’entraîner dans un tourbillon où passion et secousses ne forment qu’une seule et même entité. J’aurais voulu devenir une chair imperméable pour conserver à jamais cette onde d’électrochoc qui m’a fendu le corps en deux, laissant sur son passage, des sensations aussi grisantes que déconcertantes. Passer de l’hiver à l’été sans transition, ce n’est pas rien. Ça l’est encore moins de sentir la terreur disparaître en un clin d’œil pour laisser la place à du désir. Et quel désir ! Pure, dure, aussi corsé que l’a été l’âge de pierre, primitif comme l’a été l’homme à cette époque, loin des paravents de la délicatesse, la raison et la science. Si seulement j’étais maîtresse de l’horloge, du monde…
Mais peut-être devrais commencer par devenir maîtresse de mon corps, rester logique dans mes réactions. Et si je m’engageais plutôt à raturer ce sourire et à laisser davantage de place au plus légitime : l’hébètement, la colère et la déception ? Que fait ce pauvre employé de garage californien à une fête privée dont la quasi-totalité des invités est minimum, riche en millions ?
— Ah la voilà, marche vers moi Billy, les bras grands-ouverts. Messieurs, mesdames, ma grande fille, Rockalia. Je vous l’avais dit, elle est un peu timide.
Je crois entendre des applaudissements, des voix enchantées, des mots de bienvenu aussi. Simplement parce que je n’y suis pas, tout semble flou dans les alentours. Trouble aussi. Je ne vois que lui. Je ne désire entendre que sa voix, ou ne serait-ce le son de sa respiration partie tout autant en vrille que la mienne, au premier heurt de nos iris. Il a beau avoir repris contenance maintenant, il m’a reconnu, j’en suis certaine. J’en suis on ne peut plus émue, malgré tout.
— Tu veux bien dire quelques mots à nos invités, ma chérie ?
C’était pourtant le moment que j’attendais. L’heure à laquelle j’allais porter le premier coup de dague. Bien sûr que je veux leur dire quelques mots. J’ai tant de choses à partager avec nos invités, assez pour diviser par deux le taux d’estime qu’ils ont pour celui dont le sang coule malheureusement dans mes veines, mais… Dwayne est là. Il est de la partie et étrangement, ça change la donne.
— Oui, grimacé-je après avoir murmuré à son oreille un « ne me colle pas trop Billy ». Quand mon père a parlé de petit monde, c’est sûr, je ne m’attendais pas à me trouver en face de cinquante personnes. Oui, souris-je de nervosité, mais également pour me rasséréner, j’ai fait le décompte depuis ma petite cachette, juste avant d’être démasquée.
Il paraît que je suis mignonne chargée de ma maladresse. L’affirmation vient d’un beau blond dont je ne sais rien. Il pousse avec une facilité remarquable, l’assemblée vers des roucoulements de tendresse, après la petite hilarité que j’ai réussi à éveiller chez tous, sauf à Lui.
Et mon cœur va dans un second élan, furieux, défaitiste, inquiet… Que s’est-il passé depuis tout ce temps ?
Dawyne…
— Vous avez entendu mon père, je suis un peu… juste un peu timide, alors j’avais besoin de savoir quels étaient les risques que je fasse une attaque cardiaque. En revanche je crois avoir oublié Shela dans l’équation, ricané-je avec ceux qui me trouvent drôle. Sacrée Shela. Mais elle a eu raison, vous ne mordez pas, et je vous aurais trop fait attendre inutilement. Je suis sincèrement reconnaissante de vous voir là, et espère faire la connaissance de tout le monde. Encore merci, passez une excellente soirée.
Le joyeux vacarme revient en force, tandis que mon paternel et moi retournons à nos messes basses. Ce dernier me félicite pour ma conduite exemplaire (hypocrite il veut dire), m’assurant de l’efficacité de mon numéro de charme auprès des invités. « Tu es bien ma fille », ce sont les mots sur lesquels, il m’entraîne dans la foule, sans préavis pour me présenter personnellement aux plus intimes, dit-il. Je le suis, Tiphaine nous rejoint et entre les deux je semble la plus chanceuse du monde.
Et j’aurais pu l’être. Si je n’étais pas tombé sur cet article de magazine, je le serais en ce moment. Si mon étourderie ne s’érigeait pas en voile vaseux entre la réalité et mes réels sentiments, peut-être aurais-je pu paraître plus sincère, moins heureuse.
Mais je n’y peux rien, c’est trop fort. Beaucoup trop puissant, plus entêté que ma volonté première, le souvenir de Dwayne est une hantise, et même et alors que je l’ai perdu vue, je continue de le voir partout, dans tout qui ne lui ressemble pas… c’est un fait, je veux le voir, lui parler. Et au bout d’une dizaine d’entrevus, je demande un temps mort, prétextant le besoin d’aller rassurer mon amie qui doit se sentir seule.
J’aurais presque trouvé ça touchant, mon père ne veut pas me lâcher la main, essaie de m’attendrir par des mots qui affichent clairement sa faiblesse « je t’en supplie chérie, reste », puis baise mon front proéminent, plus visible avec mon chignon arrière, improvisé à la hâte, lorsque Tiphaine lui réitère pour la énième fois qu’il y aura un round deux. C’est à croire que nous parlions chinois et lui japonais.
Je rends de la joie aux curieux sur ma route, —et il y en a beaucoup— puis joue du cou une fois à un angle stratégique de ce vaste salon plus victorien que minimaliste, bien qu’étant les deux à la fois, c’est-à-dire, au-dessus de la rambarde de l’énorme escalier noir de gongorisme, tels que le sont la majorité, si ce n’est tout ici.
Je voudrais pouvoir dire que je les chercher du regard, malheureusement pour Kyo, je ne cherche que lui. C’est injuste pour mon amie et je m’en veux, cependant l’excitation et l’espoir me dominent comme une monstrueuse vague impérieuse. Là-dedans, je me trouve d’ailleurs des similitudes avec une mer agitée : moi, secouée par les effets de bonds violents, envahisseurs et destructeurs ; moi, soumise aux tumultes de ce cœur en crise qui caracole à la folie.
— Toi Rockalia, dotée d’une fibre d'humour, je n’aurais jamais parié là-dessus.
Ah, les trouble-fête ! Elle me fait rouler des yeux, regrettant la présence de témoins. Ce n’est pas l’envie de la faire voler par-dessus ce garde-corps qui me manque.
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Je veux revenir sur quelques mots que j'ai oublié d'expliquer dans les précédents chapitres :
Loas : ce sont des divinités vaudou... Les dieux dans leur ensemble.
Legba : c'est une divinité vaudou communément installée dans les maisons. Il est à la fois jeune et vieux et assure selon les croyants, la protection sur plusieurs aspects de la vie.
Li vyolan : veut dire c'est violent
35 commentaires
Véronique Rivat
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AlphyM
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Princilia Daci
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