Fyctia
La retenue (2)
Pour atteindre mon sac, bien au repos sur un pouf en cuir, autour d’une table basse en vitre dont le plateau central est entourée de petits et moyens ronds, je bouscule la blonde aux iris charbonneux. Dans mon dos, j’entends sa sœur lui ordonner de laisser tomber. Si c’est sur un ton aussi laxiste qu’elle lui parle à chaque fois —même lorsqu’elle se comporte comme une teigne— je comprends mieux de quoi est fait le personnage. Seul inconvénient pour cette dernière, c’est que je m’en fiche. Alors au prochain écart, je ne manquerai pas de donner quelques notions de bonne conduites et de savoir-vivre, comme à l’autre potiche qui refait son entrée. Comme le dit toujours ma mère :
« De la retenue jeune fille… La maîtrise de soi et la retenue sont de mises, surtout quand on ignore tout du sujet en face. Tu crois avoir à dire, attends d’écouter ce que les autres pensent de toi, et tu comprendras que ton opinion n’était peut-être pas la plus extraordinaire —ou la pire— qui soit. »
— Veuillez m’excuser mesdames. Vous avez besoin d’autre chose ? Nos équipes sont en train de s’occuper de vos articles. Pouvons-nous en faire plus pour vous ? N’hésitez pas, nous sommes à votre entière disposition.
— Non ce sera tout, oppose aussitôt la blonde en chef, dont la présence influence au minimum soixante pourcent de toute la bienveillance de cette pouffiasse guindée qui se la pète plus haut que son cul.
Argh ! Je l’ai jusqu’aux chevilles celle-là. Si je reste plus longtemps dans la même pièce que ces deux-là, c’est sûr, je vais faire une monstrueuse attaque. Mais avant de filer, je tiens à mettre un dernier point au clair.
— Moi oui, j’ai un dernier truc à vous demander mademoiselle…
— Peterson, me renseigne la grande brune aux taches de rousseurs adorables pourtant.
— Super, souris-je pour moi-même, fière de ma vendetta en cours. Votre perruque ou vos extensions de tout à l’heure, donnez-les donc à ma future tante adorée. Ça manque de volume là, je trouve.
De la légitime défense bien appliquée. Quelle audace elle a eu tout à l’heure, d’insinuer que ma robe irait mieux avec ce chapeau de cheveux complètement différents des miens, ce après m’avoir harcelées de questions dégradantes du style « vous êtes sûre d’être au bon endroit ?», lorsque plus ponctuelle que les deux autres, je me suis montrée ici toute seule ! Et l’autre conne de blonde qui l’a soutenue dans sa bêtise… Je ne comprendrais jamais cette manie qu’on certains de vouloir imposer leur vision aux autres. Tu te trouves belle avec des cheveux lisses ? Bah, lisse-toi les cheveux et viens pas emmerder les autres. La seule malheureuse fois —il y a quatre ans de cela— où je m’y suis essayée, je me suis trouvée tellement laide que j’ai dû me raser le crâne le jour d’après. Et pourquoi pas le jour-J ? Parce que la coiffure je me l’étais faite juste avant de monter sur la petite scène du restau-bar de ma mère, où je prestais tous les weekends, jusqu’à ce que René ne s’en aille.
Un bien triste souvenir…
La bombe lâchée, je m’élance sans demander mon reste vers la sortie. Pour le reste de la journée, j’ai besoin d’être le plus calme possible, vue la nuit qui m’attend. Vue la surprise que je leur réserve surtout.
Mes aspirations me conduisent —toute seule— à Elliott Bay, d’abord près de la gigantesque roue incroyablement majestueuse au-dessus des eaux apaisantes de la baie, que je me limite à observer de loin, car trop apeurée par le vide pour y grimper, tout en profitant de l’air marin et du soleil dont l’effet tampon sur la brise glaciale est doublement appréciable. Puis je longe sur Pike Place où je fais tôt de me sentir comme un poisson dans l’eau, tant l’ambiance endiablée me rappelle celle de mes rues natales. S’il fallait choisir, c’est sur ce marché que jetterais mon dévolu. Au milieu de toute cette modernité —toute aussi attrayante—, c’est une touche de spontanéité, de naturel et de chaleur bénite —le combo gagnant pour faire battre mon cœur tant attaché au folklore, l’essence même de ma ville d’origine.
Comme à chacune de mes promenades, je prends des photos. Elles sont destinées à ma père, et à mon fils plus tard. Moi je ne suis plus tellement persuadée de vouloir des souvenirs de cet endroit, aussi beau soit-il.
Il est dix-neuf heures lorsque je rabats le clapet de mon ordinateur, après avoir épuisé mes yeux pour la juste cause que sont mes études. Le cours sur la mesure et la gestion des risques m’a surtout fait rire, tout au long de ma révision. Enfin, pas le cours en lui-même… juste que, je n’ai pas pu m’empêcher de le ramener à moi. Moi dans mes choix, dans ma nouvelle aventure, et qui comme toujours ne sait qu’une chose : c’est qu’elle ne sait pas. Je parle bien des issues, attention ! Traquer les risques, ça c’est mon affaire. Les anticiper, ce dans tous les domaines, même et principalement dans ma vie personnelle, ça aussi je savais faire —à une époque, jusqu’à Dwayne.
J’en savais tant et plus. Tout ce que j’encourais, et pourtant…
Je vivais heureuse, je vivais en paix, je vivais surtout dans le déni : j’ai besoin de quelqu’un pour m’aimer, rester pour et avec moi. Quelqu’un qui me rassurera, quelqu’un par qui je me verra comme une fille normale, pas comme celle abandonnée et incomplète par ricochet. Je m’en rends compte à présent, j’espérais de ce voyage, entendre mon père m’expliquer qu’il avait été contraint, qu’il lui était arrivé un malheur… tout et n’importe, mais un fait assez puissant et qui l’aurait arraché à moi. Je priais en secret pour qu’il m’apprenne que ce n’était pas une décision prise à tête reposée, qu’il était y avait été obligé… Mais non, tout est bien comme je le pensais. Je suis bel et bien seule, pas très importante et remplaçable.
16 commentaires
Véronique Rivat
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Il y a 4 ans
Fanfan Dekdes
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