Fyctia
4.2 - Tobias
Il me serre la main joyeusement en me regardant avec un drôle de sourire. Se doute-t-il de quelque chose ? A part ma mère, personne ne sait ce que j’ai fait hier après-midi.
Eric est un homme de type caucasien. Il a la trentaine et sourit en permanence. J’adore travailler avec lui. On a besoin de sa douceur dans notre domaine. Ses cheveux blonds, bouclés, lui donnent un côté angélique. Ils ne semblent pas être faciles à discipliner, pourtant, il est toujours superbement coiffé.
- J’avais quelque chose à régler et j’ai oublié de vous prévenir, éludais-je tout en lui serrant la main.
Je le repousse gentiment, j’aime garder ma vie privée, privée… Je sais que la bonne entente entre collègues est très importante, mais j’ai besoin de garder un certain équilibre entre le professionnel et la vie personnelle. Je me suis défilé à chaque fois que mes collègues me proposaient d’aller boire un coup à la fin de notre service. Ils doivent me prendre pour un vieil aigri, mais ce qu’ils pensent de moi ne m’empêche pas de dormir la nuit. Par contre, Hannah, si…
Je finalise quelques paperasses pendant que le thanatopracteur s’occupe du défunt. Je vais ensuite préparer le matériel dont j’ai besoin et le charger dans ma voiture. J’adore mon métier, mais ce matin, les minutes me paraissent des heures. Je rumine seul dans mon coin incapable de comprendre ce qu’il cloche. Mon manque de sommeil est en train de me monter à la tête. Je prépare la salle du souvenir avant que le cercueil ouvert ne soit déposé pour que la famille vienne se recueillir autour du corps. Ce matin, je sais que je travaille automatiquement. Mes pensées sont très loin d’ici. Elles sont restées au cimetière, face à Hannah. J’ai besoin que quelqu’un vienne me secouer pour me rappeler à l'ordre et que je fasse mon travail correctement. Cette famille, comme toutes les autres, mérites mon respect et ma complète implication. Je me sens étrangement honteux en réfléchissant à mon comportement. Je sens les larmes me monter aux yeux. La colère et la frustration se mêlent dans mes veines, me plongeant dans une sensation insupportable.
Des coups frappés à la porte me sortent de ma remise en question. Je chasse les quelques larmes qui se sont accumulées dans mes yeux avant d’inviter la personne à rentrer.
- Tobias, une personne s’est présentée à l'accueil. Elle souhaiterait te parler, m'annonce Eric les sourcils froncés.
Je frotte mon visage une dernière fois pour effacer les traces de mon chagrin inapproprié. Ce n’est pas le lieu pour mes états d'âme. J’essaie de sourire gentiment à mon collègue, mais j’ai peur que mon rictus ne ressemble plus à une grimace.
- J’arrive tout de suite.
Eric hoche la tête sans un mot de plus et referme la porte derrière lui. Je gonfle mes poumons d’air pour reprendre contenance. Je secoue mes bras dans tous les sens pour évacuer mon stress comme si je m'apprêtais à monter sur une scène de théâtre. Je sors de la chambre et me dirige vers l'accueil. Un parfum délicat de fleurs me chatouille les narines avant que je n’arrive à destination. Mon cœur s’emballe et j’aperçois enfin une chevelure aussi noire que la nuit. Le manteau orange que la personne porte, m’attire l'œil. Je suis complètement déstabilisé et m’arrête en plein milieu du couloir.
Qu’est-ce qu’elle fait là ?
Comme si Hannah sentait mon regard sur elle, elle se retourne dans ma direction. Ses cernes violacés me montrent qu’elle n’a pas réussi à dormir plus que moi. Ses tourments n’ont sûrement pas la même origine que les miens, mais le résultat est le même. A la lumière, son teint pâle m'inquiète légèrement. On dirait que sa peau n’a pas pris le soleil depuis des mois ou des années. La fatigue alourdit ses paupières. Son nez fin est froncé. Ses mâchoires saillantes sont crispées. Elle se sent mal à l’aise face à moi. Se sent-elle redevable de quelque chose ? Je ne l’ai pas aidé en attendant quelque chose en retour. Je l’ai aidé par choix et altruisme.
- Bonjour Hannah, réussis-je à dire pour briser le silence.
- Bonjour Tobias, me répond Hannah en évitant mon regard.
Je n'arrive pas à lui sourire, je ne m’attendais pas à la revoir. Mon subconscient a dû profiter de mon insomnie pour prier les dieux toute la nuit pour qu’elle se retrouve en face de moi ce matin.
Je lui laisse le temps nécessaire pour engager la conversation. Je n’ai aucune idée de ce qui a pu l'amener à venir me trouver. Une boule d’angoisse se forme dans mon estomac. Est-ce que quelque chose à pu lui arriver dans cet hôtel miteux que je lui ai trouvé ? Ma soudaine culpabilité me fait avancer vers elle plus vite que prévu. Je me retiens de la toucher pour voir si elle n’est pas blessée. J’examine son corps au crible fin. Son énorme manteau m'empêche d’aller bien loin. Ça serait outrageusement déplacé de lui demander de l’enlever pour que je la scrute avec encore plus de minutie. Mes pensées déplacées me font monter le rouge aux joues. Je tousse dans mon poing pour évacuer mes tourments.
- Je… Je suis venu vous remercier pour l’aide que vous m’avez apportée hier. Je ne sais pas ce que je peux faire pour exprimer ma gratitude, et, elle laisse sa phrase en suspens quand Eric passe à côté de nous.
Elle attend patiemment qu’il quitte l'accueil. Une fine couche de sueur s’accroche à ma peau. Je n’ai pas envie que mes confrères apprennent ce que j’ai fait hier. Je n’en ai pas honte, j’ai simplement envie de garder ça secret. Ce qui s’est passé n’appartient qu’à nous. Je veux garder cette bulle hors du temps cachée pour que personne ne vienne entacher ce souvenir.
- Et, je me suis aperçu que je vous avez laissé réglé la note de l’hôtel pour moi. J’étais complètement perdue et je me sens très honteuse de vous avoir laissé gérer ça. J’ai apporté de quoi vous remboursez. Je suis vraiment désolée pour tout Tobias. Excusez-moi s’il vous plaît.
Ses yeux rougissent et des larmes viennent les brouiller. J’ai terriblement envie de la prendre dans mes bras. Hier, elle n’a pas pleuré une seule fois, mais savoir qu’elle m’a laissé payer l'hôtel pour elle semble lui faire beaucoup de mal. J’avance une main vers elle, prêt à l’attraper et la serrer fort contre moi, mais je la laisse retomber quand la famille qu’on attendait arrive dans l’agence. Hannah sèche ses larmes avant de déposer quelques billets dans ma main et de se retourner pour partir.
- Merci.
Je suis incapable de bouger, pourtant, j’aimerais lui courir après. L’arrêter et la garder avec moi pour soulager sa peine. Mon cœur bat si fort dans ma poitrine. Une voix stridente me hurle de la rattraper, je me mets à courir sans réfléchir à ce que je suis en train de faire. Mes pieds frappent l'allée en béton qui mène jusqu’à l’entrée de l’agence. Je m’arrête au milieu de notre cours et tourne dans tous les sens. Elle n’est nulle part. Elle s’est envolée. Je froisse les billets qui sont restés dans ma main. Un sentiment étrange s’empare de mon cœur. J’ai l’impression qu’elle vient de m’abandonner.
7 commentaires
palxmaa
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Il y a 18 jours
Marine Gidel
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Il y a 18 jours
sandrine13
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Il y a un mois
Marine Gidel
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Il y a 24 jours
Samantha Beltrami
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Il y a un mois
Pjustine
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Il y a un mois
Marine Gidel
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Il y a 24 jours