Fyctia
Chapitre 41
Le petit cimetière de Menton grillait sous les rayons d’un soleil éclatant. Kalgar avait tenu à rendre un dernier hommage à cette femme qui avait fait de lui un homme. Très ému, il venait de raconter à Lilith tout ce qui s’était passé depuis sa mort. Marietta, à côté de lui, le tenait par la main.
« Voilà Lilith, conclut-il, drôle d’aventure ! Il y a plein de trucs que je ne comprends pas et Charlène refuse de me les expliquer. Elle dit qu’il y a des choses qui doivent rester à jamais secrètes. Marietta et moi on se sent comme des idiots devant cette fille qui en quinze jours en a plus appris sur toi que nous en une vie ! Elle m’a dit pour Sévérine ! Une fille ! Comment as-tu pu me mentir avec autant d’aplomb ? Pourquoi ce mensonge ? Pourquoi cet échange de bébé ? C’est à devenir dingue ! Mais bon j’accepte de te faire confiance, parce que Charlène me l’a demandé. Mais c’est difficile !
Elle et Éric sont bien comme tu me les avais décrits. Ils sont beaux, intelligents, décidés. Charlène est une peste ! Mais en quelques jours, elle en a fait plus que nous en une vie ! Elle est courageuse, audacieuse, généreuse… Et presque plus belle que toi !
On a compris avec Marietta que c’était elle qu’on voulait suivre. Elle a un charisme, une énergie, et une gentillesse que même son sale caractère n’arrive pas à faire oublier. Alors, voilà, Charlène, c’est elle la chef maintenant, et on va rester à ses côtés, ici, à Menton. Finis les complots, les voyages, les révolutions.
C’est la première mauvaise nouvelle.
La deuxième, c’est qu’elle t’a assassinée.
J’ai essayé de la convaincre de prendre la tête du combat, mais elle préfère retourner à sa petite vie tranquille… Elle dit que toutes ces histoires de gens qui veulent sauver le monde, ça ne sert à rien. Tu protèges une poignée de pouilleux dans un coin et alors ? Il y en a toujours autant ailleurs ! Pire, en leur permettant de survivre, tu accrois le nombre de ceux qui deviendront des voleurs, des maquereaux… Tu réduis la misère aujourd’hui, mais tu augmentes celle de demain !
Si tu regardes tout ce qu’on a fait depuis des décennies, tu dois convenir qu’elle n’a pas entièrement tort. On n’a rien changé… Les vaccins distribués pour protéger des gamins de la tuberculose ? Vingt ans après, eux et leurs enfants meurent de faim… Tu empêches la construction d’une centrale nucléaire ? Tu te retrouves avec dix centrales thermiques qui crachent de la fumée noire… Tu abats une dictature, une autre se met en place ! On sauve l’instant, mais on ne bâtit pas de futur ! Il nous a fallu des années pour nous en apercevoir, cette fille, elle, elle a tout compris. La lutte, ça nous permet de ne pas nous sentir coupables d’être du bon côté de la misère. En fait, on ne sert à rien… On est comme Paul avec son Whales Watcher, on essaye de faire croire qu’on est utile alors que nous ne sommes que du vent, du bruit, un mur de sable devant la marée toujours montante de la misère, de l’oppression, de la corruption. Les problèmes, elle m’a dit, y en a deux, pas plus… Et ils sont insolubles, car leurs racines plongent dans les fondements de la nature humaine : la cupidité qui pousse les uns à profiter des autres et la prolifération qui fait que l’homme se reproduit à n’en plus finir et détruit tout, partout.
Elle est déprimante…
Mais a-t-on encore besoin d’une Smythie Bangalore ? Cinq pays ont adopté les mêmes lois que le Siamok, les multinationales du vêtement sont à genoux, … plus personne n’osera jamais faire travailler des enfants! Trois révolutions menées par des danseuses endiablées se sont produites, ces filles ont pris le pouvoir en douceur… et elles le gardent ! Des révolutions organisées par des femmes ! Des gouvernements constitués de femmes ! Même dans tes rêves, tu n’aurais pas imaginé une chose pareille !
Il y a une grande différence entre Charlène et toi. Charlène a montré la voie aux peuples alors que tu as voulu être la voix du peuple.
Alors, voilà, tu es bel et bien morte, et cette fille, c’est le plus beau cadeau que tu as fait à l’humanité, ta plus grande réussite.
On s’est bien amusé ces dernières semaines et tu vois, malgré ta mort on continue à profiter de la vie. J’ai encore une surprise pour elle… J’ai souvent essayé de lui dire, je n’y arrive pas, mais là, j’ai trouvé le bon angle d’attaque. N’empêche, je me demande comment elle va réagir ! Moi qui n’ai jamais eu peur d’une femme, je tremble devant elle !
Allez, je te laisse, mais je reviendrai… Marietta et moi on s’installe ici .On a décidé de vivre ensemble…. On ira au restaurant pour voir mon autre fille, notre fille. Elle n’est pas facile non plus, celle-là ! Pour l’apprivoiser, ça ne va pas être simple !
Dommage que tu sois partie… on te regrette, mais on se débrouille quand même… »
Kalgar fit un semblant de signe de croix et recula d’un pas.
— Belle oraison funèbre, fit Marietta. Ça lui aurait plu.
— Je sais. On va voir Charlène ? proposa Kalgar
— Tu es sûr ? Tu ne veux pas que je la prépare un peu ?
— Je suis décidé ! Cette fois je sais comment lui dire ! Tu vois, je me suis toujours demandé si Lilith savait que je suis son père.
— Je lui avais dit. Et ça l’embêtait beaucoup…
— Et pourquoi cela l’embêtait ?
— Elle voyait bien que Charlène et Éric étaient très amoureux, mais elle ne pouvait pas leur permettre de vivre ensemble : tu l’aurais su et tu t’y serais opposée puisque tu pensais que ces deux-là étaient tous les deux tes enfants. Elle aurait dû te dire la vérité sur ton fils.
— Exact, reconnut Kalgar qui n’avait pas envisagé cet aspect des choses. C’était un problème… tu crois qu’elle va mal le prendre ?
— Après toutes les misères qu’elle t’a fait subir, alors que tu es son père ? Elle t’a envoyé en prison, elle a joué avec tes nerfs, elle s’est moquée de toi, et t’as même accusé de vouloir coucher avec elle ! Comment tu vas faire ? Tu vas lui expliquer que si tu l’as obligée à t’aider, c’était pour mieux la connaître ? Que tu espérais qu’elle ramène ton fils en trois jours et que cette petite aventure vous rapprocherait ? Où tu vas le faire à la Darth Vador ? En prenant une grosse voix : « Charlène, je suis ton père ».
Kalgar sourit. Il se sentait étrangement bien. Plus de révolutions, ses enfants retrouvés, un avenir avec Marietta, la vie s’annonçait douce et amusante sans pour autant devenir routinière.
— Non, j’ai trouvé mieux ; elle se demande pourquoi j’ai sauvé Francis en Croatie, je vais lui dire que je n’ai fait que sauver ma fille… Elle va nous jeter dehors !
— Et une heure après, elle nous invitera à dîner ! s’exclama Marietta en riant.
Kalgar embrassa Marietta sur la joue et passa son bras autour de sa taille.
— Et si j’en profitais pour lui dire que je suis la petite sœur de Lilith ?
— Ah bon ? s’exclama Kalgar Mais personne ne me l’a dit !
— Oups…
0 commentaire