Eva Baldaras Rendez-vous à Noël Chapitre 3 - 24 décembre

Chapitre 3 - 24 décembre

Je me tiens sur l'estrade, le cœur encore battant après ma présentation. Les applaudissements résonnent autour de moi, un mélange de soulagement et de fierté m'envahit. J'ai travaillé si dur pour ce logiciel, des mois de recherche, de doutes, de nuits blanches. Et maintenant, je viens de capter l'attention de cette assemblée.


Nous allons gagner ce prix. J’en suis si sûre que j’ai peur de me tromper.


À mes côtés, Bill se tourne vers moi, en souriant. Sa paume chaleureuse se pose sur mon épaule.

— Luce, tu étais parfaite. Je savais que tu étais la bonne personne pour ce projet.

Ses mots me touchent, rehaussent mon assurance.

Sans prévenir, il m’embrasse sur la joue. Je ne m’y attendais pas. Je lui rends son sourire, reconnaissance malgré tout pour sa confiance.


Je scrute la salle, aperçois Mad qui exulte et me montre un v de victoire avec ses doigts.


Puis, mon regard se pose sur d’autres yeux. Familiers.

Une silhouette.

Debout.

Au fond.


C'est lui.


Mon cœur se serre, une douleur sourde envahit ma poitrine. Je ne l’ai pas vu depuis des mois, depuis cette nuit où j’ai pris la décision de le quitter. J’avais songé que c’était la bonne chose à faire, que ma carrière devait passer avant tout. Qu’il n’arriverait pas à comprendre qui j’étais vraiment. Mais maintenant, je réalise à quel point il m’a manqué.

Mes pensées s'embrouillent. La surprise, la nostalgie, la culpabilité, et quelque chose de plus profond—un mélange de regrets et d’amour—se bousculent en moi. J’ai l’impression que le temps s’arrête, que tout autour de nous disparaît, ne laissant que lui et moi dans cette salle bondée.


Grant me regarde avec une intensité qui me déstabilise. Il ne sourit pas, mais ses yeux me disent tant de choses. Des émotions que je n'ose pas encore affronter.


Mes mains deviennent moites, mon souffle court. Mes jambes sont soudain lourdes, comme si elles refusaient de me porter plus loin. Mais je ne peux pas rester ici, figée, vulnérable. Pas devant tout le monde. Je dois partir, reprendre mes esprits, comprendre pourquoi il est là.

Je détourne les yeux, rassemblant tout mon courage. Je remercie Bill d’une voix que j’espère ferme, puis je descends de l’estrade, mes pas me dirigeant vers la sortie. Mon cœur bat à toute allure, chaque pulsation résonne dans mes oreilles comme un écho du conflit qui fait rage en moi.


Je ne me retourne pas. Je ne peux pas. Pourtant, je sens le regard de Grant me suivre, brûlant dans mon dos comme un feu que je ne peux ignorer. Mais pour l’instant, je dois sortir, respirer, retrouver mon calme. Je franchis les portes de la salle, l’air frais du couloir me frappe, et Mad m’attrape.


— Tu as été fantastique, Luce ! me complimente-t-elle.

Elle se rend compte très vite que quelque chose ne va pas.

— Grant…. Grant… il est ici… lui dis-je haletante.

— Oh là là, attend, tu me fous la trouille là. Viens, on va s’éloigner d’ici un instant.


Un frisson dévale mon échine, puis mon esprit se téléporte un an en arrière.


Mon cœur n’en peut plus de cette course folle tandis que ma tristesse revient à la charge, lorsqu’il me souffle qu’il veut comprendre pourquoi.

Je devrais lui avouer mon passé, lui dire que…


Il est là et je ne peux plus me voiler la face, je ne peux plus lui mentir.

Il m’a demandé de l’épouser, désire des enfants. De… je ne peux pas.


Saisissant mon courage à deux mains, je me retourne vers lui et rive mes yeux dans les siens, pendant que la lune, ayant pris maintenant ses aises, nous éclaire.

Lui, immobile, son regard vide fixant mes lèvres, ses mains le long de son corps. Il guette mes mots qui peinent à sortir de ma bouche.

Moi, tremblante, le souffle court, tentant de me calmer pour ne pas m’effondrer ici, sur le macadam de ce trottoir que j’ai tant de fois piétinée avec lui. J’attends de tirer à pile ou face, la suite de notre histoire.

Il baisse la tête. Il a compris…

Un silence dur s’installe, troublé enfin par l’aboiement de son chien que je n’avais pas encore remarqué et qui nous rappelle à l’ordre.

Alors, ses mains cherchent à se poser sur ma taille et m’attirent vers lui. Son visage se relève doucement pour être au même niveau que le mien. Mes larmes se remettent à couler, mes poings se ferment.


Il n’aura aucune explication de ma part. Impossible de lui confier que… je ne suis pas celle qu’il croit. Mon passé me semble trop grave pour qu’il l’accepte.


Au moment où mes yeux souhaitent croiser les siens, je devine que mes forces me lâchent. Je ne parviens pas le regarder en face.

Je ne sais pas quoi lui dire.


Soudain, la panique me gagne, provoquant un geste de refus de ma part. Je me dégage violemment de son emprise et je le plante là, comme un idiot, pendant que son chien tente un rappel en aboyant vers ma direction.

Je n’écoute plus rien et détale à en perdre haleine, sans me retourner une seule fois.

À mon passage, un inconnu s’écrie « joyeux Noël ! » et j’entends que d’autres fredonnent « vive le vent d’hiver ».

Pendant que moi, je cours de plus en plus vite, le long de ce trottoir qui longe la Seine, les larmes aux yeux, demandant à mon cœur de s’arrêter de battre.


Je reviens à moi au moment où Mad m’asperge d’eau froide. Nous nous sommes réfugiés aux toilettes. Ma respiration est redevenue normale.

— Tu es toujours aussi accro, hein ? me dit-elle avec peine.

Mon regard se lève vers elle, mes larmes coulent.

— J’ai besoin de lui parler. Il est là. Je ne sais pas comment… Mad, l’Univers nous a réunis une nouvelle fois. Je dois, lui dire pourquoi je l’ai quitté. Il mérite au moins ça.

Elle entrouvre sa bouche, je pose mon doigt sur ses lèvres.

— Je sais ce que tu vas me dire. Tu dois guérir, Luce.

Elle secoue la tête.

— Non. Je veux juste te dire que s’il t’aime comme toi tu l’aimes, alors, il te pardonnera. Quoi que tu aies fait dans ton passé.


J’ai essayé de construire quelque chose avec Grant, mais ma pire crainte se serait révélée exacte : l’effondrement de notre relation dès qu’il aurait découvert toute mon histoire. Il est trop bien pour moi. Nous avons eu deux ans de pur bonheur…


Depuis, je n’ai qu’un objectif, me préserver, me noyer dans mon travail.

Mais, mon secret devient de plus en plus lourd à porter. Mon psy m’a demandé de poser des mots sur mon vécu et il m’encourage à détruire les barrières entre Grant en moi.

À me faire confiance, une bonne fois pour toutes.


Il y a un an, à Paris, je ne lui ai donné aucune chance. Juste un rendez-vous dans un an à Noël. Par SMS, seul moyen de communication que je pouvais utiliser après avoir fui. J'avais besoin de temps de me reconstruire, m’ouvrir à lui et nous faire confiance.

Du temps…


Je lisse machinalement ma jupe crayon et réajuste mon chemisier, puis regarde mon reflet sur mon miroir. Sans réfléchir, je défais mon chignon impeccable pour laisser retomber ma chevelure bouclée sur mes épaules. Je prends une forte inspiration, puis, rejoints la salle de conférence.


Prête à faire face… à Grant.


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5 commentaires

natha_lit

-

Il y a 7 mois

Que va t’elle lui révéler qui lui pèse tant

Eva Baldaras

-

Il y a 7 mois

😁
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