Fyctia

2/2

Les filles m’ont lâchement abandonnée pour aller rencontrer ces dieux de la séduction. Je me prépare mentalement à emmagasiner un nombre important de renseignements les concernant. Mme Witzel m’a briefée à propos du petit Juliann. Je connais quelques informations sur lui qui me permettront de le démasquer dans cette première étape, du moins je l’espère. Je n’ai pas pu prendre mon ordinateur, mon portable ou même un dictaphone, alors les données récoltées seront précieusement gardées dans un petit carnet. J’ai réussi à le faire passer sans être remarquée, puisque ma valise a un double fond noir. Lorsque l’on a vérifié nos bagages, les vigiles n’ont rien vu. Cette fouille a été très gênante, ils ont tout sorti y compris mes sous-vêtements. Heureusement pour moi, j’avais pris les plus beaux, ceux en dentelles et non pas mes culottes conforts en coton. J’inspecte discrètement ma chambre, une caméra est présente dans un coin près du plafond, il faudra donc que je trouve une autre pièce pour écrire. Je sais déjà que la salle de bain n’en dispose pas, mais il me faut un endroit avec une serrure. Je tourne en rond avant que l’évidence ne me frappe : les toilettes bien sûr pourquoi je n’y ai pas pensé plus tôt ? Il faudra que je fasse attention à ne pas y aller trop souvent, sinon les téléspectateurs vont croire que j’ai un problème gastrique.

Plus de trente minutes passent avant que les filles ne reviennent, un léger sourire orne les lèvres de Lydia, Amélia paraît perdue, et les deux autres candidates sont presque en dépression. Cette première étape ne semble pas ravir tout le monde. Je n'ai pas le temps de discuter avec elles que notre groupe vient d'être appelé. Le stress commence à monter, il ne faut pas que je perde mes moyens et que j'oublie les réponses des dieux. La voix qui nous parle depuis hier nous invite à retourner là où nous avons fait notre entrée. Une fois à l’intérieur, les autres prétendantes présentes sont dans un état d’euphorie et d'excitation avancée. Elles font tourner leurs cheveux sur leur index, il manquerait plus qu’elles mâchouillent un bonbon et là, on atteindrait le sommet de la bêtise. Je suis soudainement coupée dans ma réflexion :

— Mesdemoiselles, le moment que vous désiriez toutes est enfin arrivé ! Les quatre dieux vous attendent dans la salle située sur votre droite. Vous disposerez toutes de sept minutes pour faire connaissance avec eux, les premières alchimies vont voir le jour et les premières déceptions apparaîtront. Quoi qu’il en soit, ces hommes sont à votre écoute, vous pourrez leur poser de multiples questions, même les plus indiscrètes… À vous de jouer !

Plastic girl est la première à rentrer, suivie de près par les autres et je clôture la marche. Bien évidemment, elles se sont toutes appropriées un siège, je n’ai donc pas le choix et m’installe sur le dernier. Devant nous, les miroirs ne nous laissent pas la possibilité de voir la personne en face. Nous sommes au courant que cette première étape se fera sans dévoiler nos identités ou nos physiques. Chaque siège est séparé par une paroi vitrée, sûrement pour que l’on puisse s’entendre. Et il faut au moins cela, parce que avec les poules qui jacassent à côté il est difficile de réfléchir correctement, alors avoir une discussion même pas en rêve.

Tout d’un coup, la lumière se tamise, l’ambiance est plus intime, ça a presque un côté romantique. Un bruit semblable à l’ouverture d’une porte résonne, puis des chuchotements sont perceptibles.

— Il y a quelqu’un ? murmuré-je.

En guise de réponse un rire se fait entendre, bon au moins je l’amuse, c’est le principal.

— Oui et il ne te reste plus que six minutes, alors que veux-tu savoir ?

À vrai dire, je n’en sais rien. C’est un peu bête lorsque l’on est journaliste non ? J’essaie de décrypter sa voix pour me faire une idée de son physique. Il a un timbre rauque et un très léger accent d’Amérique latine. Je peux affirmer que ce n’est pas le sujet de mon article, mais il paraît drôle, alors je vais continuer à discuter avec lui.

— Comment t’appelles-tu ? lui demandé-je en sachant pertinemment la réponse.

— J’aimerais pouvoir te le dire, malheureusement tu vas devoir te satisfaire de mon pseudo : Apollon. Et toi quel est le tien ?

Je me fustige intérieurement, pourquoi n’ai-je pas appris le minimum de choses sur la mythologie ? Mes cours d’histoire sont perdus au fin fond de ma mémoire, et du peu qu’il en reste, je crois que ce dieu de la musique, de l’art et de la vérité.

— Je suis Héra, la déesse du…

— Mariage, de la famille et qui plus est d’une beauté incroyable selon les livres que j’ai consultés, termine-t-il à ma place.

D’accord, il est plus renseigné que moi sur ce sujet. Il irait parfaitement avec Lydia, la connaissance s’avère être un de leurs points communs. Cette étape de la découverte à l’aveugle me plaît de plus en plus. Je perçois dans sa voix de la sincérité et de l’humour, mais peut-on réellement apprendre à découvrir quelqu’un sans le voir ?

— Tu es cultivé, on dirait ! Dis-moi ce qui te fait sourire au quotidien ? poursuivé-je avec intérêt.

— Incontestablement ma petite sœur. Elle est atteinte de trisomie vingt et un depuis sa naissance. C’est un véritable rayon de soleil qui illumine ma vie. Son insouciance et sa positivité me surprennent toujours. Dans son monde, elle se rend compte à quel point, la vie est magnifique surtout sans artifices. Que pour être heureux, il faut être entouré de personnes que l’on aime tout simplement.

Sa longue tirade me met les larmes aux yeux, non pas par pitié envers sa petite sœur, mais pour la manière dont il vient de me décrire ce qu’est l’amour. Le vrai !

— Tu es encore là ? J’espère que je ne t’ai pas fait fuir avec tout ce que je viens de te raconter ? me sonde-t-il.

— Non, je suis simplement touchée par tes propos. Vous devez former une incroyable famille. Je su…

Une sonnerie me coupe dans ma phrase en annonçant la fin des sept premières minutes. J’ai l’impression de ne pas avoir eu le temps de poser la moindre question, mais je comprends mieux pourquoi nous allons venir tous les jours pendant une semaine.

— C’était un plaisir de t’entendre, Héra.

— Pour moi aussi Apollon, soufflé-je, encore sous le coup de l’émotion.

Les prétendantes changent de fauteuil, et je dois en faire de même. L’angoisse a complètement disparu, laissant place à l’interrogation. Pourquoi ces hommes sont-ils obligés de participer à ce genre d’émission afin de trouver l’amour ? On ne va pas se mentir, la plupart des femmes présentes ici sont là dans le but de se montrer à la télévision, ou bien pour profiter du corps de ces séducteurs. Qui voudrait être une sorte de bout de viande pour lequel on se bat ? Je peine à comprendre...Peut-être que ce jeu est leur dernière chance de tomber amoureux.

Au moment où je prends place, une voix profonde, sensuelle et envoûtante me donne des frissons, puis se présente :

— Enchanté, je suis Zeus, ravi de faire ta connaissance.