Fyctia
Bienvenue à Aspen.
Blake
2 décembre — Sur la route d’Aspen
La route s’étire devant nous, tel un ruban sombre tranchant à travers un océan de blanc. Depuis Denver, la neige n’a cessé de tomber. Elle recouvre les Rocheuses d’un manteau épais qui brille sous la lumière du matin. Chaque virage dévoile un nouveau tableau digne d’une carte postale. Les sapins sont alourdis par les flocons, leurs branches ploient sous le poids du givre. Des rivières sont figées en cascades de glace, et les toits des chalets isolés croulent sous la poudreuse. L’air est pur, vif, chargé de cette odeur particulière que seule la montagne en hiver sait offrir. Un mélange de bois humide, de résine et de froid mordant.
Le silence règne dans l’habitacle du SUV. Il est seulement troublé par le ronronnement du moteur, et le crissement régulier des pneus sur la chaussée enneigée. Un chauffeur envoyé par Gabriel est au volant. Il est concentré sur la route sinueuse qui grimpe à mesure que nous approchons d’Aspen. Je suis affalé sur la banquette arrière, le regard perdu sur le paysage qui défile, tandis que Livia pianote frénétiquement sur son téléphone.
Tout est trop calme. Trop parfait.
Pourtant, en moi, c’est un putain de chaos.
Aspen. Si on m’avait dit un jour que je reviendrais dans une ville pareille pour bosser sur un mariage — et pas n’importe lequel —, j’aurais éclaté de rire. Un rire sec, amer, du genre qui fait plus mal qu’autre chose.
Cependant voilà, j’y vais.
Et c’est bien ce qui me fout en rogne.
Livia lève enfin les yeux de son écran et me scrute en biais.
— Tu rumines, chef.
Je tourne la tête vers elle, les bras croisés.
— Je ne rumine pas. Je réfléchis.
Elle hausse un sourcil, sceptique.
— C’est pareil, en fait.
Je pousse un soupir en levant les yeux au ciel. Elle range enfin son téléphone et se pose contre l’appui-tête, un sourire au coin des lèvres.
— Allez, dis-moi. À quoi tu penses ?
Je secoue la tête.
— À Ronan la Fouine manipulatrice.
Livia éclate de rire.
— Attends, c’est nouveau, ça.
Je hausse les épaules.
— J’ai tout un catalogue.
— Je veux tous les entendre.
Je soupire dramatiquement avant d’énumérer.
— Ronan l’Enflure, Ronan la Peste élégante, Ronan le cafard haute couture, Ronan le parrain des faux-culs…
— Ronan le pire ex de la Création ? elle propose.
— Trop soft.
Elle secoue la tête, amusée. Mais, malgré son rire, je vois bien qu’elle attend quelque chose. Une vraie réponse.
Elle prend une inspiration, hésite, puis demande :
— Et June, alors ?
Je fronce les sourcils.
— Quoi, June ?
— Tu la mets dans le même panier ?
Je me tais, le regard rivé sur la route enneigée.
June. La future épouse de Ronan. La femme qui s’apprête à lui dire oui en ignorant totalement ce qu’il est vraiment.
Je serre la mâchoire.
— Non.
Livia incline la tête.
— Non ?
— Non, je répète. June est différente.
Elle me fixe comme si elle essayait de comprendre ce que je ne dis pas.
— Tu l’aimes bien ?
Je laisse un silence s’installer avant de répondre.
— Je sais pas. Peut-être. Elle est gentille. Trop gentille. Trop crédule.
Livia m’observe toujours, un pli soucieux au front.
— Tu as pitié d’elle.
Je détourne les yeux.
— Peut-être.
Parce que je sais ce qui l’attend.
Parce que je sais comment Ronan fonctionne.
Parce que j’ai été à sa place.
Et ça me fout en rogne.
4 commentaires
Gottesmann Pascal
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Il y a 14 jours
Bianka Msria
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Il y a 14 jours
Oswine
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Il y a 14 jours
Astrid.D
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Il y a 14 jours