Fyctia
Chapitre 2
Il paraît que pleurer aide à aller mieux. Je ne sais pas qui a prétendu ça, mais j’ai très envie de lui dire qu’il a tort. Depuis la fin brutale de ma relation avec Daniel, pas un seul jour ne passe sans que des larmes ne viennent inonder mes yeux. J’aimerais aussi toucher deux mots à celui qui a dit que la peine s’atténuait avec le temps. Qui sont-ils pour tenir des propos aussi invraisemblables ? Ils laissent aux jeunes femmes la possibilité de croire à un monde meilleur après la chute. Moi, je l’attends encore. Il est si long à venir que j’ai fini par me résoudre à voir la vérité en face : il n’arrivera jamais.
J’attrape volontiers la tablette de chocolat noir que ma mère me tend, et en casse un carré. Voilà de quoi noyer une partie de ma peine, car le chocolat a quant à lui de réels pouvoirs contre la dépression. D’ailleurs, je ne vais pas me contenter d’une si faible portion. À peine reposé sur la table, je m’en coupe un autre morceau sous le regard désolé de ma mère.
— Tu veux un autre café ?
— Non.
Mon ton sec la fait reculer avec la cafetière. Je l’entends la déposer sur son socle, avant de venir s’asseoir en face de moi sur la vieille chaise en bois chinée. Parcourir les vides greniers et les brocantes, c’était notre « truc » à toutes les deux. D’abord traînée de force quand j’étais petite, j’y ai finalement pris goût. Que ce soit sa maison, ou mon appartement, la décoration est entièrement faite d’objets avec une histoire. Ils ont tous quelque chose à raconter, une blessure à partager.
— Je n’ai pas été correcte avec toi au cours de ces derniers mois, et j’en suis profondément désolée.
Ses excuses inattendues me font lever les yeux dans sa direction. Son visage fin, dont j’ai hérité, se couvre d’une profonde tristesse. Elle pose sa main sur son collier aux reflets dorés, celui que mon père lui a offert à leur premier rendez-vous, et joue nerveusement avec.
— Je pensais avoir passé la partie la plus difficile du rôle de mère, mais j’avais tout faux. T’élever était sans doute la plus simple.
Mes doigts enserrent un peu plus fort ma tasse à chacun de ses mots. Je suis partagée entre l’envie de lui dire qu’un « désolé » ne suffit pas et de la prendre dans mes bras. Quand Daniel et Léa sont sortis de ma vie, je me suis sentie terriblement seule. J’ai alors voulu me tourner vers l’unique femme qui n’aurait jamais pu me faire souffrir : ma mère. Cependant, je n’y ai pas trouvé le réconfort que j’attendais, et dont j’avais besoin. Celle avec qui je partais faire les brocantes n’existait plus.
— Je ne te demande pas de comprendre ou de me pardonner, mais laisse-moi t’aider à avancer.
— Parce que tu crois que Ticmee est la solution ?
— C’est une application de rencontres qui a fait ses preuves.
— Je préfère encore entendre tes reproches tous les dimanches.
— J’ai bien mérité ton cynisme, mais s’il te plaît, ne fais pas la plus belle erreur de ta vie.
— C’est trop tard, réponds-je avec fatalité.
— Amara, commence-t-elle en prenant mes paumes dans les siennes. Tu es en train de t’enfermer dans une profonde solitude. Les murs que tu construis autour de toi vont devenir si épais, qu’il sera impossible de t’en échapper. Ne laisse pas Daniel faire de toi sa prisonnière. Tu es plus forte que ça.
Je serre les dents pour ne pas lui avouer qu’elle a raison. Le peu de fierté qu’il me reste me conjure de le garder pour moi. Mais au fond, je partage ses paroles. Je sais qu’en mettant un terme à ma vie sociale, cela donne une autre victoire à mon ex-fiancé. Il m’a brisé le cœur et par la même occasion, il s’assure qu’il ne pourra plus jamais battre pour qui que ce soit. Il est victorieux sur tous les points, et cette pensée me donne envie de vomir. La Amara d’avant ne se serait jamais rabaissée à ce niveau-là. Elle aurait pris les armes et aurait été au combat.
— Crée au moins un compte. Ça ne t’engage à rien.
Mon attention se perd dans ma tasse de café à moitié pleine, où mon visage, tiraillé par la fatigue, s’y reflète. J’ai du mal à me reconnaître. J’ai le teint livide d’un cadavre. Même mes pommettes, naturellement colorées d’une pointe de rose, semblent sans vie. Pour couronner le tout, deux poches viennent souligner mes yeux bleus, et rendent plus terne mon regard. J’ai l’air d’une fleur fanée que personne n’aurait voulu cueillir dans un champ florissant. Et ça, c’est à cause de lui.
L’amour peut faire des ravages. Il brise des personnes jusqu’à les pousser à la limite de ce qu’ils peuvent encaisser. La mienne est proche, et ça me terrifie. Je n’ai jamais eu envie d’en finir, quand bien même la douleur que je ressens est immense. Cependant, à côtoyer des morts à longueur de journée, je redoute d’atteindre cette ligne invisible. Celle qui d’un claquement de doigts, nous fait basculer sur une route où il est presque impossible de faire marche arrière. Je ne dois pas laisser Daniel briser mon futur. Il a déjà anéanti mon passé. Il faut que je redresse la situation, et vite. Mais comment faire lorsque la force nous manque cruellement ?
— Je crois qu’il est temps de t’avouer quelque chose, reprend soudain ma mère. Le barbecue de dimanche dernier a été allumé avec le manuscrit que Daniel a oublié à la maison.
J’écarquille les yeux à cette annonce, stupéfaite par son geste diabolique. Jeune écrivain ayant trouvé le succès avec son premier roman, il était en pleine création du second quand nous avons rompu.
— Je me doute que ce n’était pas son seul exemplaire, mais ça m’a fait beaucoup de bien de le voir brûler. J’ai encore quelques vêtements à lui si tu veux.
La proposition est tentante. Après avoir pris mon cœur et l’avoir arraché en deux, j’ai bien envie de réserver le même sort aux affaires qu’il a laissé. Mais la violence n’a jamais rien résout, alors d’un non de la tête, je décline son offre. Je ne veux pas devenir une de ces ex hystériques. J’aimerais simplement tourner la page, passer à un nouveau chapitre.
Même si ma relation avec ma mère n’est plus ce qu’elle était, elle a raison sur toute la ligne. Daniel ne doit pas avoir le dernier mot. J’ai besoin d’un défouloir pour évacuer ma colère, et Ticmee pourrait bien être la clé.
— Tu veux bien m’aider à remplir mon profil ? déclaré-je, le regard déterminé.
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