Fyctia

Il pleut des cordes depuis deux jours. Je suis assise devant la fenêtre, à la grande table de bois, dans l’unique pièce à vivre de mon amie Lily, et je lâche un gros soupir.

— Super mon week-end décompression au grand air !

Lily s'active à ranger de la vaisselle sur ses étagères faites maison, dispersées en mode aléatoire contre le vieux mur. Elle a la gentillesse de répondre à ma remarque avec patience.

— Les météorologues super compétents de la radio ont annoncé que ça allait durer au moins jusqu’à demain !

Je ris à sa blague second degré, et en rajoute une couche.

— C'est ça que j'aurais dû faire comme métier ! Tu peux te planter tous les jours, personne ne te dit rien ! Ils avaient prévu un temps mitigé ce week-end, pas ce déluge ! Quelle poisse !

— Allez Lou, ça va peut-être s’arranger dans l’après-midi. Il faut rester optimiste ma belle !

Je soupire encore. Ah, l’éternelle bonne humeur de Lily ! C’est comme du baume sur le cœur.

J’ai le réflexe idiot de pianoter sur mon smartphone pour aller voir la météo en temps réel sur mon appli préférée. Je me tape sur le front et m’exclame en levant les yeux au ciel.

— Mais quelle quiche ! Je n’arriverai jamais à m’y faire ! Pourtant cela fait des années que je viens ici, et je sais qu’il n’y a pas de réseau. Mon cerveau est vraiment ramollo !

Lily éclate de rire.

— C’est normal que tes neurones ramollissent ma vieille ! On va bientôt fêter nos 34 ans toutes les deux ! Si tu veux mon avis, la vallée de Béol restera une zone blanche encore longtemps, avec tous les électrosensibles qui viennent s’installer ! Rien que cet été, trois familles ont emménagé ici pour fuir les ondes.

J’adresse un regard tendre, assorti d’un petit sourire, à mon amie d’enfance.

On a toujours fêté nos anniversaires ensemble car on est nées au mois de mars, à trois jours d’écart.

Nos parents, qui sont amis, se sont retrouvés en même temps à la maternité de Chambéry. Cela crée des liens indéfectibles.

— Tu as vraiment bien retapé cette vieille école, Lily. Tu peux être fière de toi !

— C’est gentil, Lou, je te rappelle que tu es venue m’aider plusieurs fois !

— Pas aussi souvent que je l’aurais voulu. Je n’ai pas beaucoup de congés depuis que je suis employée dans la plus grande boutique de fleurs du centre-ville de Genève.

— Je sais que tu te donnes à fond dans tout ce que tu fais ma biche. Tu as le droit de souffler tu sais ? Les vacances c’est fait pour ça ! J’ai terminé le plus gros des travaux et je t’interdis de m’aider davantage. Maintenant quand tu viens ici, c’est repos total, compris !

Je lui souris tendrement et acquiesce.

Je l’ai beaucoup aidée au début quand il a fallu refaire le toit, les menuiseries et les sols.

C’était un chantier de dingue !

Lily a décidé au moment de la crise du covid, de racheter et de retaper cette vieille maison. C’était le logement de fonction de l’instituteur du village. Un magnifique village des Alpes appelé Le Reposoir. Le village de la grand-mère maternelle de Lily.

C’est ici que nous avons passé nos meilleurs moments d’enfance, auprès de sa grand-mère. On y passait un mois entier ensemble pendant les grandes vacances. Les meilleurs souvenirs de ma vie.

— De toute façon je n’ai aucune énergie aujourd’hui. Je crois que je vais aller lire un bon bouquin sur le lit !