Fyctia
Chapitre 15 - Liam
Olivia et moi quittons les locaux d'Evans Group en silence. Nos paternels nous attendaient à la sortie du bureau, mais nous leur avons signifié que nous avions besoin de temps pour réfléchir. Je ne peux pas m'empêcher de ressentir une certaine satisfaction à l'idée de les laisser mijoter : ils nous ont laissé dans l’ignorance pendant des jours, voire des mois, car j’ignore depuis quand ils complotaient ; ils méritent bien de patienter à leur tour.
Dans l'ascenseur, je jette un coup d'œil discret à Olivia. Son visage est fermé. Je repense à sa réaction tout à l’heure, lorsqu’elle a perdu pied. Je n’ai pas pu m’empêcher de tenter de l’apaiser, de la protéger. J’ai senti l’emprise qu’avait son père sur elle lorsqu’elle s’est renfermée, prête à tout accepter sans même argumenter. J’ai l’impression que l’image qu’ils renvoient pour les médias n’est qu’une façade, et que derrière se cache une toute autre réalité. Son discours sur son prétendu besoin d’autonomie était tout sauf celui d’un père attentionné.
Je ne sais pas ce qui m’a poussé à accepter. Mon père n’a pas tort sur un point : ce mariage pourrait m'aider à faire taire les scandales. Et je comprends ce besoin d’une alliance face aux difficultés qu’ils rencontrent. Mais envisager un mariage me semble démesuré. Je ne suis même pas certain d'avoir la force de jouer cette comédie.
Je devrais garder mes distances avec Olivia. Elle a cette façon particulière de faire vaciller mes certitudes, de faire tomber une à une les barrières que j’ai mis tant d’années à construire. Sa présence me déstabilise : sa grâce, sa bienveillance, la douceur qui émane d’elle… Et pourtant, me voilà assis en face d’elle à un café. Je n’ai pas pu me résoudre à la laisser seule. Pas après l’avoir vue si désemparée.
Je l’observe un instant : elle remue son latte, regardant distraitement par la fenêtre, les traits marqués par toutes les émotions qui l’ont submergée ce matin. Nous n’avons pas échangé un mot depuis que nous avons quitté les bureaux, et, étrangement, ce silence partagé m’apaise. Mais soudain, elle tourne ses yeux turquoise vers moi :
– On fait peut-être la plus grosse erreur de notre vie. Nous devons nous protéger, faire un contrat.
Même si je ne le lui dis pas, je suis certain que nos pères ont déjà tout orchestré dans les moindres détails. Cette idée me ramène à ma mère et à son comportement au téléphone hier. Elle devait être dans la confidence. Je me lève d’un bond :
– Tu veux bien m’attendre ici cinq minutes ? J’ai besoin de passer un coup de téléphone.
Elle hoche la tête sans même me regarder, et je sors du café. Sur le trottoir, l’air me mord la peau : j’ai oublié mon manteau à l’intérieur. Mais je ne retourne pas le chercher, le froid m’aidant à garder les idées claires. Je compose le numéro de ma mère. Je pense qu’elle ne va pas répondre, mais elle décroche à la dernière tonalité, comme si elle avait hésité jusqu’au dernier moment :
– Bonjour, Liam. Comment vas-tu ?
Sa voix douce ne fait qu’attiser ma colère. Je n’ai pas la patience pour ces politesses.
– Comment veux-tu que j’aille bien? S’il te plaît, dis-moi que tu n’étais pas au courant. Dis-moi que papa a fait ça dans ton dos et que tu ne l’aurais pas permis.
Son silence est plus éloquent que n’importe quelle réponse. Je raccroche sans un mot avant qu’elle puisse tenter de s’expliquer, la trahison me nouant la gorge.
Je retourne à l’intérieur, où Olivia est toujours figée dans ses pensées.
– Tu devrais boire ton café, il te fera du bien, je murmure doucement.
Elle porte machinalement la tasse à ses lèvres, et ses yeux croisent les miens.
– J’ai du mal à croire qu’ils puissent nous demander un tel sacrifice.
Sa voix tremble sur le dernier mot. Je comprends ce qu’elle ressent : nous sommes les pions dans un jeu d’échec plus grand que nous.
Nous restons encore un moment, puis nous séparons après avoir échangé nos numéros. Nous ferons connaître notre décision à nos chers pères demain, dans mon bureau. Cela nous donnera au moins un semblant de contrôle.
Malgré mon engagement auprès d’Olivia, il me reste une étape cruciale à franchir avant de pouvoir avancer. Je troque mon costume pour un chino beige et un pull bordeaux, une tenue qu’Angie aurait adorée. Sur le chemin du cimetière, je m’arrête chez un fleuriste. Je choisis minutieusement chaque fleur pour composer un bouquet champêtre, coloré et vivant.
Mon cœur se serre quand j’aperçois sa tombe au loin : un festival de couleurs. La sépulture est à son image, pétillante, et ce constat m’attriste autant qu’il me réconforte. Je pose délicatement mon bouquet près de son nom avant de m’agenouiller sur l’herbe humide. C’est plus fort que moi : les mots ne veulent pas sortir, alors j’attends, en silence, avec le bruissement des feuilles comme seule compagnie. Quand ma voix s’élève, elle est à peine plus forte qu’un murmure :
– Angie… Je ne sais pas par où commencer.
Ma voix tremble. Cinq longues années à éviter cet endroit, à fuir mes responsabilités, ma culpabilité, à vivre avec le poids de cette soirée.
Puis je fonds en larmes :
– Je suis désolé, Angie ! Je suis tellement désolé d’avoir mis si longtemps à venir te voir. Je n’en ai jamais trouvé la force. Je ne pouvais pas affronter ce que j’ai fait. Chaque jour qui passe, je me remémore cette nuit-là, et je me hais davantage.
Je passe ma main dans mes boucles brunes, laissant aller à cet instant les cinq longues années de souffrance que j’ai dû endurer. Face à Angie, je me sens vulnérable et j’ai le sentiment d’avoir à nouveau 20 ans.
– Tu sais, depuis que tu es partie, je me suis interdit d’aimer. Une partie de moi refuse de connaître le bonheur sans toi, et l’autre refuse de risquer de blesser quelqu’un d’autre. Alors oui, j’ai joué au séducteur, mais je n’ai jamais laissé personne m’approcher vraiment, jamais autorisé une autre que toi à entrer dans mon cœur.
Je reprends mon souffle, conscient que le plus difficile reste à venir.
– Aujourd'hui, j'ai besoin de toi, Angie. J'ai besoin que tu me pardonnes, que tu me donnes la force d'avancer. Je vais me marier. Pas par amour, mais... Cette femme, Olivia, elle a quelque chose de spécial. Elle est douce, attentive, elle observe le monde avec une sensibilité qui me rappelle la tienne. Je la connais à peine, et pourtant, elle m'intrigue déjà. Mais je ne peux pas faire ça sans ton accord. J'ai besoin de savoir que tu ne m’en veux plus, que tu sais qu’il s’agissait d’un accident, et que tu m'autorises à essayer d'être heureux à nouveau.
Mes larmes s’écrasent sur le marbre froid. Mes yeux se posent sur l’inscription gravée : Angeline Montclair, 13 Octobre 2000 – 3 Novembre 2019. Si jeune, si pleine de vie…
Et alors que je vais me relever, le regard voilé par les larmes, une feuille portée par le vent virevolte devant mes yeux, avant de se poser délicatement sur le seul espace vide de sa tombe, juste à côté de mon bouquet. Comme un message silencieux d’Angie, m’invitant à combler le vide qui est en moi.
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Anaïs Tehci
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Aline Puricelli
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mima77
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ZELI
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Il y a 3 mois