Fyctia

Jade est à l’appartement depuis trois jours. Je pensais qu’elle allait rentrer à Nice, alors quelle ne fut pas ma surprise en rentrant chez moi et en voyant sa valise ouverte sur le tapis du salon. Elle était assise sur le canapé et, les cheveux encore humides de sa douche, elle m’a regardé de ses yeux malicieux :

– Tu es parti tellement vite ce matin que je n’ai même pas eu l’occasion de te le dire : je compte rester quelques jours ! Ça ne te dérange pas ?

Étant donnée la situation, j’aurais peut-être préféré rester seul, mais je suis heureux qu’elle soit là, car sa présence m’empêche de gamberger. Ainsi, le matin, nous prenons notre petit déjeuner en parlant de tout et de rien, je pars ensuite au bureau, et nous passons la soirée ensemble.

Il est 21h et Jade repart demain rejoindre son fiancé. Nous sommes tous deux avachis sur le canapé : moi assis, les pieds sur la table basse, et elle allongée, ses jambes sur les miennes, en train de faire défiler des vidéos sur Tiktok pendant que je regarde une chaîne d’informations.

Soudain, je lui tape sur les genoux en m’écriant :

– Allez, debout ! Je n’ai pas envie de passer la dernière soirée avec ma meilleure amie sur le canapé ! On bouge !

Elle se redresse et me regarde, intriguée :

– Qu’est-ce que tu proposes ?

– L’Ivresse, ça te dit ?

Il s’agit d’un bar proche de l’Hôtel de ville où nous aimions aller par le passé. Je vois ses yeux s’éclairer, mais elle ne s’enthousiasme pas trop vite ; je pense qu’elle redoute ce qui pourrait arriver.

– Tu es sûr que c’est une bonne idée ?

– Je ne ferai pas de bêtise. Et de toute façon, quoi que je fasse, la presse trouve quand même le moyen de parler de moi.

En effet, même si je n’ai fait que « métro-boulot-dodo » ces derniers jours, mon nom figurait encore dans les pages du Paris People ce matin, avec un titre agaçant : « Qu’est devenu Liam Williams ? Pourquoi ce silence ? ». Je n’ai même pas lu l’article, lassé de ces attaques incessantes.

Je porte mon téléphone à mon oreille. Il est temps de rappeler Jonathan, mon meilleur ami. Je culpabilise car il a tenté de me joindre sans relâche depuis trois jours, et je n’ai pas pris le temps de répondre. Il décroche avant même la première sonnerie :

– Hey, enfin ! J’étais à deux doigts d’envoyer la police à ta recherche. Je ne voyais presque plus ton nom dans les magazines. Encore un jour ou deux et je croyais que tu étais mort, abruti.

– Salut à toi aussi, Jonathan ! Désolé pour mon silence, je vais t’expliquer.

– Un peu oui, que tu vas m’expliquer ! Je te rappelle que tu as été pris en photo au bar avec mes sœurs, qui sont traitées de putes, de catins, de traînées et autres charmants surnoms. Elles le vivent très mal ! Tu as peut-être l’habitude, mais elles non, et moi non plus. Alors au lieu de disparaître, la moindre des choses aurait été de me rappeler, tu ne crois pas ?

Je grimace : il semble en colère, et je culpabilise, car je sais qu’il a raison sur toute la ligne.

– J’ai honte. Je n’ai pas d’excuse, mais je n’étais pas en forme à cause de l’article. J’ai redoublé d’efforts au travail, et Jade est venue me rendre visite. Je suis désolé.

– Écoute, vieux…

Il marque une pause et je l’entends soupirer à l’autre bout du fil :

– Je ne t’en veux pas, mais si tu pouvais envoyer un message aux filles, ce serait cool.

Je le sens radouci, ce qui me rassure. Je ne souhaite pas me disputer avec lui. Il est aussi important que Jade à mes yeux. Nous nous sommes rencontrés il y a quelques années par hasard en échangeant nos manteaux à la sortie d’un restaurant. Depuis, nous sommes presque inséparables.

– Ok, promis. Tu veux sortir avec nous ce soir ? C’est le dernier jour de Jade à Paris, et on a décidé d’aller à l’Ivresse.

Il fait mine de réfléchir, mais je connais déjà sa réponse.

–Tu sais que je ne peux pas résister quand il s’agit de boire un verre avec mon fauteur de troubles préféré !

Je lui donne les détails avant de raccrocher, puis je file me doucher. Lorsque je sors de la salle de bain, je porte un pantalon de costume gris, une chemise blanche rayée et une doudoune légère. En attendant que Jade finisse de s’apprêter, je m’assois sur le tabouret de la cuisine et commence à éplucher le courrier. Factures, publicités… Je les fais défiler rapidement, jusqu’à ce qu’une enveloppe m’interpelle. Le papier est épais, dans des tons crème. Je la retourne pour en connaître l’expéditeur : Evans Group. Intrigué, je l’ouvre délicatement, et tombe sur une invitation à une soirée caritative la semaine prochaine, au profit d’un grand hôpital parisien. L’invitation est signée des trois noms de la famille Evans, y compris d’Olivia. Sans trop savoir pourquoi, j’ai le sentiment qu’elle est à l’initiative de cette action, et j’en suis d’autant plus curieux.

Lorsque Jade et moi commençons à marcher pour rejoindre notre taxi, je me surprends à penser plus que de raison à cette soirée : c’est un bon point de départ pour mes investigations sur Evans Group, et je compte bien en profiter pour en apprendre davantage à leur sujet.

❃❃❃

La soirée bat son plein. Nous avons retrouvé Jonathan. Je ne cesse de refuser les verres que des filles me proposent et je me concentre sur mes deux amis. Je ne suis pas d’humeur à rencontrer quelqu’un ce soir.

Pendant que Jonathan dispute une partie de fléchettes avec d’anciens amis qu’il a croisés par hasard, Jade et moi discutons sur un canapé non loin de lui. Soudain, je suis interpellé :

– Salut, beau gosse.

Je tourne la tête vers la voix : sans même tenir compte de la présence de Jade, une petite rousse s’assoit délicatement à côté de moi, plus proche que nécessaire. Je détourne le regard, espérant que le message sera clair, mais elle poursuit :

– Tu veux un verre ? On pourrait commencer par trinquer, mais si tu préfères, j’ai une chambre dans un hôtel à deux pas d’ici.

Je hausse les sourcils : ça a le mérite d’être on ne peut plus clair. Je me retourne pour l’observer un peu plus en détail. Mes yeux remontent petit à petit de son corps à son visage. Je dois avouer qu’elle est très jolie, ses cheveux roux retenus en demi-queue et ses grands yeux verts posés sur moi, attendant une réponse. Malheureusement pour elle, ou peut-être pour moi, j’ai la tête ailleurs.

– Retourne donc avec tes copines, je ne suis pas d’humeur.

Vexée, elle se lève et tourne les talons rageusement. Jade pose la tête sur mon épaule en riant :

– Eh bien dis donc, elle ne doute de rien, elle ! Et toi, tu continues à faire tourner des têtes ce soir.

– Mouais, je réponds distraitement.

– Elle était mignonne. Pourquoi tu ne l’as pas invitée ?

– Parce que je n’ai aucune envie que ma tête se retrouve encore dans un de ces torchons demain matin.

Elle hoche pensivement la tête avant de murmurer :

– Peut-être que c’est ce qu’il te faut ?

– Pardon ?

– Une vraie copine ! Une véritable relation ! Montrer au monde que le grand séducteur Liam Williams est enfin prêt à construire sa vie.